En tête-à-tête avec Stefanos Tsitsipas: "Les gens ont envie de nouvelles têtes"
Entretien exclusif en tête à tête avec le nouveau phénomène du tennis mondial : Stefanos Tsitsipas.
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Publié le 23-05-2019 à 08h11
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Entretien exclusif en tête à tête avec le nouveau phénomène du tennis mondial : Stefanos Tsitsipas.
On le rencontre à Madrid en marge du tournoi, il vient à peine de finir son déjeuner, et là il a décidé qu’il ne voulait pas s’installer dans le seul fauteuil de la pièce, alors il se pose sur une chaise dans un coin. On lui dit que non, vraiment, le fauteuil est pour lui, alors il y va, mais ça le gêne. Pendant les premières questions, il se balance sur le fauteuil comme un enfant stressé par les questions des adultes. Et puis, petit à petit, il se détend, rigole, dit tout ce qu’il pense. Stefanos Tsitsipas est la nouvelle star du tennis mondial, il ne rêve que des titres et du trône mais il reste un gamin de 20 ans. Mais un gamin qui sait où il veut aller : au sommet.
Depuis votre demi-finale à l’Open d’Australie et alors que vous êtes désormais 6e mondial, avez-vous l’impression que les gens vous voient différemment, que vos rivaux vous traitent différemment ?
"C’est difficile à dire car je ne sais pas trop ce qu’ils pensent de moi… Mais je peux sentir que les autres joueurs me respectent un peu plus désormais. Je le ressens sur le court quand je les affronte. Donc oui, par rapport à l’an dernier, c’est une grande différence. Mais je pense que c’est normal quand on commence à avoir de bons résultats. Regardez Federer, Nadal et Djokovic, même si moi je n’en suis pas encore du tout à leur niveau, ils sont si incroyablement respectés et c’est bien normal. Je vois plus de différences par rapport aux fans en ce qui me concerne : on me reconnaît de plus en plus, je sens une plus grande connexion avec eux. Peut-être aussi parce que je partage beaucoup mes passions et que ça leur donne l’opportunité de mieux me connaître."
On entend souvent les gens dire : "Oh j’adore Stefanos, il est différent !" Pour vous ça veut dire quoi ?
"Peut-être est-ce à cause de mon revers à une main, du fait que je suis plus agressif que la plupart des autres joueurs, plus imprévisible aussi. Je ne vois pas d’autre raison (rires)."
Peut-être est-ce aussi parce que vous semblez avoir beaucoup d’autres centres d’intérêt : vous avez un vlog, un podcast, vous êtes fan de photographies… D’ailleurs vous dit-on parfois que c’est trop ?
"Oh oui, il y a des gens, des ‘ha ters ’ comme on dit, mais je n’aime pas ce mot, qui me disent que j’en fais trop. Mais ces gens-là, je les évite car je sais que ce que je fais est bon pour moi, que j’ai raison de continuer. Je ne m’occupe pas de ce que les gens peuvent penser de ce que je fais de ma vie, des passions que j’ai."
Vous êtes un meilleur joueur justement à cause de ces hobbys ?
"Oui, je pense que ça m’a aidé. Mais trouver le temps pour tout ça n’est pas facile (sourire). J’y arrive quand même, quand je sens que tout le reste se calme un peu, quand la pression diminue."
Vous êtes déjà une idole en Grèce…
"Cela prend de plus en plus d’ampleur, c’est vrai. Mon succès mais aussi celui de Maria Sakkari ont donné une plus grande plateforme au tennis dans mon pays. J’ai le sentiment que ce sport y devient de plus en plus populaire. En ce qui concerne mon nouveau statut là-bas, je ne sais pas car je ne suis pas rentré à la maison depuis novembre. Je veux penser que maintenant ils savent qui je suis et que ma réussite est bonne pour le pays. