Comment Schumi a doublé Fangio
Publié le 12-10-2003 à 00h00
SUZUKA Lorsqu'il s'est éteint le 17 juillet 1995 à l'âge de 84 ans, Juan Manuel Fangio, le plus grand pilote du XXe siècle et certainement le plus valeureux pionnier de la Formule 1, ne se doutait certainement pas que le jeune garçon qu'il avait rencontré quelques années auparavant lors d'un événement organisé par Mercedes, un certain Michael Schumacher devenu pour la première fois champion du monde en 1994, allait un jour égaler, puis battre son record de cinq titres mondiaux.
Loin de nous l'idée de comparer ces deux grands champions séparés par près d'un demi-siècle. Cinquante ans au cours desquels l'automobile et la course ont beaucoup évolué.
Avec six couronnes sur la dernière décennie, Schumi peut certainement être considéré comme le meilleur chevalier de la F 1 moderne. Mais en décrochant ses cinq titres durant les huit premières années du Championnat du Monde, l'Argentin restera à jamais le gentleman héros symbolisant les débuts de la discipline reine. Un nom gravé pour toujours dans la mémoire collective. Et il faudra encore attendre quelques années pour que l'expression populaire faire son Fangio en parlant d'un chauffeur à la conduite un peu trop sportive soit remplacée par faire son Schumacher.
«Une sorte de sacrilège»
A l'image de Michael, on peut entrer dans la légende, devenir une légende, mais il est difficile de... dépasser une légende ou d'établir une hiérarchie dans la galerie des dieux de la piste.
«Mon rêve est de rattraper et un jour d'égaler le record de Fangio, a un jour déclaré Ayrton Senna avant de disparaître tragiquement. Mais je ne voudrais jamais le dépasser. Je considérerais un peu cela comme un sacrilège.»
Sans doute est-ce pour cela que Schumi refusait toujours hier d'être comparé au mythique Fangio: «Je ne suis pas une légende, déclarait-il en toute modestie. Ce qu'a réalisé Juan Manuel Fangio reste unique compte tenu de l'époque et des conditions dans lesquelles il a réalisé ses exploits.»
On peut raisonnablement estimer que Michael Schumacher est meilleur pilote que Rubens Barrichello, David Coulthard ou Damon Hill. On peut le comparer à ses contemporains, même si en sport automobile la différence de matériel a son importance. Mais il est bien évidemment impossible de dire qui de Fangio, de Senna, de Prost, de Stewart, de Brabham, de Lauda ou de Schumacher est le plus fort. Les chiffres n'ont qu'une valeur statistique. Alors, au palmarès de titres mondiaux, l'actuel pilote Ferrari trône effectivement désormais seul en tête. Mais comme dirait Jacky Ickx, les records sont faits pour être battus. Et il y a fort à parier que celui-là aussi le sera un jour. Par l'Allemand lui-même peut-être d'abord. Ensuite par un Raikkonen, un Alonso, un Piquet Jr ou... un Mick Schumacher, son gamin aujourd'hui âgé de 4 ans.
«Essaye d'être le meilleur mais ne pense jamais que tu l'es...»
Cela n'empêche pas qu'il puisse le savourer : «Un jour, quand je prendrai ma retraite, je me mettrai dans mon fauteuil avec un cigare et un bon verre de whisky et je contemplerai ce que j'ai accompli.» Le citoyen de Kerpen pourra effectivement se dire alors qu'il était bien le meilleur pilote de sa génération, un des meilleurs de tous les temps, son nom risquant de rester en pole de bien des records pour encore très longtemps. «J'ai eu la chance de rencontrer un jour M. Fangio. Et je me souviendrai toujours du conseil qu'il m'avait donné: Pour réussir dans ce métier, tu dois essayer d'être le meilleur mais ne jamais penser que tu l'es.»
1994 (Benetton-Ford, 8 vict., 92 pts) : la plus disputée
On dit souvent que la première est la plus dure. Ce fut le cas pour le jeune Michael, alors âgé de seulement 25 ans, qui clôture sa 3e saison complète en F 1 par son premier titre mondial. Mais comme ce fut pénible ! Il y eut d'abord le décès d'Ayrton Senna à Imola dont Schumi était évidemment loin de se douter en fêtant sa victoire sur le podium. Cette année est aussi celle de son déclassement du GP d'Angleterre pour non-respect d'un drapeau noir avec comme sanction une suspension durant deux GP. En Belgique, le vainqueur Schumacher est également disqualifié, le sabot de sa Benetton-Ford étant trop usé. Et puis, il y a ces suspicions quant à la conformité de sa monoplace, Benetton étant soupçonné d'utiliser un système de traction control. Mais malgré tous les bâtons que la FIA lui a mis dans les roues et une monoplace au potentiel inférieur, celui que l'on surnomme encore tête de cuillère se présente au départ du dernier GP d'Australie avec un avantage d'un point sur son rival Damon Hill. Et lorsque, talonné par son rival, le fier Teuton commet une faute à mi-course en heurtant le mur, sa seule chance de conserver sa couronne est de revenir sur la piste et de heurter dans un malheureux geste réflexe qu'il n'avouera jamais la monoplace de son rival. Les deux hommes abandonnent, et Michael Schumacher décroche le titre (pour un point !) dans la controverse, la FIA plus laxiste à l'époque ne condamnant pas sa manoeuvre.
