Schumacher, un champion, pas un mythe
Michael Schumacher vient de décrocher son sixième titre de champion du monde de Formule 1, un record qui paraissait irréalisable au XXe iècle. Le champion a dépassé Juan Manuel Fangio dans la légende du sport automobile mais l'homme n'a jamais fait l'unanimité.
Publié le 11-10-2003 à 00h00
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CONTREBRAQUAGES
Quand Michael Schumacher se regarde dans une glace, il voit le meilleur pilote du monde! Lui, il n'en doute pas un millième de seconde mais peut-on lui donner tort? Avec six titres de champion du monde -70 victoires en Grand Prix-, il vient de dépasser Juan Manuel Fangio, la légende. Tous les chiffres plaident en sa faveur, seul le record des pole position est toujours détenu par Ayrton Senna -65 contre 55 à ce jour pour Schumi.
Quand on regarde Michael Schumacher, on lit l'arrogance qui se dissimule à peine derrière ses traits anguleux. Si Ayrton Senna n'était pas un modèle d'humilité, lui non plus, le Brésilien avait au moins du charme. Inconsciemment ou pas, le public de la Formule 1 reproche à Schumacher de lui avoir succédé. Qui est le meilleur des deux? On ne le saura jamais, la trajectoire du Brésilien s'étant définitivement brisée à Imola un jour de mai 1994.
Senna se sentait investi d'une mission envers son pays. Il avait créé une fondation pour enfants déshérités au Brésil, il s'intéressait à la politique... En regard, Schumacher apparaît comme trop policé. Il aime sa femme Corinna -on ne lui connaît aucune frasque sentimentale-, ses enfants... le bon air de la Suisse et la solidité de ses coffres forts. C'est qu'avec Schumi, ils doivent être blindés! Son salaire était estimé à 1248000000 BEF (environ 31 millions d'euros) en 1997, hors contrats publicitaires. Et Dieu sait si l'homme a la faculté de se transformer en homme-sandwich... Bourreau de l'entraînement, méticuleux, le champion ne laisse rien au hasard. Ce côté «Mister Perfect» agace son entourage. Son ex-coéquipier Eddie Irvine, une sorte d'anti-Schumacher à vrai dire, disait de l'Allemand: «Michael ne s'arrête jamais. Quand il ne pilote pas en essais privés, il entretient sa condition physique ou conduit son kart. A mon avis, il devait être un enfant laid, sans amis. Il prend sa revanche...»
Premiers coups de volant. Michael Schumacher est né un 3 janvier 1969 à Kerpen, petite cité rhénane située à quelques kilomètres de Cologne, pas loin de la frontière belge. A Kerpen, il n'y a pas de syndicat d'initiative, pas de cartes touristiques. Les gens du cru disent que si vous allez vers la frontière belge, à Aix-la-Chapelle, les gens sont ennuyeux et si vous allez au sud, vers les montagnes de l'Eifel, ils sont également ennuyeux. Mais c'est ainsi que l'on vit à Kerpen... Rolf et Elisabeth Schumacher, ses parents, sont des gens tout à fait ordinaires. Mais Rolf voue une passion pour la course automobile et, surtout, il est habile de ses mains. Michael a 4 ans quand son père lui construit un petit kart propulsé par un moteur de mobylette. La légende veut que le petit Michael perdit le contrôle de l'engin dès le premier virage et qu'il termina sa course dans un lampadaire... Mais le gamin persévère et fait montre d'indéniables qualités. Ainsi, sur le tracé d'Horrem, Michael est le seul à sortir du garage quand il tombe des cordes. Le paternel n'est pas dupe mais le kart reste un sport onéreux et la famille Schumacher n'est pas riche, loin de là. Pour sauver la carrière balbutiante de son fils, Rolf se lance dans la location de karting à Mannheim et y installe sa famille. Chez les Schumacher, on joue la carte de la proximité.
