L'équitation belge s'offre une nouvelle médaille olympique, 45 ans plus tard: de la chance mais pas du hasard
La dernière médaille olympique belge en équitation remonte à 45 ans.
Publié le 09-08-2021 à 10h58 - Mis à jour le 09-08-2021 à 11h00
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"Les gars, vous ne buvez pas tout le champagne, hein !" Jérôme Guéry bondit dans tous les sens, encore excité par la magnifique médaille de bronze qu'il porte autour du cou. "Elle est là", ajoute-t-il en la secouant.
Après le titre de champion d’Europe acquis à Rotterdam en 2019, l’équipe belge a remis le couvert avec la première médaille olympique en équitation depuis 45 ans.
En 1976 à Montréal, les Belges avaient été troisièmes au jumping par équipe, sous le leadership de François Mathy, également en bronze en individuel cette année-là.
"Cela faisait un moment et soyons en fiers", sourit Grégory Wathelet. "Honnêtement, cette médaille compte plus à mes yeux qu'un titre de champion d'Europe. Ce sont les Jeux olympiques. La plus grande scène au monde. J'ai encore du mal à réaliser mais ce que nous avons fait est grand."
Jérôme Guéry va même plus loin dans la réflexion. "D'un point de vue personnel, c'est mon plus grand rêve d'enfance qui se réalise. Nous venons de décrocher la plus belle médaille de l'histoire de l'équitation belge. Il y a 45 ans, le sport n'était pas le même. Ce concours de Tokyo était de très haut niveau et nous avons réalisé une énorme prestation."

Un final fou
Guéry a été le grand monsieur des deux journées. Un petit point de pénalité vendredi et un parcours parfait samedi, il a mis l’équipe en bonne position.
"J'ai été parfait pour l'équipe et mon cheval aussi", résume-t-il. Ce qui n'a pas empêché l'équipe de devoir attendre la dernière cavalière pour que la décision tombe.
"Je n'ai pas réalisé le parcours que je souhaitais", affirme Wathelet, dernier cavalier belge. "Je touche deux barres. Sur le moment j'étais déçu et je m'en serais énormément voulu si nous avions terminé quatrièmes. Je savais qu'avec une erreur, ça pouvait passer. Avec deux, je nous compliquais fameusement la tâche."
Guéry affirme qu’il pensait le rêve de l’équipe envolé. Jusqu’à ce que la Française Pénélope Leprevost voit son cheval refuser un obstacle à deux reprises. Les Belges savaient alors que la médaille leur revenait.
"La France, dernière équipe en lice, avait le droit de commettre trois fautes pour rester sur le podium", dit Guéry. "Même quand elle s'arrête, nous ne savions pas encore si nous étions médaillés. L'officialisation a été une délivrance. On a sauté comme si on avait gagné."
Au point de ne pas avoir regardé plus haut dans le classement. Ils n’étaient qu’à une barre d’un barrage pour la médaille d’or. Pas grave, disent-ils de concert. L’important était une médaille, pas spécialement sa couleur.
"Nous étions là pour être dans le top 3, pour assumer notre statut de numéro 1 mondial par équipe", dit Pieter Devos. "Pour ce que nous montrons depuis des années ensemble, c'est mérité. Cela n'en reste pas moins phénoménal."
Une grosse prestation globale
L'erreur de la France n'enlève, selon eux, rien à la beauté du résultat. "Pour gagner en jumping, tu dois attendre une erreur de ton adversaire", rit Wathelet. "Alors, qu'elle arrive avant notre passage ou après importe peu."
Les cavaliers ont réalisé une prestation globale de haut niveau - seulement 12 points de pénalité - et sont sortis de la piste la tête haute, fiers d’avoir pu montrer ce dont ils étaient capables après une finale du concours individuel compliquée.
"Je dois surtout remercier ma jument", affirme Devos. "Nous étions en totale osmose lors des deux journées. Peut-être que, plus que la médaille, c'est cette qualité de travail qui me rend extrêmement fier ce soir."
Devos est le miraculé de cette équipe. Il a été sélectionné en tant que réserviste suite à la blessure du cheval d'Yves Vanderhasselt avant de prendre la place de Niels Bruynseels dans le trio de titulaires. "On peut parler de montagnes russes, plaisante-t-il. "Je passe de numéro 5 à médaillé de bronze. J'ai été des années parmi le top 10 mondial de la discipline. J'étais frustré de voir des cavaliers d'autres nations moins bien classés présents et pas moi. Mais j'ai fait la part des choses pour rester concentré. J'en suis récompensé."