1995 (Benetton-Renault, 9vict., 102 pts) : merci Renault
En disposant cette année du même moteur que les Williams de ses principaux rivaux Damon Hill et David Coulthard, le jeune champion n'éprouve aucune difficulté à conserver sa couronne, le titre étant attribué bien avant l'heure grâce à 9 victoires. Mais le principal grand fait de cette saison est l'annonce du départ de Schumi quittant le clan Briatore pour récupérer le contrat prévu à l'origine pour Ayrton Senna à partir de 1996 et relever un nouveau défi avec Ferrari.
2000 (Ferrari, 9 vict., 108 pts) : 21 ans après Scheckter
Après avoir échoué de peu en 1997 (accrochage lors de la dernière course avec Villeneuve) et en 1998 (il cale au départ, part dernier, puis abandonne à Suzuka où Hakkinen s'impose) et avoir perdu le titre suite à l'accident de Silverstone l'écartant du circuit pour quelques GP, Michael Schumacher réalise enfin son rêve et celui des tifosi en devenant le premier pilote Ferrari à tresser les lauriers mondiaux depuis Jody Scheckter en 1979. Le double champion du monde Mika Hakkinen n'a cette fois rien pu faire pour contrer l'ogre Schumacher et son bolide rouge, lauréats de 9 Grand Prix et sacrés avant le terme de la saison. Le nouveau millénaire marque le début d'une nouvelle ère Ferrari et Schumi.
2001 (Ferrari, 9 vict., 123 pts) : vraiment trop fort
Après un début de saison marqué par quelques somptueux duels avec le débutant Montoya, la concurrence rentre dans le rang. Les McLaren-Mercedes et Williams- BMW éprouvent bien des difficultés à suivre le rythme d'une équipe Ferrari dans la spirale du succès. Et comme Rubens Barrichello ne peut contractuellement rien faire pour contrer son équipier, Schumi s'envole d'autant plus facilement vers un 4e titre en achevant la saison avec quasi le double de points de son dauphin Coulthard.
2002 (Ferrari, 11 vict., 144pts) : l'humiliation
La domination de Ferrari est tellement écrasante qu'elle en devient ennuyante. Dans ce contexte, la décision de Jean Todt de demander à Rubens Barrichello de laisser passer son équipier en vue de l'arrivée lors du GP d'Autriche tournera au scandale. Michael Schumacher, un peu honteux et refusant de monter sur la plus haute marche du podium, se fait siffler par le public et la presse. Evidemment qu'il n'avait pas besoin de cette victoire qui aurait pu être la plus belle de la carrière de Rubinho. Une fois le calme revenu, Michael essayera de se racheter plutôt maladroitement en offrant de manière trop flagrante deux succès à son pantin d'équipier avant la farce du GP des USA où les deux hommes tentent de franchir la ligne ensemble, le public étant encore floué et mécontent en voyant que c'est finalement Barrichello qui est bien involontairement déclaré vainqueur. Mais au cours de cette saison, et si l'on veut bien oublier l'erreur autrichienne, ce sont une nouvelle fois surtout les adversaires de la Scuderia qui ont été humiliés, Schumacher achevant l'année avec près du triple de points de Montoya et égalant le record de titres mondiaux de Juan Manuel Fangio.
2003 (Ferrari, 6 vict, 93 pts) : aide-toi, le ciel t'aidera
Si aux points, le 6e titre de Schumi fut moins disputé que le premier, sur la piste, cette 4e couronne consécutive décrochée avec Ferrari fut sans aucun doute la plus difficile. Car désormais la concurrence, surtout Williams-BMW et Michelin, a bien réagi. Et non seulement ils sont revenus à la hauteur de la F 2003-GA mais parfois l'ont devancé à la régulière. Schumi a passé un été difficile avec des gommes Bridgestone souffrant visiblement de la chaleur. Mais toute l'équipe a parfaitement réagi pour terminer la saison en trombe, l'Allemand, après la démonstration de Monza, étant quelque peu aidé et débarrassé de son principal rival Montoya aux USA avec le concours du ciel et des commissaires sportifs. Auparavant, Schumacher n'avait jamais été sacré avec si peu de succès (6). Preuve d'une saison âprement disputée.
© Les Sports 2003