Si l'adolescent pratique le judo, joue souvent au football, c'est tout naturellement vers le karting qu'il se dirige. Il devient champion d'Allemagne junior en 1985. Les observateurs s'accordent pour le considérer comme un très bon espoir mais pas comme un prodige. L'année suivante, il termine deuxième du championnat du monde junior. Une très belle performance mais pas de quoi lui assurer un avenir doré dans une discipline où gravir les échelons s'apparente souvent à un chemin de croix. N'empêche, à 18 ans, il devient champion d'Europe de karting et d'aucun se demande ce qu'il vaudrait au volant d'une monoplace. Quand on l'installe dans le baquet d'une Formule Ford 1600 sur le tracé d'Hockenheim, le garçon n'est pas du tout décontenancé. Peter Sieber, celui qui lui confia l'engin dira: «Voilà un garçon qui ne se contente pas de piloter, mais qui sent plein de choses au sujet de la voiture.»
On propose à Michael un volant en formule Koenig, des monoplaces pour les juniors. Sur les dix courses que compte le calendrier, Michael en remporte neuf. L'étape suivante est la formule 3, Michael a 19 ans et il reçoit une offre de Willi Weber, les deux hommes ne se quitteront plus, Weber devenant le manager et le confident du champion. Pourtant, cette année-là, Schumacher ne gagne pas, il termine deuxième ex quo avec Heinz-Harald Frentzen, à un point derrière Karl Wendlinger. Une génération dorée. La saison suivante, il gagne et au lieu de rejoindre la F 3000, l'antichambre de la F 1, il rejoint Mercedes pour disputer le championnat du monde des voitures de sport, pensant tirer parti d'une relation avec un grand constructeur.
Tout commença à Spa. Eté 1991, Grand Prix de Belgique, circuit de Spa-Francorchamps, le plus beau du monde, dit-on. Autour du circuit, des centaines de Belges arborent un tee-shirt «Free Gachot» du nom du pilote belgo-franco-luxembourgeois emprisonné à Londres pour avoir aspergé de spray paralysant un pilote de taxi. La justice par-delà le Channel ne badine pas avec la justice, la Formule 1 s'embarrasse rarement de sentiments. Eddie Jordan offre son volant libre à Schumacher. Les observateurs sont sceptiques, l'Allemand n'est pas reconnu pour avoir un sens inné de la vitesse. Dès les essais, le néophyte a tôt fait de clouer le bec aux détracteurs, il qualifie la voiture verte en septième position, loin devant Andrea De Cesaris, un vieux de la vieille que le jeune loup a dominé tout le week-end. Schumi abandonne dès le premier tour du Grand Prix mais qu'importe, il a marqué les esprits et le rusé Flavio Briatore, le patron de l'écurie Benetton, s'empresse de recruter le jeune prodige, au nez et à la barbe de Jordan et de Mercedes.
Saison 1992, à 23 ans, Michael Schumacher est le leader de l'écurie Benetton. La saison est dominée de la tête et des épaules par Nigel Mansell sur Williams-Renault mais l'arrivée de Schumacher est accueillie comme une véritable bouffée d'oxygène susceptible de titiller les cadors de l'époque: Prost-Senna-Mansell. Tout juste un an après ses débuts, il s'impose à Spa dans des conditions dantesques, la première victoire d'une longue série. Il termine troisième du championnat du monde, devant Ayrton Senna. En 1993, Mansell est parti en Indy, Alain Prost conquiert son quatrième titre de champion du monde, son dernier. Schumacher confirme son statut et s'impose au Portugal.
Prost à la retraite, 1994 est placé sous le signe du duel entre Ayrton Senna qui vient de signer chez Williams et Michael Schumacher, le jeune prodige. Ce dernier remporte les deux premiers Grand Prix de la saison, il prend l'ascendant psychologique. A Imola, Senna semble contrarié, le décès de Roland Ratzenberger aux essais a jeté le trouble sur le Grand Prix. Le Brésilien part en tête, mais pas pour longtemps... La mort est au bout du tournant. La F 1 perd son idole, Michael Schumacher son plus dangereux rival. Benetton domine la saison mais flirte avec les limites du règlement technique. L'Allemand est disqualifié à deux reprises et est suspendu pour deux Grand Prix. L'étonnant Damon Hill refait son retard si bien que le titre se joue à Adelaïde lors du dernier rendez-vous, l'Allemand n'a plus qu'un point d'avance. Au 36e our, la Benetton se dérobe et ricoche contre le rail. Trop empressé, en tout cas mal inspiré, Hill entreprend de dépasser la Benetton meurtrie au freinage. Schumacher n'a plus qu'une carte à abattre: provoquer l'accrochage, ce qu'il fait. Son premier titre restera souillé par ce geste déplacé, ce ne sera pas le seul...
