Nacer Chadli évoque pour la première fois le traumatisme de l’Euro : “J’étais en état de choc, comme si je laissais tomber l’équipe”
Nacer Chadli revient pour la première fois sur sa montée au jeu contre l’Italie à l’Euro, stoppée au bout de quatre minutes sur une blessure. Un traumatisme dont il n’est pas encore totalement remis, près d’une année plus tard.
Publié le 30-05-2022 à 15h35 - Mis à jour le 30-05-2022 à 15h36
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Les Diables se réunissent ce lundi à Tubize. Ce sera sans Nacer Chadli (32 ans), une fois de plus. On ne l’a plus vu en équipe nationale depuis le 2 juillet de l’année passée. C’était contre l’Italie à l’Euro, quand il était monté à la 69e sur la pelouse de Munich avant de ressortir à la 73e, en larmes, sur une blessure. Quatre minutes terribles qui restent les dernières des 66 caps du Liégeois en équipe nationale. Comme s’il avait disparu des radars de Roberto Martinez, pourtant fidèle à ses hommes. Allô, Nacer ? Après avoir longtemps refusé de parler, le joueur d’Istanbul Basaksehir a fini par accepter l’interview.
Comment allez-vous ?
"Ça va, ça va. Le championnat turc s’est terminé ce week-end et on a arraché un ticket européen après avoir très mal commencé. Il y a donc du soulagement. Là, j’aspire aux vacances. J’avais eu droit à six jours de congé en hiver et j’ai été testé positif au Covid le premier jour. J’ai passé tout le séjour dans ma chambre. Et les vacances de l’été dernier avaient été compliquées, forcément."
Cette blessure à l’Euro a été un moment difficile pour vous ?
"Ouais… (il est ému) J’étais en état de choc. Je me suis dit tout de suite que je devais arrêter l’équipe nationale pendant un moment pour passer au-dessus de ça. J’étais tellement triste de ressortir quatre minutes plus tard. C’était une grosse déchirure, mais la douleur n’était rien à côté de la déception."
Vous avez discuté avec Roberto Martinez de votre souhait de mettre les Diables entre parenthèses ?
"Oui, et avec le préparateur physique. Je leur ai dit que je devais passer au-dessus de ça avant de peut-être revenir. Ils ont bien compris. Je ne sais pas si c’est une pause ou un terme définitif à ma carrière internationale, mais j’avais besoin de ça. Je ne peux revenir en étant à la ramasse sur le plan physique. Je ne peux pas me blesser à chaque fois que je joue avec les Diables. J’ai eu l’impression de laisser tomber l’équipe. Je me sentais coupable."
Pourtant, vous êtes proche de donner un assist pour égaliser à 2-2 sur ces quatre minutes.
"Si on avait marqué, je m’en serais foutu, de ma blessure. J’avais très faim. J’étais prêt à changer le match et le coach y croyait aussi. Mais ça n’a pas duré."
Comment se passent les jours qui suivent ?
"J’ai mis beaucoup de temps à digérer. Normalement, quand je suis en vacances, je tourne la page d’une saison et je pense à la suivante en décompressant. Mais là, c’était impossible. Surtout que j’avais de la rééducation qui venait tous les matins me rappeler ce moment."
Vous avez reçu du soutien des autres Diables ?
"Ben… C’est le foot, hein. L’important pour moi, c’est de pouvoir digérer ça. J’ai surtout eu besoin de ma famille. La blessure était surtout mentale."
Vous avez consulté un psychologue ?
"Non, même si je sais que c’est utile pour des personnes. Il fallait que je retrouve mon propre équilibre pour me reconstruire."
La cicatrice est refermée, onze mois plus tard ?
"Je vais mieux aujourd’hui. Mais ça ne sera pas derrière moi tant que le physique ne sera pas en ordre. Après avoir soigné ma déchirure de l’Euro, j’ai eu des soucis de dos en club. Ça a perturbé tout mon deuxième tour et ce n’est pas encore réglé. Je vais consulter en Belgique pour essayer de soigner ça."
Tant que vous ne vous estimez pas en ordre physiquement, vous ne vous remettrez pas à disposition de l’équipe nationale ?
"Si je ne me sens pas physiquement assez fort pour les aider, je ne vais faire que les freiner. Je n’ai pas envie d’être là sans rien pouvoir faire. Le staff des Diables est au courant. J’ai encore des contacts assez réguliers. On me suit et ils savent où j’en suis. Mais là, un retour n’est pas d’actualité."
Vous vous donnez combien de chances sur cent d’être à la Coupe du monde au Qatar ?
"Je ne dis pas zéro, mais c'est peu probable. Maintenant, si je me sens en forme physique à la reprise en club et que je suis en feu, ça pourrait arriver. Dans l'absolu, j'aimerais jouer une troisième Coupe du monde. La suivre à la télé ne serait pas simple."
Pendant vos périodes de doute et de tristesse, il vous est arrivé de regarder votre but contre le Japon au Mondial 2018 pour vous mettre du baume au cœur ?
