Michel Verschueren nous a quittés: le roman du Renard aura ressemblé à un film hollywoodien
Pendant 91 ans, Michel Verschueren aura vécu plusieurs vies en une seule, avec de l’avant-gardisme, des titres, de sacrés transferts et même trois heures de prison.
- Publié le 15-09-2022 à 14h49
- Mis à jour le 15-09-2022 à 14h50
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Et là, le fier Michel Verschueren pique un fard. Au printemps 1980, Constant Vanden Stock coince celui qui est encore le manager du RWDM à la sortie d'un ascenseur dans les bureaux de Ligue Pro à Bruxelles. "Tout compte fait, Verschueren, vous n'auriez jamais dû quitter Anderlecht", lui lance le président du RSCA.
Quelques jours plus tard, le jeudi 1er mai, 1980, Michel Verschueren prenait ses fonctions de manager général au Sporting. "Constant Vanden Stock avait repéré des apartés entre Roger Petit, alors président du Standard, et moi lors des réunions de la Ligue Pro. Il avait demandé à son bon ami Omer Ampe, dirigeant de Beveren, ce qu'il se tramait. Quand il lui a dit que le Standard me voulait après avoir appris que je comptais quitter le RWDM, il m'a fait une offre et tout a été vite réglé. J'étais flatté."
Une consécration pour cet ancien gamin solitaire de Boortmeerbeek, près de Malines. Un gamin qui avait toujours rêvé de travailler dans le football et qui s'était incrusté dans le milieu en introduisant des méthodes d'entraînement physique révolutionnaires à l'Eendracht Alost, en 1957 alors qu'il n'a que 26 ans. "C'est moi qui ai amené le travail sur l'endurance, la résistance et les intervalles dans le football belge", a-t-il toujours dit.
Anderlecht le débauche une première fois, six ans plus tard. Il y sera le préparateur physique des entraîneurs Pierre Sinibaldi, Arnold Deraeymaeker, András Béres et Norberto Höfling. Ce dernier, un Roumain, l’emmène avec lui au Daring de Molenbeek en 1969.
Son intelligence et sa capacité de travail en font vite bien plus qu’un membre du staff. Au point de devenir manager général quand le Daring devient RWDM en 1973. Le club remporte le titre deux ans plus tard et joue une demi-finale de Coupe de l’UEFA en 1977. Il réalise aussi quelques coups sur le marché des transferts : Johan Boskamp en 1974 ou Paul Van Himst l’année suivante.
Quand Edmond Machtens, bourgmestre de Molenbeek et bras droit de l'homme du RWDM Jean-Baptiste L'Ecluse, décède, il décide de quitter un club dont il avait lui-même dessiné le logo. Constant Vanden Stock dribble donc Roger Petit et un chapitre de vingt-trois ans s'ouvre. Avec onze titres de champion, trois Coupes de Belgique, une Coupe UEFA (1983) et un stade transformé pendant neuf ans pour devenir l'un des plus modernes d'Europe. Diego Maradona lui-même en fut l'un des témoins en venant inaugurer une nouvelle tribune le 10 août 1983. "On était vraiment des précurseurs, notamment avec loges et les business seats. J'en étais particulièrement fier."

En cellule pour 3h
Mais il y a aussi eu des moments difficiles. Il passera même par la case prison pendant… trois heures. "J'ai dû enlever mes lacets, ma ceinture et ma cravate. Puis j'ai entendu le bruit sourd de la porte qui se refermait, expliquera-t-il dans sa biographie. Je suis resté en cellule de 6h à 9h, pendant qu'il interrogeait Constant Vanden Stock."
Il, c’est le juge Guy Bellemans qui dévoile un circuit d’argent sale dans le milieu du football belge. Vanden Stock finira par conclure un accord avec les autorités.
