Avec le Transition Tour, une grande menace plane sur le tennis mondial
La réforme de l’ITF cause des dégâts considérables car elle tue l’espoir de milliers de jeunes pros qui ne pourront jamais commencer une carrière.
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Publié le 27-02-2019 à 08h09 - Mis à jour le 28-02-2019 à 11h50
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La réforme de l’ITF cause des dégâts considérables car elle tue l’espoir de milliers de jeunes pros qui ne pourront jamais commencer une carrière. Pendant 3 ans, l’ITF a planché sur une réforme en profondeur du circuit. Le 1er janvier 2019, elle a lancé le transition Tour qui est devenu le pire cauchemar de la majorité des jeunes joueurs. Ces deux mots ont brisé le rêve de milliers de gamins qui espéraient marcher sur les traces de leurs idoles.
Le Transition Tour, c’est quoi ?
À travers cette réforme, l’ITF visait à proposer un chemin de progression plus clair entre le circuit des juniors et celui du tennis professionnel. Cette révolution a été dictée par le constat que sur les 14 000 joueurs et joueuses qui disputaient des tournois pros, seulement 250 dames et 350 messieurs rentraient dans leurs frais. L’ITF a voulu serrer les conditions d’accès aux points ATP et WTA.
De plus, l’ITF voulait accélérer le développement des jeunes doués en clarifiant la voie vers le circuit ATP. L’ITF a ainsi cloisonné les catégories.
Quand on parle de Transition Tour, on parle des tournois Futures de 15 000 et 25 000 $. Avec ce Transition Tour, les vieux parasites de 28 ans qui ont besoin de points ATP ne pouvaient plus venir polluer les Futures. Ces joueurs pensaient faire partie du circuit pro, mais ils profitaient du système. L’ITF voulait faire des tremplins et non des sofas où on s’installe confortablement. La réforme était obligatoire, mais elle n’a pas répondu aux attentes de la base.
ITF et ATP, qui gère quoi ?
L’ITF et l’ATP ne parlent plus le même langage depuis bien longtemps. La réforme de la Coupe Davis (ITF) et l’apparition d’une Coupe du monde (ATP) illustrent cette guerre chaude entre les deux instances mondiales.
L’ITF gère les Futures (15 000 et 25 000 $), les levées du Grand Chelem et la Coupe Davis. L’ATP organise les Challengers, les ATP 250, les ATP 500 et les Masters 1000.
Concrètement, ça change quoi ?
Dans les 15 000 et 25 000 $, soit les tournois tout en bas de l’échelle, l’ITF ne distribue plus de points ATP, mais bien des points ITF. Seul hic, pour collecter des points ITF, il faut jouer des 15 000 et des 25 000 $.
Par conséquent, les jeunes joueurs doivent avoir accès à ces tournois, ce qui n’est plus forcément le cas avec la réforme. La quadrature du cercle ! On se retrouve avec des adolescents motivés qui n’entrent plus dans ces tournois.
En plus, les dirigeants de l’ITF s’étaient engagés à proposer plus de tournois Futures et de soigner leur prize money pour soulager ces jeunes qui galèrent au quotidien. On assiste à une disparition de près de 30 % des Futures car ils ne sont pas rentables. Qui voudrait, en Belgique, organiser un 25 000 $ sans aucun joueur belge ?
L’accès à ces Futures s’est fortement compliqué. Par le passé, il existait des tableaux de qualif et même de pré-qualifs qui regroupaient jusqu’à 128 jeunes. Désormais, il n’existe plus qu’un tableau de qualif de 24 joueurs.
En moyenne, il y a environ 4 à 6 tournois de 15 000 $ et 2 à 4 tournois de 25 000 $ par semaine dans le monde. Si le tirage au sort est limité à 24, cela signifie que 80 à 120 joueurs ont la possibilité de jouer les tournois 15 000 $ et 40 à 80 joueurs ont la possibilité de jouer les tournois à 25 000 $ et plus. Il s’agit ici de 120 à 200 joueurs alors qu’ils sont plus de 2 000 à chercher une place.
Que leur reste-t-il alors comme option pour réussir sur le circuit ? Ils doivent passer pro dès 14 ans ou plus tôt afin de prendre des points sur le circuit des juniors qui distribuent aussi des points ITF.
Il se situe là le principal problème. L’ITF impose à ses futurs stars de faire le choix du 100 % tennis à un moment très précoce de leur cursus scolaire. Si le projet tennis échoue, ces adolescents n’auront aucune porte de sortie. De plus, les juniors qui se blessent pour une longue durée n’ont aucun espoir de revenir dans le parcours.
Seuls les plus doués chez les juniors prendront des points ITF qui leur ouvriront les portes du Transition Tour où ils prendront à nouveau des points qui leur donneront accès aux tournois Challengers qui offrent des points ATP. Cette pyramide a été plus simple à gravir pour des vedettes comme Denis Shapovalov. On oublie tous les autres.
Quelles sont les revendications des joueurs ?
Dans un courrier envoyé à l’ITF, la Croate Ana Vrjlic a demandé de revoir ce système actuel qui tue l’espoir de nombreux aspirants à une carrière pro. Elle a joué durant 17 ans sur les circuits ITF et WTA car son classement oscillait entre 180 et 279.
Cette lettre, qui a pris les traits d’une pétition, a été signée par 700 joueurs. Aljaz Bedene, Sergiy Stakhovsky et Janko Tipsarevic défendent la cause des plus jeunes.
