A l'assaut de l'Everest

L'altitude peut rendre fou! Pour célébrer le 50 e anniversaire de la première exploration au sommet du monde, une équipe d'amateurs belges tente la palpitante aventure (filmée) du toit de la planète.

En janvier 2001, la longue rampe rocailleuse, sèche et gelée du Kilimandjaro est le sommet convoité. La montée à faible pente, interminable, de la cime de l'Afrique, qui pointe à 5895 mètres d'altitude, est gravie au sein de l'expédition par Arnaud Van Schevensteen, unijambiste.

Le 8 mai 2002, l'équipe atteint son sixième sommet: le Mont Cook en Nouvelle-Zélande. Celui-ci culmine à 3754 mètres et la sévérité de son environnement tranche avec le cadre paradisiaque de l'île Australe.

Après avoir gravi les points culminants de tous les continents, il restait à ces passionnés un défi - de taille - à franchir. Pour boucler la boucle des sept sommets, il manquait à notre équipe une ultime ascension. La plus démesurée. Celle de l'Everest.

«C'est l'ascension la plus dure, la plus éprouvante de la planète, mais aussi la plus belle, souligne l'astronaute Dirk Frimout, parrain de l'expédition. L'aventure de l'Everest est aussi belle que celle de l'espace.»

Si l'aventure est aussi belle, elle est presque aussi chère. Le budget d'une telle expédition est d'un million d'euros. Cette somme couvre les billets d'avions, le matériel technique (caméras de type professionnel, bancs de montage vidéo, liaisons satellites...), les installations sur place, la nourriture, mais aussi les permis de gravir la montagne, dont les sommes sont astronomiques. «Le gouvernement népalais exige un montant de 10000 € par membre de l'expédition, explique Pierre Haelterman, un des cameramen de l'aventure. A cela s'ajoute un forfait de 25000 € par groupe de 6 personnes».

Le groupe démarre le 27 mars prochain avec la ferme intention de gravir le sommet de l'Everest aux alentours du 28 mai. «Cette date n'est pas anodine, raconte Bernard de Launoit, chef de l'expédition. Elle coïncide avec la date anniversaire de l'exploit d'Edmund Hillary et de Tenzing Norgay.»

Cette raison ne suffit pourtant pas et la période du périple est aussi dictée par les conditions météorologiques parfois dantesques dans la région. «Après la fin de l'hiver, et avant la mousson, se crée presque chaque année une période de six à huit semaines de beau temps, explique, en homme averti, Anselme Baud, guide en chef de l'expédition. Il faudra donc être prêt pour cette période, bien que cette corniche de temps clément se répète à la fin de l'été. Après le 15 octobre, il s'avère très difficile et périlleux de prétendre grimper la montagne.»

Le corps et l'esprit au ralenti

Malgré ces précautions temporelles, le climat de l'Everest est susceptible de fausser la donne, sans crier gare. «Si le temps se gâte soudain, une belle journée en montagne peut s'achever par une véritable lutte pour survivre, déclare Bernard de Launoit. Qui plus est, la plupart des causes de mauvais temps sont amplifiées sur l'Everest en raison de l'altitude. Les montagnes créent leur propre climat mais l'Everest démultiplie tout.» Le drame du printemps 1996 qui causa la disparition de 15 personnes est la preuve que les risques d'une telle épopée demeurent permanents, sans compter les avalanches qui peuvent en un clin d'oeil ensevelir tout un campement.

Bien que les risques inhérents à la volonté du temps soient considérables, la plus grande crainte des aventuriers est liée à l'altitude. Au fur et à mesure de la montée vers les sommets, l'oxygène manque dans l'air. Au-delà de 3000mètres, près de la moitié des personnes souffrent de maux de tête, nausées, anorexie, insomnie, fatigue ou encore de vertige. Imaginez donc les difficultés rencontrées à 8000mètres d'altitude... «C'est pour contrer ce problème que nous allons gravir la montagne par étapes », prévient Anselme Baud.

