Pour l'amour du risque

La mort de Michele Alboreto, à l'âge de 44 ans, relance à nouveau le débat autour de l'éternelle attirance que nourrit l'être humain envers la vitesse et le danger. Philippe Godin, professeur de psychologie et de psychologie du sport à l'Université Catholique de Louvain-la-Neuve (UCL), s'est prononcé sur la question.

PAR DAVID MARCELIS
Pour l'amour du risque
©Etienne Ansotte

ENTRETIEN

La mort de Michele Alboreto, à l'âge de 44 ans, relance à nouveau le débat autour de l'éternelle attirance que nourrit l'être humain envers la vitesse et le danger. Philippe Godin, professeur de psychologie et de psychologie du sport à l'Université Catholique de Louvain-la-Neuve (UCL), s'est prononcé sur la question.

Peut-on véritablement parler de «virus» ou «syndrome» de la vitesse?

Non, il n'existe pas de syndrome de la vitesse à proprement parler. Par contre, ce qui est largement démontré en psychologie, c'est ce qu'on va appeler les «sensation seekers», les personnalités qui recherchent ouvertement les risques.

Ce genre de besoin est-il présent chez chaque individu?

Oui, nous sommes tous sensibles à cette notion de recherche de sensations, mais à des degrés très différents. Les pilotes et en général toutes les personnes pratiquant des sports extrêmes sont des individus «hautement chargés» en recherche de sensations, c'est-à-dire que leur organisme, tant sur le plan physiologique que psychologique, a besoin d'un haut niveau d'activation pour se sentir bien, se sentir vivre.

Certains facteurs peuvent-ils influencer l'importance de ce besoin chez l'individu?

Oui, naturellement. C'est avant tout un facteur de personnalité; mais d'autres facteurs comme l'éducation, l'entourage, les conditions sociologiques, géographiques, culturelles, voire psychologiques interviennent aussi en ce sens qu'ils vont orienter l'individu dans la manière de satisfaire ce besoin. Certains vont choisir de faire un tour du monde à la voile, d'autres de faire de la moto

Ce besoin évolue-t-il au cours de l'existence?

Oui. On s'accorde en général pour constater qu'avec l'âge, il y a une certaine modification qui s'installe. Il s'agit d'une atténuation en général, c'est-à-dire que quelqu'un qui possède un degré de recherche de sensations très élevé va, avec l'âge, commencer à avoir «satisfait» cette recherche et va non pas être moins en attente de sensations, mais va plutôt les adapter. Il va moduler son envie, s'orienter vers d'autres pôles d'intérêt qui seront plus compatibles avec, notamment, les charges familiales et les responsabilités que l'on commence à prendre à partir d'un certain âge. Il y aura donc inflexion vers des activités comportant un degré de risque moins élevé. Il semble donc que M. Alboreto n'avait donc pas encore franchi ce seuil.

Le pas est-il franchi consciemment?

C'est difficile à dire. Ce qui est sûr, c'est que la recherche de sensations est un besoin, c'est donc quelque chose d'irrépressible. Il n'y a pas moyen de persuader un «sensation seeker» d'arrêter sa pratique alors qu'il est en plein épanouissement. C'est sa manière à lui de se réaliser, ça lui permet de relever les défis qu'il s'est lancés en fonction de son vécu. Il n'y a pas donc moyen de le raisonner, c'est-à-dire justement de faire intervenir des processus conscients.

La conscience voire la peur de la mort est-elle cependant présente?

D'une part, il peut y avoir des individus (qui, eux, friseraient à mon avis une forme de pathologie) qui vont affirmer et encore, il y a une marge entre ce qu'ils disent et ce qu'ils pensent que la mort n'est pas un problème et qu'ils n'y pensent pas. Mais je pense que pour la plupart, les gens qui recherchent ce genre de sensations sont au contraire très conscients des risques qu'ils prennent et vont d'ailleurs, dans leur pratique, prendre un maximum de précautions. Ce qu'ils vont faire, c'est bien sûr essayer de réduire la possibilité de risque d'accident mortel, mais le risque n'est jamais totalement nul.

© La Libre Belgique 2001

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