En visite chez Alexis Saelemaekers à Milan : “Quand tu reçois 200 000 messages de haine sur ton téléphone, tu deviens vite un homme”
Le Diable Alexis Saelemaekers nous reçoit à Milan juste avant de disputer le premier huitième de finale de Ligue des champions de sa carrière, ce mardi contre Tottenham.
Publié le 14-02-2023 à 07h50
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Au bout de la rue en cul-de-sac où trône Milanello, le plus ancien centre d’entraînement du monde, il faut attendre devant la grille. L’accueil des hommes de la sécurité de l’AC Milan n’est pas le plus chaleureux du monde. La presse est éloignée au maximum, cinq jours après un revers 4-0 à la Lazio dans une période sans victoire qui s’est étirée sur sept matchs, jusqu’au succès vendredi passé contre Torino. Mais le rendez-vous fixé depuis quelques semaines avec Alexis Saelemaekers (23 ans) a été maintenu dans cette tempête sportive, saluons-le.
Comme promis, juste après l’entraînement et un lunch en cette froide après-midi de janvier, il nous rejoint dans la salle de presse de Milanello, une sorte de cave sans fenêtre et quasi sans chauffage. On est loin du charme parfois désuet du reste du centre où le Bruxellois nous servira de guide après l’entretien. Une sorte de grande villa décorée de centaines de photos des légendes rossoneri. Avant d’en croiser une, en chair en os, au détour d’un couloir : Zlatan Ibrahimovic, en fin de rééducation, qui rejoignait le parking où son chien l’attendait frénétiquement.
Alexis, vous n’avez pas l’expérience d’Ibrahimovic, mais vous devenez tout doucement un ancien à Milan : le 2 février dernier, vous avez déjà fêté les 3 ans de votre premier match ici.
“J’étais encore un gamin quand je suis arrivé et je suis devenu un homme à Milan. Je travaille au quotidien avec des gens qui ont beaucoup d’expérience et de compétences dans leur domaine, ça te fait grandir plus vite.”
Comment sait-on qu’on est devenu un homme ?
“C’est un tout. Quand tu joues de grandes compétitions comme la Ligue des champions, ça t’oblige à grandir très vite. Tu n’as plus le droit à l’erreur. À Anderlecht, j’étais un enfant de club et on me passait quelques péchés de jeunesse. Et puis, beaucoup de choses ont évolué dans ma vie privée aussi. Ça m’aide bien au quotidien.”
Votre petite amie est une Milanaise. Qui supporte-t-elle ?
“L’AC évidemment, sinon il y aurait un problème (rires).”
Les supporters de Milan ne sont pas très heureux en ce moment. Comment expliquez-vous le gros creux de l’équipe ?
“La Coupe du monde a joué. On a récupéré des joueurs tard dans la préparation. On a joué la plupart des amicaux en étant loin d’avoir l’équipe type. Et on a quasi perdu tous les matchs. Ça rentre dans ta tête et tu reprends le championnat avec du négatif à l’esprit. Mais on doit se reprendre et jouer chaque rencontre à fond. Rien n’est encore perdu dans cette saison.”
“On a les capacités d’aller en finale de la Ligue des champions.”
Avec justement ce huitième de finale contre Tottenham. Un tirage abordable pour Milan.
“C’est vrai que c’est sans doute le meilleur tirage qu’on pouvait avoir. Mais on est aussi bien conscients que c’est une équipe du top 5 anglais. Les soirs de Ligue des champions ne sont pas des soirs comme les autres, il faudra être prêt.”
Quelle est l’ambition de Milan dans cette Ligue des champions ?
“On a les capacités d’aller en finale. On joue à Milan et on ne doit pas se fixer de limite. Sinon, pas la peine d’affronter Tottenham. On est très ambitieux et c’est juste normal dans un club aussi exigeant que Milan.”
En parlant d’exigence. Si on vous dit Juventus et Morata…
“Oui, je vois bien… Le moment le plus difficile que j’ai passé après un match. J’avais fait une petite erreur tactique et ça nous avait coûté un but de Morata (1-1 en septembre 2021). Tous les supporters me sont tombés dessus. Ce n’est pas simple quand 200 000 personnes t’envoient des messages haineux sur les réseaux sociaux. Rester fort mentalement n’est pas facile dans un moment comme ça. Mais ça montre à quel point ils aiment le club. Et même à quel point ils m’aiment, parce qu’ils veulent le meilleur de moi. Ça te fait une belle leçon. Tu ne fais plus la même erreur après. Les supporters ont leurs responsabilités dans cet apprentissage.”
On se fait aider psychologiquement quand on reçoit 200 000 messages de haine en quelques heures ?
“Certains se font aider, mais moi, j’intériorise beaucoup. J’ai essayé de montrer que ça ne m’atteignait pas, même si c’était le cas. J’étais touché, mais tu dois essayer d’oublier le plus vite possible et bien gérer tes émotions.”

Pour la gestion des émotions, avez-vous fait appel à votre pote Benoît Paire, le tennisman le plus fou du circuit ATP ?