Ainsi, le camp de base de l'expédition est fixé à 5350m. C'est là que seront installés les bancs de montage techniques. «Le camp de base est le même pour toutes les expéditions, explique Bernard de Launoit. On peut ainsi s'attendre à côtoyer environ 1200 personnes à cet endroit, durant l'expédition.» En effet, anniversaire aidant, les équipes seront nombreuses à vouloir commémorer l'ascension de l'Everest ce printemps. «Quoique, réplique de Launoit, le nombre d'accès délivré par le gouvernement Népalais est limité.»

Les alpinistes progresseront en direction de 4 autres camps. Le premier sera installé à 6000m, le second à 6200m, le troisième à 7400m et le dernier à 7925 m, avant le sommet et ses 8848m. «Les allers et retours entre les différents camps seront multiples pour permettre de s'acclimater aux altitudes les plus élevées, expose encore le guide de l'expédition. Nous allons également progresser doucement pour ne pas brûler nos cartouches physiques. La même prudence nous incite à rester plusieurs jours au camp de base pour vraiment nous habituer aux méfaits de l'altitude. Ainsi, par des températures comme nous en connaîtrons, et à l'altitude à laquelle nous évoluerons à partir du camp trois (NldR: 7400m), nous ne serons plus en possession que de 30pc de nos capacités physiques et mentales.»

A pareille altitude, lacer une chaussure prend une demi-heure, tellement le corps et l'esprit fonctionnent au ralenti. Songez à la situation de deux cordées différentes qui se disputent le passage dans une nichée étroite par plus de 7000mètres de hauteur. Comment prendre la meilleure décision? Difficile de le prévoir, mais la situation risque bien de se présenter.

«Techniquement parlant, la montée au sommet de l'Everest ne requiert pas de grande maîtrise technique, confie encore Pierre Haelterman. Monter l'Everest s'avère à cet égard moins périlleux que le Mont Cook, par exemple. La véritable difficulté est bien l'altitude...»

C'est cet écueil qui empêcha l'explorateur Alain Hubert d'atteindre le sommet, lors de ses 5 entreprises, c'est également cet obstacle qui causa la mort du Belge Pascal de Brouwer. «Celui-ci avait atteint le toit du monde en 1996, raconte Henri de Gerlache, réalisateur durant l'expédition. Sans oxygène, il y était resté deux heures...» La suite fut sa tombée tragique dans la descente. Le manque d'oxygène l'avait rendu presque fou... Hormis le malheureux, seuls deux Belges sont parvenus au sommet du monde, aucun francophone.

A titre de comparaison, si un hélicoptère avait la possibilité de larguer une personne non entraînée au sommet de l'Everest, celui-ci n'aurait plus qu'un quart d'heure à vivre avant de succomber d'un oedème pulmonaire. Les explorateurs, ne désirant courir aucun risque, emporteront des bouteilles d'oxygène pour éviter tout drame...

Fidèles sherpas

Dans la lutte contre la véhémence des éléments, les sherpas seront les plus fidèles alliés des aventuriers belges. Car l'Everest serait sans doute resté un inaccessible rêve d'explorateur sans l'aide de ce peuple unique qui, depuis plusieurs siècles vit à l'ombre des plus grands sommets de l'Himalaya.

Depuis les années 30, les sherpas, peuple bouddhiste de souche tibétaine, ont servi de guides à la quasi-totalité des expéditions abordant l'Everest du côté népalais. «Leurs villages étant situés au-dessus de 2700m d'altitude, les sherpas son physiologiquement mieux adaptés aux conditions rigoureuses de l'Everest que les grimpeurs qui font appel à eux, souligne Bernard de Launoit. Les sherpas sont l'histoire de la montagne.»

Les sherpas, en plus de faire partie de l'histoire de la montagne, permettront de la raconter, puisqu'ils serviront de relais entre les différents camps. «Nous avons l'intention de transmettre chaque jour trois minutes d'image sur notre vécu au jour le jour au milieu de l'Everest, poursuit Bernard de Launoit. Ces images seront transmises par satellite depuis notre camp de base. Dès lors, lorsque nous serons plus haut, les sherpas redescendront les cassettes de nos pérégrinations pour qu'elles soient envoyées quotidiennement vers la Belgique et la France.» Seuls des sherpas peuvent faire suivre un bagage, aussi léger soit-il, de 7500m à 5400m en moins de 24 heures, à pied...

