Kim Gevaert et Kévin Borlée, la passion du relais en commun: "Les médailles, ce sont des moments qui définissent une carrière"
La championne olympique en relais 4x100 m et le leader du relais 4x400 m se rejoignent sur ce point. Et sur bien d’autres encore…
Publié le 30-07-2021 à 08h37 - Mis à jour le 30-07-2021 à 14h59
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Kim Gevaert, ancienne capitaine du relais 4x100 m sacré champion olympique 2008, et Kévin Borlée, le leader des Belgian Tornados, ont accepté une discussion à bâtons rompus, dans les locaux de La DH-Les Sports+, pour évoquer leurs souvenirs olympiques, ces relais qu’ils affectionnent tant et cette médaille olympique que l’une possède et que l’autre chasse.
Kévin, vous avez toujours été admiratif du relais 4x100 m. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi et quel a été l’impact de son succès ?
"En 2007, j’avais regardé les Mondiaux d’Osaka à la télévision où les filles ont remporté le bronze. Là, déjà, c’était un peu l’euphorie. Et puis, en 2008, il y a l’euphorie personnelle de Jeux réussis. Puis, quand on a assisté à la finale du relais 4x100 m, j’ai ressenti une énergie de dingue. C’est très inspirant ! Quand on voit cette équipe y arriver, à la veille de sa propre course, c’est incroyable, on se dit que tout est possible. Du rêve à la réalité, on se rend compte qu’il n’y a pas toujours un fossé. Il faut une structure, beaucoup de travail et se persuader qu’on peut le faire. Mais en 2008, à 20 ans, je n’avais pas encore conscience de tout ce qui avait été mis en place en sept ans pour en arriver à cette médaille d’or. Cette prestation a débloqué quelque chose au niveau mental. On a souvent tendance à parler de la petite Belgique, mais c’est bien la preuve qu’il faut toujours y croire. Ça évolue parce que les sportifs aussi changent de mentalité. Ils sont plus optimistes, ils ont ‘envie de’. On se rend compte que rien n’est impossible."
Kim, ce résultat était-il l’aboutissement d’un projet de plusieurs années ?
"Oui, absolument, le point de départ a été Edmonton 2001. On avait dû se battre pour pouvoir partir aux Mondiaux parce que le règlement de l’époque était différent : il fallait au moins deux sprinteuses en 11.25 sur 100 m et on ne les avait pas. Rudi (Diels) et Patrick (Himschoot) ont beaucoup discuté pour convaincre la fédération qu’on pouvait travailler sur les passages de témoin et faire quelque chose en équipe. Après beaucoup de lobbying, l’idée a été acceptée, on a fait les minima imposés, je crois que c’était même le dernier jour, et l’équipe est partie (NdlR : Nancy Callaerts, Katleen De Caluwé, Élodie Ouédraogo et Kim Gevaert ont terminé quatrièmes de leur série en 44.19), mais on sentait que les gens nous regardaient un peu comme des touristes. Moi, ça allait encore parce que je m’étais qualifiée en 100 m et en 200 m, mais pour les autres ce n’était pas toujours très respectueux peut-être. On nous appelait même les Spice Girls. Et, voyez, sept ans plus tard, les Spice Girls sont devenues championnes olympiques (sourire) ! "
Par quelles étapes êtes-vous passées entre 2001 et 2008 ? A-t-il été difficile de maintenir ce projet ?
"On a toujours eu la volonté de faire de bons résultats en équipe. Personnellement, ça me détendait. L’athlétisme reste un sport individuel et, à la fin de l’entraînement, c’était chouette de faire quelques passages avec Élodie. C’était donc un projet fun au début, nous étions avant tout des filles qui s’entendaient bien. Avec les années, les sponsors et les gens autour de nous ont commencé à croire en nous, et nous-mêmes aussi ! Ensuite on a grandi très vite. En 2002 on a pris la 4e place aux championnats d’Europe, pas si loin du podium, et on a réalisé qu’on pouvait faire quelque chose de bien. À partir de là, tout a changé, les filles ont reçu un contrat chez Sport Vlaanderen, on a reçu du soutien, des moyens et le projet est devenu soutenu plus largement que juste par les entraîneurs et nous les athlètes."
À quel moment avez-vous commencé à croire à une médaille au niveau mondial ?
"En 2004, on a fait sixièmes aux Jeux Athènes avec un départ raté de Kathleen. (Elle rigole.) En fait, elle avait oublié ses spikes au stade d’échauffement, qui était à une heure du stade olympique, et c’était un gros moment de stress. Pendant la compétition, elle n’a pas eu sa concentration habituelle, elle a cru à un faux départ et elle a très fort ralenti, ce qui est mortel en 4x100 m. Bon, on ne s’est jamais disputées à cause de ça, mais quand même… Et dire que c’était la plus ‘tueuse’ de nous toutes ! Déjà à ce moment-là il était envisageable de monter un jour sur le podium olympique. On n’a jamais prononcé ouvertement cette ambition mais on l’avait en tête. Ce n’est qu’à partir d’Osaka, et de notre médaille de bronze, qu’on a visé ouvertement cette médaille."
