Justine Henin se confie: "J’aurais détesté être joueuse aujourd’hui"
Justine Henin pointe le manque de détermination des joueuses actuelles et la place prise par l’argent.
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Publié le 17-09-2018 à 05h40 - Mis à jour le 17-09-2018 à 14h02
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Justine Henin pointe le manque de détermination des joueuses actuelles et la place prise par l’argent. À 35 ans, Justine Henin aurait pu être joueuse professionnelle aujourd’hui encore. La Brabançonne est même plus jeune que Serena Williams, qui disputait la finale de l’US Open il y a dix jours. "On ne le saura jamais" , s’amuse la retraitée des courts depuis 2011. "Depuis que je suis devenue maman, je me sens sur le déclin sur un plan physique. Ce rôle est prenant."
Depuis quelques mois, elle reprend plus soin d’elle. "Je n’ai jamais vraiment perdu mes sensations mais, physiquement, il faut bosser tous les jours pour garder la condition. Depuis 2011, je n’ai jamais songé à revenir sur le circuit comme joueuse professionnelle."
Soudain, elle s’interrompt et sourit. "Cet été, j’ai dit sous forme de boutade que, si je continuais à m’entraîner ainsi, je serais prête pour l’Open d’Australie (rires) ."
Un come-back n’est évidemment plus d’actualité.
Néanmoins, la longévité de Serena Williams pose de nombreuses questions sur le circuit WTA. "Serena n’est pas assez bousculée par ses adversaires" , analyse-t-elle avant de poursuivre. "Je suis admirative de tout ce que fait l’Américaine. Elle a encore envie malgré tout ce qu’elle a traversé. Devenir maman n’est pas anodin. Elle est toujours là. Elle combine tout avec une rare motivation. Dans un autre sens, je suis inquiète car elle garde contact avec les meilleures malgré son âge. Sa force mentale lui suffit. Elle va même dans l’intimidation au sens noble du terme."
Elle pointe du doigt toutes ses rivales qui n’ont pas assez faim de victoires. Elle en veut pour preuve l’interview de Simona Halep à Roland-Garros. Alors consultante pour France Télévisions, Justine lui avait demandé les raisons de l’absence d’une patronne sur le circuit. "Elle m’avait répondu que les joueuses voyaient les tournois comme des opportunités. Si une semaine se passait mal, on ne s’inquiétait pas car on jouait un autre tournoi la semaine suivante."
Justine Henin avait avalé de travers en écoutant la Roumaine. "Du temps de Graf ou Seles, on jouait tous les tournois à fond avec une détermination sans faille. Une défaite les rendait malade. Le niveau de la WTA n’est pas mauvais, mais il y a un problème avec la mentalité. Il arrive qu’une génération peine à éclore mais, là, on cherche une patronne depuis des années."
Le jour où une joueuse signera plusieurs victoires de suite dans de grands tournois, le circuit féminin retrouvera des couleurs comme au temps des sœurs Williams, des Henin et Clijsters ou de Mauresmo.
"Les gens ont besoin d’assister à des matches d’anthologie. Voir les quatre mêmes filles qui se battent pour un titre ferait du bien à tout le monde. Actuellement, la WTA est moins suivie car ces filles, qui ont un potentiel, sont méconnues. On ne retient qu’un leader qui prend de la place."
La Brabançonne ne cherche pas à entrer dans les polémiques au sujet des menaces qui planent sur les circuits ATP et WTA car elle ne parle que de ce qu’elle connaît. "Et je ne suis pas dans les instances dirigeantes. Je me rends compte qu’il y a un problème au niveau financier. Je prends de la distance par rapport à tout ça. Le tennis est un sport médiatisé et suivi qui doit être préservé. Les enjeux financiers ne peuvent pas tuer la passion du jeu. Quand je vois la création de la Laver Cup ou le désintérêt pour la Coupe Davis, je m’inquiète de certaines orientations. On peut penser que l’argent est un moteur."
Elle se souvient de sa carrière. "J’ai fait des exhibitions, mais j’en ai surtout refusé beaucoup car les pros ont besoin de repos. Je déteste voir un joueur refuser une sélection de Coupe Davis pour jouer une exhibition la semaine suivante. Le calendrier est assez surchargé pour éviter de multiplier les exhibitions."
Le doute n’est plus permis. Vu son parcours et ses idées, Justine Henin serait une excellente présidente de la WTA.