Reste que l'expérience de l'Everest n'est définitivement pas à la portée de tous. «Nous convoitons le désir d'atteindre le sommet à treize», expose le chef d'expédition. «Si trois d'entre nous arrivent au sommet, même sans caméra, nous considérerons notre aventure comme une réussite», confie, plus réaliste, Pierre Haelterman, preuve que la cime du monde reste irrémédiablement l'apanage de rares aventuriers.

Les Tibétains l'appellent «Chomolungma» en hommage à leur déesse de la Mer et de la Terre. Les Népalais le surnomment «Sagarmatha», pour «Déesse du ciel». Les occidentaux l'appellent Everest depuis 1865, du nom du colonial qui dirigea une mission typographique britannique en Inde. Quel que soit le nom qu'on lui donne, le toit du monde, sommet presque inaccessible, a toujours représenté un mythe, particulièrement aux yeux des explorateurs, des amateurs de paris fous et de défis extrêmes. L'assaut des 8848 mètres du mont Everest constitue l'absolue légende des cimes de la planète. Parmi tant d'amateurs ayant tenté de la franchir, seule une poignée de passionnés est arrivée à atteindre et conquérir le zénith de la plus haute montagne du monde.

Il y a 50 ans, un alpiniste néo-zélandais et un sherpa népalais gravissaient les pans de la célèbre montagne pour y atteindre le sommet pour la première fois. L'exploit d'Edmund Hillary et de Tenzing Norgay reste suspendu au mystère planant sur l'expédition qui emmena, 29 ans plus tôt, Leigh Mallory et Andrew Irvine. Aucun de ces deux hommes ne revint et le silence de la montagne a étouffé leur exploit: «Ont-ils atteint ou non le sommet de la planète?» répètent en écho les alpinistes...

Un demi-siècle après la première exploration officielle au sommet, et comme pour célébrer celle-ci, des Belges vont tenter la fabuleuse aventure de l'Everest. L'expédition guidera 18 personnes dont 13 qui tenteront d'atteindre le toit de la planète. Emmenés par quelques professionnels français et suisses de la montagne, sept amateurs belges compteront sur leur passion de l'aventure pour entrouvrir les portes de l'extrême.

Une aventure qui ne se résume pas à une «simple ascension» au sommet, mais qui passe par la réalisation de trois films documentaires qui relateront cette montée. Ces trois films de 52 minutes seront racontés chacuns par trois narrateurs différents et présenteront trois regards: «les regards de Sagarmatha». Accéder au sommet de l'Everest est loin d'être une balade de santé. Filmer toute l'expédition revêt un caractère plus fou encore à l'aventure...

Même si «ils sont fous, ces Belges», ils n'en sont pas à leur coup d'essai en matière d'escalade et d'exploration visuelle des cimes du monde. L'aventure démarra pour eux en 1997. Cette année là, certains néo-explorateurs - un groupe d'amis - caressèrent le rêve de célébrer le centenaire du premier hivernage en Antarctique. Bravant le froid polaire (-55°) et le vent glacial, l'expédition arriva au sommet du Mont Vinson, culminant à 5.140 mètres d'altitude, le 30 décembre 1997, ramenant - déjà - un récit filmé de son exploit intitulé «Nuit Blanche»...

Un an plus tard, l'aventure s'est prolongée sur le sol rocailleux et enneigé du Mont Aconcagua, qui domine les Amériques du haut de ses 6959 mètres. De l'expédition sur la crête argentine, dressée comme un rempart, a été réalisé le film «Mémoire de Sentinelle».

En mai 1999, c'est l'ascension du Mont Elbrouz, en Russie, qui fait l'objet d'un reportage - et d'une ascension - de la part de la même équipe qui s'étoffe un peu. Le véritable et méconnu toit de l'Europe toisant la chaîne du Caucase du haut de ses 5641 mètres.

La quatrième étape d'aventuriers de moins en moins en herbe passe, en 2000, par le Mont Mc Kinley en Alaska (6195 m). Là aussi, le film documentaire reste prétexte à l'exploit.

© La Libre Belgique 2003

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