Leurs revendications se résument en 8 points :
- Supprimer le classement ITF Transition Tour pour revenir à un seul classement unique ATP ou WTA.
- Laisser la possibilité aux tournois de fixer la limite de participants pour les tableaux de qualifications et surtout ne pas les fixer à un nombre maximum de 24 joueurs. Chez les hommes, pour les tournois Challengers, le tableau de qualification doit repasser à 32 joueurs au lieu de 4.
- Ne jouer qu’un seul match de qualification par jour au lieu de deux actuellement.
- Disputer un troisième set complet lors des matchs de qualification au lieu d’un super tie-break dans le dernier set.
- Supprimer la discrimination pour les joueurs voulant disputer uniquement les tournois de double en les obligeant à jouer en simple.
- Supprimer l’utilisation du classement de simple pour rentrer dans les tournois de double dans tous les tournois du circuit ITF.
- Supprimer les amendes ITF en cas de participation à un tournoi ATP/WTA.
- Limiter les tarifs de certains hôtels ou clubs
Quelle est la position de l’ATP ?
L’ATP réunit assez de joueurs pros. L’association vit grâce aux sponsors et aux droits de télévision qui ne se soucient que du top 100. De plus, elle souhaite surtout que les plus doués comme des Rublev, Shapovalov, ne perdent pas de temps chez les juniors.
Pourquoi les fédés ne se révoltent-elles pas ?
Les fédérations nationales ont besoin de temps pour mesurer les impacts de cette réforme. Vu les 9 premières semaines de la saison, il est peu probable qu’elle fasse l’unanimité. Néanmoins, il est peu probable aussi que les fédérations ne partent en guerre contre l’ITF.
En effet, n’oubliez pas que l’ITF gère la Coupe Davis et sa finale très lucrative pour les Fédés. Chacune des 12 nations présentes en finale à Madrid recevra, pour sa seule présence, un chèque indécent de 350 000 euros. Il devient difficile de critiquer l’ITF…
"Inscrit à 54 Futures, mais zéro match joué"
Le coach de Steve Darcis refuse que son fils soit victime de ce Transition Tour.
Yannis Demeroutis est monté au créneau avec détermination pour changer les modalités de ce Transition Tour. L’entraîneur de Steve Darcis est également le papa d’une victime de ce nouveau système.
Nicolas Demeroutis, 18 ans, risque de devoir tirer un trait sur sa passion. Classé B-15.4, il est le 122e meilleur joueur belge. S’il n’a pas de points ITF, il le doit surtout à sa volonté de sortir avec son diplôme de rhéto. "Mon fils est sorti des humanités comme je lui avais demandé."
Père et fils étaient tombés d’accord sur l’importance d’avoir une porte de sortie en cas d’échec dans le monde du tennis. "Cette année, il devait se lancer sur le circuit international", reprend Yannis Demeroutis. Jusqu’ici, l’adolescent cumulait l’école et une séance quotidienne de tennis à Thuin. Depuis sa sortie de l’école, il suit une à deux sessions par jour sans oublier les entraînements physiques. Il s’entraîne plus de 25 heures par semaine.
La famille Demeroutis n’avait pas prévu qu’un grain de sable ne vienne enrayer la mécanique. L’ITF, en modifiant son règlement, a tué l’espoir de Nicolas. "Il y a deux ans, il pouvait déjà jouer des Futures alors qu’il n’était que 240e Belge. Il entrait dans les pré-qualifs . Même si ces tournois ressemblaient à un parcours du combattant, il recevait au moins une chance d’entrer dans le tableau final. En 2017, on pouvait se retrouver à 128 sur un Futures. Désormais, le plafond de 24 ferme les portes à des joueurs comme mon fils."
En 2019, Yannis Demeroutis a essayé d’inscrire son fils à 54 Futures. "Il n’est pas rentré dans un seul tableau ! Au mieux, il était 80e sur la liste d’attente."
Sur les 32 joueurs d’un tableau final en Futures, il faut enlever cinq juniors, les quatre qualifiés et les meilleurs classés, ce qui ne laisse aucune chance au Liégeois qui n’a pas de points ITF.
Par conséquent, Nicolas en profite pour améliorer son classement belge en jouant des tournois régionaux en Belgique et en France. "Je continue à l’inscrire à des 15 000 et 25 000 $ en croisant les doigts. J’espère aussi que l’ITF reverra sa copie."
L’ITF ne fera jamais machine arrière car ce revirement sonnerait comme un aveu de son énorme erreur. De plus, elle veut que les jeunes doués soient convaincus plus tôt de faire une grande carrière. "Je ne voulais pas que mon fils soit 100 % pro à 14 ans car l’école était importante dans notre famille."
Sur le circuit ATP, un John Isner, qui est top 10 mondial, a privilégié ses études universitaires. Que serait-il devenu avec ce nouveau système ? Cette réforme complique fortement la tâche de fondations comme celle de Daniel Meyers qui lutte, à travers Hope and Spirit, pour que les jeunes mènent de front des études et une carrière pro.
Malgré l’immense déception, Nicolas Demeroutis doit envisager une reconversion avec le sentiment d’un grand gâchis… politique. À moins, que le board en mars ne change ses règles comme un groupe Facebook le demande "Change ITF rules, don’t kill tennis". Chaque jour, de nouveaux joueurs rallient le front.
