Exploits, gloire et déboires à Francorchamps
De Bahrein à Suzuka en passant par Kuala Lumpur, des millions d’amateurs de sport automobile et motocycliste ont entendu parler de Francorchamps, sans même savoir qu’il s’agit d’un petit village belge au fin fond de l’Ardenne. Des débats des plus tendus Le parcours de rêve de Vettel
Publié le 28-08-2009 à 00h00
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De Bahrein à Suzuka en passant par Kuala Lumpur, des millions d’amateurs de sport automobile et motocycliste ont entendu parler de Francorchamps, sans même savoir qu’il s’agit d’un petit village belge au fin fond de l’Ardenne. On a beau dire, mais la Formule 1, dont certaines épreuves rivalisent d’effet soporifique avec la série télé Derrick, cela vous taille malgré tout une réputation mondiale. Justifiée en l’occurrence, car l’existence du circuit de Francorchamps coïncide avec celle des sports mécaniques. Le sous-titre du livre qui lui est consacré est explicite : "Histoire d’un circuit de 1896 à nos jours".
"L’automobile est née pour évoluer dans des sites naturels", écrivait Paul Frère pour la première édition de "Spa-Francorchamps". Gentleman pilote, journaliste, véritable penseur de l’automobile, Frère était la personnalité la plus adéquate pour préfacer une chronique dont lui-même a écrit quelques hauts faits : en 1951, il signait une cinquième place au Grand Prix de Formule 1, devenant le premier Belge à marquer des points dans ce championnat du monde. Et, en 1956, Paul Frère était deuxième de l’épreuve remportée par son coéquipier chez Ferrari, Peter Collins avant de remporter, en 1960, tant le Grand Prix de Spa que les 24 Heures du Mans.
A la base du circuit, un concours de circonstances. En plein dans la mouvance industrielle, la province de Liège participe à l’essor des "voitures sans chevaux". Aux temps héroïques, fin XIXe début XXe, on y compta jusqu’à 35 marques d’automobile, 41 de motocyclettes. A la même époque, les stations thermales étaient très en vogue. Têtes couronnées et autres grands du monde venaient se faire rincer les calculs rénaux à Spa, tout en nourrissant une passion parfois immodérée pour les nouveaux moyens de locomotion : l’aviation et l’automobile. Spa où, dès 1896, eut lieu une exposition d’autos, à l’hôtel de l’Europe, la première course de côte à Barisart, et la course en ligne vers Bruxelles, sur des routes n’ayant souvent de carrossable que le nom. Très vite, les notions de sécurité et de contrôle firent naître l’idée de circuit : celui des Ardennes est né, en 1902, qui disparut cinq ans plus tard.
Après 1918, à l’Est, l’horizon s’élargit quelque peu, avec l’incorporation de cantons dits rédimés. Dans l’esprit d’autorités locales et du pilote Henri Langlois, germe l’idée d’un circuit dans la vallée de l’Eau rouge, désormais débarrassée de ses postes de douane belge et allemand. Reliant Stavelot, Malmedy et le village de Francorchamps, sur les hauteurs de Spa, dans le sens contraire à celui, actuel, des aiguilles d’une montre, il est inauguré le 12 août 1921 par une course motocycliste. Première d’une longue série, celle d’autos a été annulée, faute de combattants, un seul concurrent s’étant inscrit. En 1922, le premier Grand Prix de Belgique est une course d’endurance de 24 heures pour voitures de sport. Vainqueurs, sur 603,2 km, un équipage belge, de Tornaco-Bruyère, respectivement pilote et mécano, sur une voiture belge, Impéria-Adabal.
Les nombreuses images de cet ouvrage donnent une idée du côté épique de l’affaire : les routes non encore asphaltées, les spectateurs, déjà nombreux, en chapeau et complètement inconscients du danger, tout comme ces pilotes héroïques, véritables têtes brûlées courant en veste de cuir ou salopette, coiffés d’une casquette Courses de motos et d’autos, de vitesse et d’endurance, se succédaient sur ce circuit d’un peu moins de 15 km, aux installations dérisoires. En attendant, les moyennes grimpent vite, dépassant les 100 km/h fin des années 20, les 150 milieu des années 30. Epoque des premières difficultés financières, et de l’invasion allemande, avec les surpuissantes Mercedes et Auto Union sur quatre roues, BMW sur quatre et deux. En 1938, la marque bavaroise remporte la course moto des 500 cc et la Coupe du Roi avec trois 328 classées Quant au fameux Raidillon, il date de 1939.
Considérablement dégradées pendant la guerre, les installations et la piste sont rénovées à partir de 1946, pour accueillir, dès 1947, un Grand Prix au bénéfice de l’Armée secrète, coorganisé par Pierre Stasse et Jacques Ickx, père d’un certain Jacky. Le tout est consolidé par une Intercommunale dès 1948. Ce n’est pas la fin des soucis financiers, loin de là, mais bien celle des marques belges, tant moto qu’auto. Durant l’époque d’or de la compétition automobile, tous les grands pilotes, toutes les grandes marques triomphèrent à Francorchamps. Juan-Manuel Fangio, Maurice Trintignant, Stirling Moss, Jack Brabham, Jim Clark, Jacky Ickx, Alain Prost, Ayrton Senna. Et Michael Schumacher, qui y débuta en remplaçant au pied levé Bertrand Gachot en 1991, avant d’y remporter sa première victoire en Grand Prix l’année suivante.