Avez-vous le souvenir, Kévin, de tels moments de stress ?
"Aux Mondiaux 2015, quand Dylan s’est blessé à l’échauffement. On est passés d’un moment où on se dit ‘let’s go, on peut faire quelque chose’ à ‘OK, on va courir et on verra bien’. Pour toute l’équipe, c’était difficile. Jonathan est passé de la deuxième à la première position, or ce n’est pas la même préparation. Et on a chamboulé toute l’équipe, sachant que ce serait très compliqué."
La gestion de l’inviduel et du relais est un enjeu important pour nos relais. Cela vous posait-il problème, Kim ?
"Je n’étais pas dans le calcul parce que je devais vraiment faire les séries, c’était trop risqué pour l’équipe de s’aligner sans moi. Mais c’est sûr que 100 m, 200 m et 4x100 m, c’était beaucoup. Si mon corps était bien, j’en étais capable. Mais j’avais des soucis au tendon d’Achille à ce moment-là, en 2008, et je sentais après le 100 m que je risquais de ne plus pouvoir aider le relais. Ce n’était pas facile sur le moment de faire un choix, on n’a pas de boule de cristal, mais on a quand même pris la décision de faire l’impasse sur le 200 m pour se concentrer sur le relais. Mes tendons avaient besoin de deux jours de repos pour enchaîner séries et finale avec l’équipe. C’était le bon choix. En 200 m, en plus, Allyson Felix et Sanya Richards étaient présentes, je n’aurais pas pu faire mieux qu’une 6e place peut-être."
Le relais vous a-t-il aidée à obtenir quelque chose que vous n’auriez pu avoir en individuel
"Oui, absolument ! J’arrivais souvent en finale mais la médaille mondiale lors des championnats outdoor était très difficile à atteindre. Le relais m’a permis d’avoir cette médaille et de vivre ces émotions uniques."
Que représente cette médaille olympique pour vous ?
"Oh, beaucoup de choses. C’est un peu le résumé de ma carrière, la cerise sur le gâteau. Je suis très reconnaissante d’avoir pu terminer ma carrière au sommet, ensemble, avec l’équipe. Il n’y avait pas plus beau symbole. C’est quelque chose de très beau de terminer sur une médaille olympique. C’est ce que beaucoup de sportifs espèrent et je l’ai réussi."
Juste avant, lors du stage d’acclimatation, vous aviez annoncé votre arrêt quoi qu’il arrive…
"Oui, c’était un peu risqué (rires). Et maintenant, parfois, avec le recul, je me dis que j’aurais peut-être pu continuer un an ou deux. Mais, à ce moment-là, ma tête n’était déjà plus à 100 % concentrée sur la piste. Physiquement, j’aurais peut-être pu revenir après trois ans et un bébé, mais bon…"
C’est vrai qu’il y avait encore des choses à faire avec ce relais 4x100 m.
"Les filles ont couru la finale européenne en 2010 à Barcelone où cela ne s’est pas trop bien passé malheureusement avec une transmission manquée. Elles étaient toujours capables de faire de grandes choses mais je trouve toujours un peu dommage qu’un projet pareil finisse par être abandonné. Il faut garder de la continuité, s’entraîner avec une équipe même si les résultats en individuel sont un peu moins bons, et ne pas chaque fois reprendre tout à zéro. Ce que le relais 4x400 m a réussi, en étant présent chaque année dans les grands championnats, c’est quelque chose d’exceptionnel. J’ai lu que des projets de relais avaient récemment repris vie, tant mieux !"
On avait parlé de vous comme coach après les JO de Rio.
"Oui, j’en avais bien envie. On avait un peu relancé ce projet avec Rudi (Diels). Après j’ai eu un quatrième enfant, Nora, c’était plus compliqué, d’autant qu’il y a eu d’autres projets aussi. Mais ils savent que s’ils ont besoin de moi, si je peux faire quelque chose, ce serait avec grand plaisir."
Kévin, échangeriez-vous une de vos médailles contre une médaille olympique ?
"C’est difficile à dire parce que des émotions sont liées à chacune des médailles que j’ai remportées. Et, à l’heure actuelle, je n’ai pas d’émotion particulière quand je pense à une possible médaille olympique, même si c’est ce que je veux plus que tout. Je vais tout faire pour aller la chercher mais je ne peux pas dire que je veux en échanger une autre… Des médailles, ce sont des moments qui définissent une carrière. J’ai fait trois Jeux olympiques et c’était trois charges émotionnelles complètement différentes."
Kim : "Choisir entre les médailles ou entre les performances, c’est compliqué. Même si j’adore ce qu’on a vécu aux Jeux, il y a eu d’autres moments très forts émotionnellement dans ma carrière. Je n’ai jamais été aussi émue que lorsque je suis devenue championne d’Europe indoor sur 60 m : c’était la première fois et j’étais tellement étonnée d’avoir gagné ! Ça m’avait bouleversée à un tel point que je n’oublierai jamais ce moment-là. Donc choisir entre tes médailles, c’est un peu comme si on te demandait de choisir entre tes enfants. On les aime toutes pour différentes raisons."