Jean-Michel Saive revient sur son parcours à l'occasion de ses 50 ans: "Tu voudrais l’écrire que tu ne pourrais pas…"
L’incroyable parcours, des JO de Séoul en 1988 à sa dernière balle à Auderghem en 2019.
Publié le 17-11-2019 à 09h02
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L’incroyable parcours, des JO de Séoul en 1988 à sa dernière balle à Auderghem en 2019. Voilà, le cap des 50 ans est passé pour Jean-Michel Saive qui a fêté ce dimanche 17 novembre son demi-siècle d’existence. Cinq décennies où son nom a été associé aux plus beaux résultats d’un pongiste belge dans toute l’histoire du tennis de table. Mais aussi le parcours d’un des plus grands athlètes du sport belge qui a participé à sept olympiades entre 1988, quand ce n’était encore qu’un jeune homme, et 2012, quand un quadragénaire hyper-motivé voulait réussir une dernière perf sous les yeux du monde entier. Avant d’entrer pleinement dans la deuxième partie de son existence, Jean-Mi, l’homme au short remonté et au fameux cri de victoire, Tcho, a jeté un oeil dans le rétroviseur pour évoquer ses expériences sportives, ses exploits…
1988, les Jeux de Séoul
"Mes premiers Jeux Olympiques. Une expérience incroyable. Les yeux grands ouverts d’admiration pour cette grande manifestation sportive qui m’a fait rêver depuis Montréal en 1976 avec les premières images à la télévision. Pour la première fois, le tennis de table était au programme et j’y étais. La qualification pour ces Jeux en novembre 1987 a été le tournant le plus important de ma carrière. Celui qui a tout déterminé pour la suite."
1992, les Jeux de Barcelone
"Une déception car j’arrive en Espagne comme vice-champion d’Europe et numéro 6 mondial. Je perds en huitième de finale contre un joueur autrichien d’origine chinoise qui était un peu ma bête noire. C’était l’avant-dernière fois que je perdais contre lui. À Barcelone, je n’ai pas bien. Après mon élimination je me suis bien amusé car c’était Barcelone, le soleil, la plage. J’ai toujours dit que c’était le Club Med des Jeux. D’ailleurs, pas mal de choses ont été recadrées après ces Jeux."
1996, les Jeux d’Atlanta
"Deux sentiments fort différents. La fierté d’être porte-drapeau et puis la grosse déception de perdre en quarts de finale. Jusqu’en huitième tout s’est enchaîné en ne perdant pas un seul set. Puis il y a en un jour de repos entre les huitièmes et les quarts. Je ne suis pas allé m’entraîner car je voulais me reposer et finalement cela m’a fait perdre mon rythme. Un peu comme un cycliste après le jour de repos au tour de France."

2000, les Jeux de Sydney
"Je parviens à vaincre le signe indien puisqu’au premier tour, j’élimine Petr Korbel qui m’avait battu à Atlanta en 1996. En gagnant ce match, c’est un peu comme si je me remettais en paix avec moi-même. Puis on fait un super match avec Jan-Ove Waldner. Avec notamment un troisième set très serré. Il le gagne 21-19 puis il va gagner le match et il poursuit sa route jusqu’en finale derrière. Je suis tombé sur un gros Waldner."
2004, les Jeux d’Athènes
"Un peu la même chose qu’en 1996 avec des sentiments partagés. La fierté d’être porte-drapeau pour la deuxième fois, ce qui n’était pas prévu du tout. Cela devait être Justine Henin mais elle avait son premier match dans le tournoi le lendemain de la cérémonie d’ouverture. Donc au dernier moment Eddy De Smedt (NdlR : le chef de mission) m’a téléphoné alors que j’étais en Belgique. Il a fallu trouver une place dans un avion. Je suis parti le jour même de la cérémonie d’ouverture. C’est peut-être mon moment olympique le plus fort car inattendu. En 1996, j’espérais être porte-drapeau. En 2004 je n’y pensais pas. Je livre un match spectaculaire mais je le perds tout juste. Définitivement cela ne veut pas tourner aux Jeux pour moi."
2008, les Jeux de Pékin
"Je bats un record en tennis de table en participant à mes sixièmes Jeux qui se déroulent au pays du ping donc je suis content d’y être alors que j’affiche 38 ans au compteur. Comme en 2004, je livre un bon match mais je tombe sur un joueur en feu et cela passe pour lui. L’histoire se répète. Si tu prononces maintenant correctement mon nom en Chine (NdlR : Tai sai fou) à des personnes de plus de 30 ans, la chance soit grande qu’ils me connaissent. Ce qui est assez fou."
2012, les Jeux de Londres
"Il y a chez moi la volonté d’aller une dernière fois aux Jeux, d’avoir le record en Belgique et au niveau du tennis de table. Je suis très content de voir un quadragénaire passer le premier tour. Je ne vais pas faire mon Calimero mais sur une balle dans le premier match, je plonge pour la remettre et le lendemain quand je me lève pour aller jouer le deuxième tour, mon dos est bloqué. À l’échauffement, je ne peux même pas bouger correctement et aller plein coup droit. Quand je revois les images, j’ai mal pour moi car je suis en transpiration et en souffrance. À mes yeux, il était impossible d’abandonner. Surtout pas aux Jeux."
515
"Le nombre de jours comme numéro 1 mondial sur deux périodes différentes. C’est ce qui revient en premier sur mon C.V.. Quand on voit la domination des Chinois sur notre sport pendant les années 80, c’est dingue. Finalement, on n’est pas beaucoup d’Européens à avoir été numéro 1 au monde."