"Non, je crois que je l’ai trop vu dans les semaines et les mois qui avaient suivi. On n’a pas arrêté de m’en parler et j’ai fini par faire une overdose. Je pense avoir vu toutes les versions de la vidéo. J’ai aimé celle avec la musique de Titanic, mais ma préférée reste celle avec le commentaire de la RTBF et le ‘bordel’ de Philippe Albert (sourire)."
Vous avez peur que ce soit votre corps qui fixe la date la fin de votre carrière ?
"Oui, c’est une crainte. Je n’ai pas été épargné pendant ma carrière. C’est toujours plus dur de revenir, avec à chaque fois plus de contraintes. Mais je m’en suis toujours sorti et j’ai toujours retrouvé un bon niveau. Je continuerai jusqu’à ce que le corps dise vraiment stop."
Que peuvent espérer les Diables au Qatar ?
"Il faut avoir les mêmes ambitions qu’en Russie. Donc l’envie d’aller au bout. L’équipe est vieillissante, mais on en oublie toujours les bons côtés, comme l’expérience. On n’est pas moins forts qu’en 2018. Il faudra juste trouver le bon équilibre avec les quelques jeunes qui arrivent. Le monde extérieur ne nous voit plus comme un favori, mais ça peut jouer en notre faveur. Prenez toutes les Coupes du monde, le dernier carré n’a jamais été celui qu’on imaginait au début du tournoi. Donc c’est peut-être une bonne nouvelle qu’on ne nous y place pas (sourire)."
Puis, après le Qatar, on assistera à la retraite internationale de toute la génération dorée ?
"Tous les gars se poseront la question, en tout cas. Je pense qu’il y aura beaucoup de retraites internationales, mais il n’est pas impossible que certains continuent encore un peu, jusqu’à l’Euro 2024."
Dans une ville aussi dingue de foot qu’Istanbul, vous avez le droit d’aller manger avec Michy Batshuayi, qui joue dans un club rival (Besiktas) ?
"C’est compliqué. On s’est déjà envoyé des messages, mais se voir, ça risquerait d’être délicat. Et même, cela ne serait pas simple à organiser. La ville est si étendue qu’on habite finalement loin l’un de l’autre. Je suis à la campagne, vraiment loin du centre."
Avec ou sans les Diables, comment voyez-vous la fin de votre carrière ?
"J’ai encore un an de contrat en Turquie. J’aimerais rester. On va jouer l’Europe et je ne suis pas malheureux ici. Après, j’aimerais revenir en Belgique pour encore jouer quelques saisons si mon corps me le permet. Les destinations exotiques ne m’attirent pas. J’ai envie de finir en étant proche de ma famille."
Vous suivez encore la Pro League depuis Istanbul ?
"Oui, j’ai regardé quasi tous les matchs d’Anderlecht (NdlR : l’interview a été réalisée avant le départ de Vincent Kompany) et du Standard. Je parlais souvent du Sporting avec Peter (Zulj) avant qu’il ne parte au mercato d’hiver. Parfois, on en discute avec Stefano (Okaka) et Trezeguet. D’un peu plus loin, j’ai suivi l’Union et Bruges. C’était pas mal."
C’est vrai que vous avez été proche de signer au Club Bruges ?
"Oui, c’est juste. J’ai discuté avec la direction de Bruges quand j’étais à Anderlecht (2019-2020). J’étais prêté par Monaco et Bruges voulait m’acheter. Mais j’ai finalement signé à Istanbul."
Qu’avez-vous pensé de la saison du Standard ?
"Ça faisait mal de les voir ainsi. C’est triste qu’un tel club s’enlise autant. J’en ai parfois discuté avec Bruno Venanzi. Il a fait son maximum pour le club et il a toujours été correct. Il a remis les clefs à quelqu’un d’autre et j’espère que le Standard va se relever."
Vous aviez investi dans l’Immobilière du Standard, mais les Américains ont racheté toutes les parts. Il paraît que vous avez fait une belle plus-value.
"Oui, j’ai fait une plus-value, mais ce projet allait au-delà de l’aspect financier. Je ne mettais pas mes billes pour les perdre, mais je voulais surtout aider le Standard. Ce n’est pas là où tu te fais le plus d’argent. Si j’avais juste pensé à ça, j’aurais investi dans d’autres domaines. Cela me tenait à cœur, parce que je le faisais avec des proches dans un club que j’aime."
Des Américains qui investissent au Standard, vous en pensez quoi ?
"Cela me fait un peu peur. Le Standard est un club avec une vraie culture et ce n’est pas simple de le gérer. Ce sera important pour eux de bien mesurer où ils arrivent. J’espère qu’ils garderont l’identité du club."
Vous parliez de finir votre carrière en Belgique. Au Standard ?
"Il faut voir comment le club se portera. Je ne connais plus personne dans le club maintenant. Pour mes dernières années, j’aimerais être avec des gens que je connais et avec une vision qui me plaît."
Et après ces dernières années de joueur, savez-vous déjà ce que vous ferez ?
"Devenir entraîneur me tente, mais je n’ai pas envie de commencer les études et la formation tant que je suis joueur. Je veux pouvoir faire ça en étant concentré et en prenant mon temps."