On ne le saura que bien plus tard mais le président vit dans la terreur à cette époque, pour une autre affaire. "Un jour, j'entre dans le bureau de Constant et je vois de la peur dans ses yeux : 'Je suis victime de chantage. Je n'en peux plus, le couteau est pressé de plus en plus fort sous ma gorge', me dit-il. Et il m'a raconté cette journée de 1984 où un certain Jean Elst est venu le voir à la brasserie pour lui parler des problèmes d'argent de l'arbitre espagnol Guruceta Muro qui allait siffler notre match contre Nottingham (NdlR : en demi-finale de la Coupe de l'UEFA 1983-1984, Anderlecht se qualifiera mais sera battu par Tottenham en finale)."

À coups d'enregistrements clandestins, Elst puis son ami René Van Aeken font chanter Vanden Stock. Et Verschueren allait aider son président à apporter l'argent. "Je recevais des appels au milieu de la nuit. Il me fixait un rendez-vous 45 minutes plus tard, dans une rue sombre où il y avait une voiture de gangster garée. Ça ressemblait à un thriller. J'aimais bien en lire mais pas y participer. Ça a duré dix ans. Je reste convaincu qu'Elst et l'arbitre espagnol ont monté cette affaire pour en tirer profit par la suite."
500 000 dollars de moins pour Lozano
Quand Roger Vanden Stock prend la succession de son père en 1996, l’affaire éclate au grand jour. Mais Michel Verschueren y résiste. “Le Renard argenté”, comme le surnommait l’épouse de Constant, est un malin. Malgré l’arrêt Bosman qui fait vivre un cauchemar sportif à Anderlecht, le manager général parvient à garder le Sporting au sommet du football belge.
Pour ça, il a un truc : le marché des transferts. Comme à son époque du RWDM, Verschueren sait trouver ce qu'il y a de mieux chez les autres. Marc Degryse, Luc Nilis, Enzo Scifo ou Pär Zetterberg, c'est lui. Mais son plus beau coup, à ses yeux, reste Juan Lozano. "C'était en 1981 et je le voulais vraiment. Il jouait aux Washington Diplomats qui demandaient 800 000 dollars. Mais Constant ne voulait pas : 'Ce n'est pas budgétisé', disait-il. Je négocie quand même avec les Américains et le dimanche à 23h, j'ai fait descendre le prix à 300 000. J'ai quasiment supplié le président : 'J'ai fait descendre le prix de plus de la moitié.' Après un moment de silence, il me dit qu'on peut le prendre. Lozano savait faire des deux pieds ce que Rensenbrink faisait avec un seul."
Alain Courtois et Paul Courant sont désignés comme les successeurs au début du XXIe siècle mais Michel Verschueren ne les aide pas, c'est un euphémisme. Il faudra attendre Herman Van Holsbeeck pour que le règne de Mister Michel (un surnom trouvé par Tomislav Ivic) prenne fin. "J'ai pris ma retraite le 31 décembre 2003 mais j'ai continué comme membre du conseil d'administration, comme responsable du restaurant Saint-Guidon (étoilé à une époque) et comme membre de l'ECA (NdlR : où son fils Michael officie toujours aujourd'hui)."
Éloigné des spotlights ? Non, il reste très présent. Dans les médias, où on n'est jamais déçu par ses interviews, et dans les coulisses, où il reste un conseiller éclairé de Roger Vanden Stock. Sa découverte de Twitter amènera aussi quelques moments savoureux pour celui qui n'aura jamais su garder sa langue en poche. Avec quelques débordements malheureux ("Les grévistes sont des fainéants" ou "Deux hommes qui dorment dans le même lit, ce n'est pas naturel").
S'il a connu beaucoup de drames personnels durant sa vie (une sœur handicapée après un accident de la route, un bébé mort-né…), c'est en mai dernier qu'il perd le grand amour de sa vie, Marie-Louise. Son épouse s'éteint à 86 ans et il ne s'en remettra jamais. "Sans elle, ça n'allait plus", a écrit son fils Michael sur Instagram en annonçant son décès ce mercredi matin. Elle aussi avait réussi à lui faire piquer un fard lors de leur première rencontre, il y a près de soixante ans.