1993, Göteborg
"La dernière balle et l’après compétition sont difficiles mais c’est un superbe souvenir, je deviens quand même vice-champion du monde. Je bats pour la première fois dans ce tournoi Ma Wenge qui est le Chinois numéro 1 et j’empêche la Chine d’avoir un gars sur le podium. Ce qui arrive pour la première fois depuis la nuit des temps. Il ne manque pas grand-chose pour être champion du monde. Je dois gagner le premier set où je mène tout le temps mais à 19-19, Gatien rentre deux points de folie. Puis voilà…"
1994, Birmingham
"Champion d’Europe dans une compétition qui vaut un championnat du monde car Waldner et moi on est 1 et 2. Je suis devenu numéro 1 mondial en battant deux fois en finale notre Federer à nous qui était Waldner. J’ai dû aller taper le meilleur, le Mozart de notre discipline, deux fois dans des compétitions importantes, pour prouver que c’était bien moi le numéro 1 mondial pendant cette période-là."

9 mai 2019
"Incroyable, incroyable, vraiment incroyable. Je souhaite à tous les sportifs une fin de carrière comme la mienne ce jour-là. Une soirée avec de la générosité, de la spontanéité, de l’humanité et du retour. Sincèrement, je ne voulais rien faire puisque j’avais déjà fait une conférence de presse en 2015 pour annoncer la fin de ma carrière internationale. Je ne voulais pas être le mec casse-pieds qui annonçait maintenant la fin tout court de son parcours sportif. Une fois que le Logis Auderghem, mon club, a annoncé que je n’allais plus jouer, cela s’est emballé pendant trois semaines avec un nombre incroyable de gentillesses, d’amour, de messages. Ce dernier match dans une salle trop petite, dans le local du club, c’était génial. Cela a donné une dimension humaine superbe. La dernière balle, elle dure 2 minutes 30. Tu voudrais l’écrire que tu ne pourrais pas."
La Villette Charleroi
"Comme Liégeois, je suis devenu Carolo d’adoption. Je retiens 22 années d’un parcours incroyable. Surtout 20 car je suis triste de la fin à La Villette et le non-après. Sportivement, on restera lié par tous ces matchs télévisés avec une ambiance de feu et un palmarès incroyable. Treize finales de Ligue des Champions, sept gagnées et champion du monde des clubs, c’est dingue d’avoir tenu si longtemps."
Le Logis Auderghem
"C’est la folie. J’étais tellement associé à La Villette Charleroi que, pour tout le monde, c’était impossible de me voir jouer ailleurs. Quand j’ai dû quitter Charleroi, trop tard parce que j’étais le dernier à partir, je suis arrivé à Auderghem. Bien sûr, on ne jouait plus les premiers rôles au niveau européen. Par contre, le championnat et la Coupe de Belgique représentaient une véritable valeur car, quand on les gagnait avec La Villette, c’était tout à fait normal. On était tellement au-dessus de tous les autres. J’ai retrouvé à Auderghem des valeurs humaines importantes. Je ne m’attendais pas à vivre cela."
“La complexité de notre pays forge le caractère de nos athlètes…”
Comme de nombreux grands sportifs belges, Jean-Michel Saive a connu le monde de la débrouille pour arriver au sommet. La Belgique n’étant ni la France ou les États-Unis en ce qui concerne les facilités mises en place pour les athlètes. Mais ce contexte parfois usant forge quand même le caractère de nos sportifs de haut niveau.
“Malgré notre pays compliqué et complexe, les résultats des sportifs belges sont positifs”, explique l’actuel vice-président du COIB. “Je pense que dans nos complexités, nos sportifs vont chercher la force de caractère pour trouver les ressources nécessaires. Et cela nous donne une force en plus car sinon on serait toujours battu par les Français qui possèdent un système plus performant. Quand tu es dirigeant, il faut trouver un juste milieu. Car quand tu donnes trop, certains athlètes pourraient devenir un peu trop assistés et leur niveau diminuerait. C’est un paradoxe fou. Je reste persuadé qu’il faut augmenter la qualité des infrastructures et le professionnalisme qui entoure les athlètes mais il ne faut pas aller à l’excès total. Sinon cela devient du cocooning. Et tu restes alors dans ta zone de confort. Et pour un sportif, c’est néfaste.”
“Avec Phil, c’est incroyable d’avoir fait ce parcours ensemble…”
Quand on demande à Jean-Michel Saive de parler de son jeune frère, Philippe, une certaine émotion se fait inévitablement ressentir dans ses paroles…
“C’est incroyable d’avoir fait ce parcours ensemble. Cela n’a pas toujours été facile pour nos parents, pour lui et pour moi. Mais quel parcours de vie, de famille. Commencer le ping sur la table de la cuisine et puis de se retrouver à gagner contre la Chine dans notre commune (NdlR : Ans), être vice-champions du monde et gagner la Ligue européenne. C’est génial d’avoir les mêmes passions et un lien aussi fort. Avec des moments super hauts mais aussi des moments un peu plus tendus comme cela peut arriver dans toutes les familles. D’autant plus qu’on a joué je ne sais pas combien de fois l’un contre l’autre la finale du championnat de Belgique. Des finales qu’on voulait tous les deux gagner parce que nous sommes de grands compétiteurs. Mais il y a une grande complicité entre nous. En dehors de notre sport mais aussi quand on fait les shows ensemble. On aime bien se prendre en dérision. C’est pour cela qu’on fait les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.”