Sous peu, tous les détails de cette soirée et même de cette semaine folle seront oubliés. Seuls compteront leur médaille et leur nom gravé dans le palmarès des médaillés belges aux Jeux olympiques. "Et on réalisera peut-être pleinement ce que nous avons accompli", conclut le trio.
Le sacrifice de Bruynseels a payé
Niels Bruynseels a décidé, après un concours individuel compliqué, de ne pas participer à la compétition par équipe.
"Il n'a pas mérité de devoir faire ce pas de côté", dit Pieter Devos, qui l'a remplacé. "Son cheval, Delux van T&L, a fait un mouvement qu'il ne devait pas."
Ses équipiers ont souhaité souligner sa décision. S’il avait agi égoïstement et choisi de rester dans le concours malgré le manque de confiance qui l’habitait vis-à-vis de sa monture, les Belges seraient peut-être passés à côté de la médaille.
"Et il ne faut donc pas oublier ce qu'il a réalisé", insiste Grégory Wathelet. "Il a été fantastique, nous a encouragés et nous a conseillés."
Et Pieter Devos d'ajouter : "Nous considérons avoir gagné la médaille à quatre. Niels est un ami et je sais que ne pas monter sur ce podium est difficile pour lui."
La récompense pour une génération dorée
Voilà quarante-cinq ans que la Belgique courait après une médaille olympique dans les sports équestres. Comme en 1976, c’est le saut d’obstacles qui la lui a offert. Et comme à Montréal, elle est de bronze, pour l’équipe. Il faudra certes encore minimum trois ans et les Jeux de Paris pour espérer voir la Belgique trouver le successeur de François Mathy sur le podium individuel mais ne boudons pas notre plaisir : la performance est historique ! Mais pourquoi donc la Belgique a-t-elle dû attendre quarante-cinq ans - une éternité ! - pour regoûter à un podium olympique ?
Si la chance est un facteur à prendre en considération en saut d’obstacles, on peut aussi avancer d’autres explications.
De tout temps, notre pays a pu compter sur de nombreux cavaliers de talent, parmi les meilleurs mondiaux. Les performances individuelles ou collectives sur les Coupes des nations, les championnats d’Europe et les championnats du monde ont toujours été régulières. Les Ludo Philippaerts, Stanny Van Paesschen, Jos Lansink (champion du monde en 2006), Philippe Le Jeune (champion du monde en 2010) et autre Dirk Demeersman - pour ne reprendre que les principaux - ont surtout tracé la route et ouvert le chemin pour la génération actuelle. Leur expérience acquise au plus haut niveau durant vingt ans a servi aux cavaliers actuels et ces derniers bonifient aujourd’hui ce précieux héritage.
Et si la génération actuelle a réussi à Tokyo ce que la précédente avait loupé (notamment en 2004 avec une sixième place par équipe à Athènes), c’est naturellement aussi une question de cavalerie. La qualité des chevaux belges a elle aussi toujours été reconnue au niveau international mais l’élevage dans notre pays s’est encore amélioré et affiné ces dernières années. Un tiers des chevaux engagés en saut d’obstacles à Tokyo ont ainsi été élevés en Belgique. C’était notamment le cas de King Edward, d’Indiana et d’All In, les trois chevaux qui ont permis à la Suède de s’emparer du titre olympique ce samedi.
Cette qualité des chevaux belges a permis à nos cavaliers de s’illustrer chaque week-end, sur chaque piste de concours, ces dernières années. Elle a également permis à nos cavaliers de grimper au sein du ranking mondial et aussi d’engranger suffisamment de moyens financiers - grâce aussi à l’explosion du nombre de Grands Prix rémunérateurs - que pour développer leurs écuries et parvenir à conserver leurs montures de tête malgré l’intérêt de l’étranger.
Enfin, cette médaille de bronze n’est que le reflet de la qualité actuelle des pilotes belges. À Tokyo, Peter Weinberg aurait pu aligner deux voir trois équipes de qualité. Neuf cavaliers figurent dans le top 100 mondial et cinq d’entre eux dans le top 50. Yves Vanderhasselt (42 ans), Jérôme Guéry (41), Grégory Wathelet (41), Niels Bruynseels (37), Pieter Devos (35), Nicola et Olivier Philippaerts (28 ans) ou encore Jos Verlooy (25 ans) sont partis pour briller de nombreuses années encore. Et derrière, la relève pousse fort. La Belgique a fêté cet été trois titres européens par équipes en scolaires, juniors et jeunes cavaliers. Cela promet !