Entre-temps, plusieurs films ont été tournés sur le circuit ardennais : "Le Cercle infernal" (The Racers) en 1954, avec Kirk Douglas et une caméra embarquée sur la Maserati numéro 12, "Le Circuit de minuit" en 1956, "Grand-Prix", en 1966, avec Yves Montand et Françoise Hardy. Des difficultés financières vinrent plomber l’organisation des Grands Prix, pour cause de désaccord financier, en 1957 et 1959, mais Jean Graton y fit courir Michel Vaillant contre Steve Warson et Peter Collins dans la BD "Le Grand défi". En 1969, les pilotes jugent la sécurité insuffisante, idem en 1971, ce qui vaudra une éclipse de douze ans pour la F1. Une nouvelle piste, raccourcie de moitié (6,947 km), est inaugurée le 29 juin 1979, mais, mal wallon (voir le revêtement des routes et autoroutes), la mauvaise qualité de la piste n’autorise le retour de la F1 qu’en 1983. Interdiction de la publicité pour le tabac en 2003, imbroglio politico-financier en 2006, nécessité d’adaptation à de nouvelles règles de la Fédération internationale de l’automobile (Fia), tout cela conduit à des installations nouvelles et un tracé adapté dès 2007.
Malgré certaines incohérences, qui auraient pu être rectifiées pour cette réédition, et un manque rédactionnel entre 1997 et 2005, le livre "Spa-Francorchamps" tient la route, avec sa chronologie rythmée de photos et de palmarès. Précieux et passionnant outil qui manque de peu le niveau de référence. Francorchamps continue de déchaîner les passions, "son tracé reste celui d’un vrai circuit routier défini par la merveilleuse configuration du site ardennais dans lequel il s’inscrit", dit encore Paul Frère. Disparu le 23 février 2008 à l’âge de 91 ans, il continue de donner une âme à ce lieu où ses cendres ont été dispersées, au Raidillon. Un virage porte désormais le nom de Paul Frère, c’est la roue de la mémoire qui tourne.
"Spa-Francorchamps, Histoire d’un circuit de 1896 à nos jours", R. Bovy, Th. Galle, H. Maudoux, O. de Wilde, chez Luc Pire, 39,50 €La longue quête de la sécuritéLe premier pilote mort sur le circuit de Spa Francorchamps, au Grand Prix motos, le 2 août 1925, à hauteur du pont de Chefosse, est l’Anglais Holowell, qui eut droit à un monument représentant un casque ailé avec une aile brisée. Le premier pilote belge à mourir ici est Freddy Charlier, dont la Bugatti a terminé sa course contre la clôture d’un pré à vaches à Masta. C’était en 1929. Lui aussi aura droit à son monument, contrairement aux quatre gendarmes fauchés, dont un décédé, la même année. La sécurité est une notion qui évolue avec le temps. On ne tenait pas à sa peau comme on y tient aujourd’hui. Lors des premières courses automobiles et motocyclistes, de ville à ville, les spectateurs se massaient au bord des routes, comme au mont Ventoux lors du Tour de France. Pilote et mécanicien embarqué ne bénéficiaient d’aucune protection, dans des voitures au comportement plus qu’aléatoire. Le fait de faire passer ces compétitions sur circuit était déjà, en soi, un progrès immense pour la sécurité, que tous les aménagements successifs visèrent à accroître. Après avoir retenu une partie du public derrière un palissage de bois, un treillis de protection fut placé devant, ainsi que des sacs de sable aux endroits névralgiques. Ceux-ci furent ensuite remplacés par des bottes de paille puis des tas de pneumatiques. Dans un ancien corps de garde de l’armée, construit en 1939, une antenne médicale vit le jour en 1950, année où furent abattus les derniers arbres le long de la piste. Trente ans après la création du circuit Certains riverains rechignaient. Le terrible accident du Mans, en 1955, réveille les consciences : interpellée, l’organisation des courses interdit certaines zones au public. Elargissement de la route, création d’une piste de décélération, n’empêchent pas des années noires, comme 1960, où Chris Bristow (Cooper) et Alan Stacey (Lotus) se tuèrent en Grand Prix. Les premiers rails de sécurité furent posés en 1963, et doublés en 1970. Le revêtement, qui souffre moins depuis la fermeture du circuit à la circulation routière, fut cependant fait, refait, rerefait au fil du temps. Aujourd’hui, certains patrons d’écuries et pilotes trouvent que les zones de dégagement, trop larges et permettant de revenir en piste après une sortie, tuent une part de l’esprit de compétition. D.S.