Net mais pas sans bavures

Olivier de Wilde

MAGNY-COURS D'un côté, il y a l'art et là personne ne discutera le talent incommensurable de Michael Schumacher. Le plus grand dans les chiffres, c'est indéniable. Le meilleur pilote de tous les temps ou du moins jusqu'à ce jour? Peut-être, même si personne n'est capable d'affirmer combien de titres Ayrton Senna aurait encore raflés -peut- être au détriment de Schumi- s'il n'était tragiquement disparu à l'âge de 34 ans un funeste 1er mai à Imola. On se souviendra aussi qu'Alain Prost pourrait en compter six si en 1988 on avait comptabilisé tous les résultats comme aujourd'hui plutôt que les 11 meilleurs et si en 1984 Jacky Ickx n'avait pas interrompu le GP de Monaco avant terme, divisant les points en deux l'année où le Français fut battu pour une demi-unité. Si l'on peut difficilement comparer la maîtrise du volant de l'Allemand à celle d'un Makinen, un McRae ou un Grönholm en rallye. Ou encore si l'on peut se demander si Fangio, Stewart, Button, Alonso, Raikkonen ou même votre boulanger s'il possède un don caché jamais développé n'irait ou n'aurait pas été plus vite dans la Ferrari. L'une des forces de Michael Schumacher a toujours été de savoir s'entourer. Des meil- leurs ingénieurs, mécaniciens et conseillers mais aussi d'équipiers qui justement n'étaient pas les meilleurs comme Irvine ou Barrichello. Contrairement à d'autres grands champions comme Lauda, Piquet, Mansell, Villeneuve, Prost ou Senna, le désormais quintuple champion du monde a toujours exigé d'être le n°1 dans son team. Et refusé la confrontation directe, à armes égales, avec un équipier qui pourrait le déranger.

Et de l'autre, il y a la manière. Ecrasante, insolente mais, hélas! aussi parfois au-delà des limites du sport.

Prétendre que Michael Schumacher a le pied droit le plus lourd de la planète est peut-être vrai. Comme pas mal d'artistes, sans doute faudra-t-il attendre qu'il raccroche ou disparaisse pour entrer dans la légende. Mais sa soif de succès est telle qu'il a certainement perdu en Autriche le 12 mai dernier une belle occasion de devenir aux yeux du monde entier un grand champion dans le sens noble du terme.

Un geste que tout le monde regrettera, y compris Michael lui- même, d'autant plus qu'aujourd'hui on peut mesurer combien il était superflu tant le score est net et sans appel.

Certes, l'Allemand qui n'avait jamais imaginé pouvoir être autant sifflé, insulté et hué par ses propres supporters et vécut des semaines pénibles a bien essayé de se racheter en renvoyant l'ascenseur à son équipier Barrichello au Nürburgring. Mais le mal était fait. Peut-être pensa-t-il aussi à cela hier au moment de verser une larme sur un podium où le champion laissa apparaître un visage humain. Cette cicatrice marquera à jamais l'année 2002, celle où Michael Schumacher a rejoint Fangio au palmarès, mais pas au titre de héros.

En refusant de passer le Brésilien, vainqueur moral, à même la ligne à Spielberg, Schumi, désigné vainqueur immoral condamné par le jury populaire mais par une FIA trop craintive et peu soucieuse du bon esprit de la F 1, aurait pu entrer dans la légende avant même hier. Mais pourquoi aurait-il refusé l'ordre qu'il aurait lui-même imposé, Jean Todt ne faisant que le couvrir après la course?

Même si les consignes ont toujours fait partie du sport automobile, dans ce contexte on pouvait considérer ce changement de positions comme une nouvelle bavure peut-être moins évidente et moins scandaleuse a priori que celles d'Adélaïde 1994 (accrochage avec Hill lui offrant son premier titre) ou de Jerez 1997 (accrochage avec Villeneuve). Mais moralement et sportivement peu dignes d'un champion, d'autant qu'il ne s'agissait pas là d'un mauvais réflexe mais d'un geste calculé d'une machine programmée pour gagner. Quelles que soient les circonstances ou les conséquences.

Gageons simplement que Michael Schumacher a retenu la leçon. Et saura se montrer encore plus grand à l'avenir. Dans les chiffres mais surtout dans son comportement sur la piste.

© Les Sports 2002

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