“Non, non (rires). Je l’ai rencontré l’été passé dans le sud de la France. Un ami d’enfance est devenu entraîneur à l’académie de Patrick Mouratoglou, près d’Antibes. J’étais en vacances dans le coin et je voulais m’entraîner. Il m’a alors proposé de venir à l’académie et j’ai pu suivre une séance avec Benoît Paire qui était là aussi. On s’est bien entendus et on a même fini par un double que j’ai remporté avec Benoît contre Patrick Mouratoglou et mon pote. Je n’ai donc pas eu droit à une colère de Benoît (rires).”
Plus sérieusement, il paraît que le golf vous aide beaucoup.
“Oui, c’est vrai. C’est un sport qui m’apaise. Quand tu arrives sur le parcours, tu te déconnectes de toute la pression. Il faut être très concentré et c’est parfois ce qui me manque au foot. Ça ajoute une corde à mon arc.”
“J’ai eu plus de place que De Ketelaere, Origi et Vranckx pour m’insérer dans l’équipe.”
Peut-être faudrait-il conseiller le golf à Charles De Ketelaere, qui semble sous pression avec les 32 millions dépensés pour lui et un rendement décevant.
“Quand tu rentres dans l’équipe et que tu connais des moments difficiles, les supporters commencent à critiquer. Ça m’est arrivé aussi, mais Charles en ressortira plus fort. Je ne me tracasse pas pour lui. On voit qu’il a toutes les qualités pour le haut niveau. Il va prendre de l’assurance et il fera son chemin petit à petit. Je suis convaincu qu’on verra très prochainement le grand Charles, celui qu’on connaît en Belgique.”
Quand on voit les difficultés de De Ketelaere, mais aussi d’Origi et de Vranckx, cela ne valorise-t-il pas votre parcours à Milan ?
“Oui mais je dois quand même reconnaître que je suis arrivé dans une période où Milan était moins bien. Eux, ils débarquent chez le champion en titre, dans une équipe bien rodée. C’est plus difficile de s’y insérer. Quand je suis venu en janvier 2020, l’équipe était moins bien et il y avait forcément plus de place. Mais Charles, Divock et Aster vont s’adapter au foot italien, qui a ses particularités. J’essaie de les aider au quotidien. J’ai par exemple aidé Charles à trouver son appartement. Mais mon plus grand conseil, c’est d’apprendre l’italien au plus vite. Tout se fait dans cette langue ici. Même en ville, ce n’est pas toujours simple de trouver des gens qui maîtrisent l’anglais. Le souci, c’est qu’il y a un gros groupe d’une dizaine de francophones dans le vestiaire. Si c’était arrivé à mon arrivée, je ne parlerais peut-être toujours pas l’italien.”
Vous avez assimilé la langue et le football d’Italie, mais il reste un gros point de travail : les statistiques individuelles (2 buts et 1 assist cette saison).
“Je sais. Je dois donner un équilibre à l’équipe et j’ai pas mal de tâches défensives. Je fais beaucoup de courses et ce n’est pas toujours simple d’avoir l’énergie pour le dernier geste. Cette lucidité, c’est un point de travail à l’entraînement, même si je sais que le coach est content de mon apport.”
N’avez-vous parfois pas envie d’être plus égoïste en donnant moins d’énergie au travail défensif pour mieux briller devant ?
“J’ai cette mentalité de toujours vouloir aider l’équipe. Je ferai toujours les courses nécessaires. Que ça se remarque ou pas pour les gens de l’extérieur, ça m’importe peu. Tant qu’on gagne et que ça plaît au coach, je continuerai ainsi.”
“Olivier Giroud, c’est mon exemple, mon partenaire de foi et mon pote.”
Votre meilleur pote dans le vestiaire est aussi un fameux exemple en ce qui concerne la finition : Olivier Giroud.
“Oui, je l’observe beaucoup à l’entraînement. C’est impressionnant de voir à quel point il garde son sang-froid devant le but. On a des rôles différents sur le terrain, mais j’apprends avec lui. Parfois, je le chambre en lui disant qu’à mon âge, il jouait encore dans les bas-fonds du foot français (NdlR : Giroud évoluait à Tours en Ligue 2 à 23 ans), mais j’ai un immense respect pour son parcours. Il a toujours cru en lui alors que beaucoup de gens doutaient. Et le voilà meilleur buteur de l’histoire des Bleus. On le dénigre encore trop souvent et ça me chagrine. Je suis heureux de pouvoir dire qu’il est devenu un vrai pote, car c’est une belle personne, avec beaucoup d’humilité. On a même passé une partie de nos vacances ensemble. Notre foi nous rapproche aussi et on parle régulièrement de la religion. Olivier est important pour moi, il m’aide au quotidien.”
Il vous aide aussi à gérer la concurrence avec Junior Messias ? Dans la tête du coach Pioli, c’est lui ou c’est vous sur le flanc droit. Vous devez même souvent vous partager le temps de jeu sur un même match.
“Pour le coach, c’est important d’avoir deux joueurs compétitifs qui savent ajouter un boost à l’équipe à l’heure de jeu. Au début, c’est difficile d’accepter, mais il t’explique bien pourquoi tu ne joues quasi jamais les nonante minutes. Avec Messias, on se respecte. Il est beaucoup plus réservé. Il ne parle pas beaucoup, même avec le reste du groupe. Mais on forme une famille à Milan et il n’y a pas de tension ou de haine.”