Après un début de saison 1995 poussif, Michael Schumacher s'envole, écrasant la concurrence pour devenir le plus jeune double champion du monde. Le pilote est très fort mais peine à se faire aimer. Il lui faut un défi humain, ce sera Ferrari.
Le Baron Rouge. En 1996, cela fait dix-sept longues années qu'un pilote de la Scuderia n'a plus été sacré champion du monde. Trois ans auparavant, Lucas Di Montezemolo, le grand patron, a appelé Jean Todt au chevet de son cheval malade. Auréolé de ses succès chez Peugeot avec la 205 turbo 16, la 406 rallye et la 905, le petit français a entrepris de remettre de l'ordre dans la maison. Ce sera un travail de longue haleine... Commencent alors quatre années de purgatoire et de fortunes diverses. Avec une voiture moins performante, les succès de Schumacher n'en sont que plus retentissants. Dans l'adversité, l'Allemand force le respect. Damon Hill dira: «Même si vous êtes mieux armés que lui, Schumacher reste une menace. Quand vous menez un Grand Prix, vous sentez son souffle. Et quand vous baissez la garde, vous sentez sa morsure.» Un bel hommage. Mais si son cuir semble s'assouplir au contact de l'écurie latine, Schumacher dérape à nouveau fin 1997 à Jerez, dernier Grand Prix de la saison. L'Allemand possède un point d'avance sur le «rookie» Jacques Villeneuve qu'il coince à la corde au moment où ce dernier prend l'intérieur. Heureusement, la morale est sauve, la Ferrari s'immobilise et Villeneuve décroche le titre. Dans un milieu où la communication est au moins aussi importante que les actes, Schumacher persiste dans la mauvaise foi, il est déclassé au championnat du monde.
Schumacher est désormais un champion impopulaire et voit poindre la menace McLaren Mercedes et celle de Mika Hakkinen en particulier. L'Allemand signe six victoires mais doit s'incliner lors du dernier Grand Prix au Japon. En 1999, le fossé semble encore s'être creusé entre McLaren et Ferrari. Schumacher a le blues et pire, il tire tout droit à Silverstone et s'encastre violemment dans un mur de pneus. Bilan: une jambe brisée.
Pendant que les espoirs de Ferrari repose sur Eddie Irvine, un comble, la rumeur s'installe dans les paddocks: «Schumacher, père de famille, sera-t-il toujours Schumacher après avoir mesuré si brutalement les risques inhérents à la vie de pilote?» Bref, Schumacher peut-il revenir à son meilleur niveau? La réponse est cinglante. A Sepang, pour son retour, il atomise la concurrence pour offrir la victoire à Irvine. Si le titre des pilotes échappe une nouvelle fois à Ferrari, la voiture est désormais prête à damer le pion à la concurrence. En 2000, Hakkinen se bat comme un beau diable mais rend les armes lors de l'avant-dernière manche du championnat. Vingt-et-un ans après Jodi Scheckter, un pilote Ferrari était sacré champion du monde.
En 2001 et en 2002, la Ferrari est intouchable et son pilote ne laisse que des miettes à la concurrence. A surveiller comme le lait sur le feu quand il n'a pas la meilleure voiture, Michael Schumacher est tout simplement irrésistible lorsque sa monture est au point. Mais, pendant que McLaren est toujours à l'affût, Williams monte en puissance et, surtout, les pneus Michelin semblent plus performants que les Bridgestone qui équipent les Ferrari. Le manufacturier japonais sera-t-il le talon d'Achille de la Scuderia en 2003. Il s'en est fallu de peu. Après un été pourri, l'Allemand a su redresser la barre. A Monza tout d'abord, devant les Tifosi et, ensuite et surtout à Indianapolis, où dans des conditions difficiles, Michael Schumacher a fait parler sa maestria devant des jeunes loups -Montoya et Raikkonen- qui, s'ils ont les dents longues, ne les ont pas encore assez affûtées pour percer le cuir du pilote le plus expérimenté en Formule 1.
Sortie de route. Oui, Schumacher est un immense champion, non, il n'est pas une star! Croyez-vous qu'un jour on dise de quelqu'un qu'il «roule comme un Schumacher?» Peu probable quand même...
© La Libre Belgique 2003