Alerte rouge sur les finances du foot belge (1/5) : "Le plan de redressement était nécessaire, mais il peut aussi tuer des clubs"
Les clubs de Pro League perdent toujours beaucoup d’argent, mais ils n’ont plus le choix avec le nouveau plan d’économie : il faut redresser la barre.
Publié le 07-02-2023 à 11h12 - Mis à jour le 07-02-2023 à 11h35
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Comment le football belge professionnel a-t-il pu en arriver là ? Nous nous sommes penchés sur les derniers comptes des clubs de D1 en compagnie de Trudo Dejonghe, professeur d’économie du sport à la KUL. Malgré un signal d’alarme tiré jusqu’à en user la corde, dépenses et dettes restent faramineuses, augmentent parfois même, sans que les rentrées ne suivent la même courbe.

fraîchement élu CEO de la Pro League, Lorin Parys est parvenu en juin à insérer dans son plan de réforme un volet assainissement financier, que l’on explique en détail plus loin, et qui semble avoir eu des effets sur ce mercato hivernal. “Il fallait un plan à long terme et celui de Parys est bon”, estime Trudo Dejonghe. “On voit qu’il a une vision, qu’il n’est pas issu du sérail. C’est un système inspiré des sports américains où il y a carrément un plafond des salaires.” Et de ce que préconise désormais l’UEFA.
Mais changer les mauvaises pratiques sera une révolution. “Je crains qu’il y ait de la pression pour effacer ces règles”, poursuit l’économiste. “Et je pense qu’il y a un risque que les investisseurs étrangers quittent le foot belge car on ne pourra plus y faire ce qu’on veut, alors que c’était un paradis pour eux, jusqu’ici. Donc, d’une certaine façon, ce plan peut aussi tuer le foot belge.”
1. Capitaux propres : retour dans le vert d’ici 5 ans
Ce qu’exige le plan voté en juin : “Les clubs sont tenus de tendre vers un capital propre positif, conformément aux dispositions de l’UEFA […] Il s’agit d’un trajet de 5 ans, dans lequel chaque année une amélioration de 20 % est requise jusqu’à ce qu’un club puisse présenter des fonds propres positifs. ”
Quelles sanctions en cas de non-respect ? Le retrait d’un point la première année où une amélioration de 20 % n’est pas atteinte ; 2 pour la 2e année consécutive, 3 pour la 3e, 6 pour la 4e et 9 (le maximum) dès la 5e.
Le premier des deux volets sur lesquels doivent progresser les clubs concerne des fonds trop souvent dans le négatif. À chaque fois qu’un club termine un exercice financier dans le rouge, il voit ses fonds propres se réduire et même passer sous zéro (à moins de réaliser une hausse de capital). Ils sont 7 dans le cas, cette saison, sur les 13 clubs de D1 qui ont publié leurs comptes.
Les quelques cas positifs ne sont pas brillants pour autant. À l’image d’OHL : le club brabançon disposait de 10,8 millions € de fonds propres en 2018 et seulement 362 000 € fin de saison passée. Et ce, malgré des hausses de capital de l’investisseur thaïlandais de 28,9 millions qui ont compensé toutes les pertes annuelles.

Dans l’ensemble, ce sont les pertes annuelles qui plombent les comptes, à l’exception de Charleroi et de Bruges. Et la situation a empiré : l’ensemble des 16 clubs de D1 avait terminé la saison 2018-19 avec une perte cumulée de 41,9 millions €. Pour 2021-22, rien que les 13 déjà connus portent le déficit à 68,6 millions €. Pour réduire ces pertes, il faut soit augmenter le chiffre d’affaires en amenant plus de rentrées (tickets, droits médias, dépenses au stade, sponsors), soit diminuer les coûts et, avant tout, les salaires.
2. Salaires : fini d’exploser les plafonds
Ce qu’exige le plan : “Un squad spend ratio (pourcentage de dépense pour l’équipe) est introduit conformément aux dispositions de l’UEFA […] La définition du ratio est le coût total de tous les sportifs rémunérés et du staff sportif de l’équipe première, divisé par les revenus d’exploitation du club. ” Ici, aussi, le travail est à effectuer sur cinq ans, avec un changement à partir de 2023-24, à savoir un ratio de maximum 90 %, puis 80 %, 75 % et 70 % pour les troisième, quatrième et cinquième années d’ici 2027.
Quelles sanctions en cas de non-respect ? Perte de places sur la liste des joueurs (1 place la première année, 2 pour 2 années consécutives, etc. et 5 places à partir d’une quatrième année consécutive). Un club fautif peut aussi être sanctionné de perte de points : 1 point la 1re année, 2 la deuxième consécutive, etc. jusqu’à un maximum de 5 après trois années.
Beaucoup de clubs ont des masses salariales qui représentent à elles-seules 120% de leur chiffre d'affaires!
Le salaire est un point noir pour beaucoup de clubs, qui dépensent trop à ce niveau au regard de leurs performances et, donc, de leurs revenus puisque les droits médias et les rentrées billetteries dépendent du classement de l’équipe. “Vu ce qui est attendu par la Pro League à l’horizon 2027, il va falloir un grand changement”, poursuit Trudo Dejonghe, à propos des 70 % à atteindre. “Une entreprise doit être capable de payer ses salaires avec les seules rentrées du chiffre d’affaires”, et non plus grâce à des revenus exceptionnels comme les rentrées transferts ou des hausses de capital. La masse salariale d’Anderlecht (56,9 millions) est largement supérieure au chiffre d'affaires (38M), par exemple. “Beaucoup de clubs ont une masse salariale qui représente à elle seule 120 % ou plus du chiffre d’affaires. Vous imaginez ? D’où le besoin de vendre pour survivre. C’est d’ailleurs le modèle de la ligue belge : revendre des joueurs formés ou achetés jeunes pour faire des bénéfices.”
Mais ce modèle ne suffit même plus pour aboutir à un équilibre. Les coûts de fonctionnement – les salaires en tête – sont tels que les bilans de fin de saison sont négatifs pour neuf des treize clubs qui ont publié leurs comptes 2021-22, même lorsqu’on ajoute les rentrées transferts. Et encore, il est à peine positif pour les autres. Ou il l’est grâce à une opération financière exceptionnelle de 33 millions, dans le cas d’Anderlecht, par exemple.
3. Hausse de capital : la bouée de secours, mais jusqu’à quand ?
Depuis quelques années, à défaut d’être colmatées, les fuites sont compensées par de gros apports financiers des propriétaires. La Ligue a calculé qu’il y a eu 363 millions € de hausses de capital dans seize clubs de D1 et D2 entre 2019 et 2022. Ce procédé était plafonné avant 2020 à hauteur de 30 millions € sur trois ans. Mais la limite a sauté au nom de la crise financière provoquée par le Covid… et n’est jamais réapparue. “Maintenant que le Covid est passé, il faut réadapter cette règle. Le gouvernement fédéral doit dire que les hausses de capital sans fin, c’est terminé”, estime Trudo Dejonghe.
Car même dans le nouveau plan, ces injections artificielles peuvent encore compenser des manquements au niveau fonds propres et salaires. Jusqu’à quand les investisseurs vont-ils remplir le tonneau des Danaïdes de Pro League ? Et que se passera-t-il lorsqu’ils diront “stop”, avec des clubs cumulant dettes et fonds propres négatifs ? C’est toute la question.