"Federer, Nadal et Djokovic ont prouvé qu’ils ne sont pas des machines"
Le circuit ATP vit une période exceptionnelle à différents niveaux. Justine Henin adore suivre les matches des hommes. "La période est passionnante. Les gars comme Federer, Nadal et Djokovic ont, tous, connu la gloire avec de nombreux titres et des matches d’un niveau exceptionnel. Tous trois ont ensuite vécu un coup d’arrêt violent et soudain. Ils ont traversé des moments durs avec les doutes qui accompagnent. On avait même enterré Novak Djokovic. Finalement, ils sont tous revenus au sommet. Avec humilité, ils sont repartis de zéro pour se reconstruire. Ils ont prouvé qu’ils n’étaient pas des machines, mais juste des êtres humains surentraînés."
"Une défenseur de Goffin"
David Goffin est en contact avec le Top 20 depuis mai 2015, soit une éternité à l’échelle d’une carrière. Finaliste du Masters, de la Coupe Davis et propriétaire de huit titres, le Liégeois est sans conteste le meilleur joueur belge à l’ATP de tous les temps. "Je suis une défenseur de David" , lance Justine Henin comme si elle était en campagne. "Il n’a pas le charisme d’un Federer, mais c’est un mec calme, sérieux et qui apporte beaucoup au tennis belge. Je refuse de le critiquer. Certes, ses résultats sont moins bons pour le moment. Les gens attendent de lui qu’il remporte des Grands Chelems. Ils sont trop gourmands. Ils n’imaginent pas la difficulté de se maintenir à son niveau aujourd’hui. De plus, on ignore ce qui se passe dans sa tête ou dans son entourage. Un sportif a le droit de passer par des moments difficiles. Le garçon a beaucoup joué l’an passé. Il a terminé la saison en trombe. Physiquement, il était K.-O. Son genou était blessé. En plus, il a connu sa dose de malchance avec ses blessures à la cheville et à l’œil. Vous n’imaginez pas l’énergie qu’il faut sortir pour revenir après une blessure. Il a assuré son statut. Il se bat pour être là où il est. Je le répète, personne n’a le droit de le critiquer."
"J’aurais détesté être joueuse aujourd’hui"
L’ancienne n° 1 cherchait le buzz par sa raquette et ses victoires. "Maintenant, on doit faire attention à tout."
Le récent US Open a confirmé une tendance qui prend de l’ampleur depuis des années. Le moindre petit incident prend des proportions tout à fait déraisonnables.
Tout ce qui se passe sur et en dehors du terrain est épié par des experts de la com’ ou des quidams pour en faire le buzz. À New York, l’affaire Alizé Cornet en brassière afin de remettre son vêtement à l’endroit ou l’échange entre Nick Kyrgios et l’arbitre, tout est matière à susciter la polémique.
Les réseaux sociaux se nourrissent de ces buzz plus ou moins artificiels. "De nos jours, tout prend de l’ampleur" , précise Justine Henin qui avait l’habitude de chercher le buzz uniquement par la qualité de son revers ou la grandeur de ses victoires. "J’aurais détesté faire carrière maintenant. Nous vivons dans l’ère de l’immédiateté. Je ne suis pas anti-réseaux sociaux. Je regrette que tout ne soit pas plus structuré."
Certains sujets doivent être débattus en noyau restreint ou sur la place publique. "J’applaudirai toujours quand les débats font progresser le sport. Il faut la transparence sur les matches truqués ou sur la question du dopage. Mais, certaines polémiques comme celle d’Alizé Cornet sont débiles."
Enfermée dans sa bulle pendant toute sa carrière, Justine Henin comptait ses sorties médiatiques et autres car elle refusait de se disperser. Quand elle s’exprimait - et encore aujourd’hui-, elle ne pesait pas tous ses mots au point de les rendre lisses. "J’ai besoin de l’authenticité. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il faut faire attention à tout et tout le temps. Il ne faut pas dire ou faire ceci ou cela. Je n’aime vraiment pas du tout."
"Je ne suis pas une bonne syndicaliste"
Ancienne joueuse du top et femme de conviction, Justine Henin a appris beaucoup en 35 ans. Sachant analyser les situations avec finesse, cette jeune maman présente tous les atouts pour lorgner la présidence de la WTA. "Oh !", lance-t-elle. "Je suis fort distante de tout ça. Je n’ai jamais songé à m’emparer de ce pouvoir. Mais, j’ai pour philosophie de ne jamais fermer une porte." Elle prend son souffle et remonte le temps. "Quand j’étais joueuse, j’étais une extraterrestre. Je ne regardais que le terrain. Ce qui se passait en dehors ne m’intéressait pas. Aujourd’hui, je vois des joueuses qui se battent pour des idées. Moi, je me battais pour les victoires. Je n’aurais jamais été une bonne syndicaliste. Heureusement, des femmes se battent pour certains droits. De mon point de vue, certains combats me semblent accessoires", conclut-elle sans rentrer dans ce débat.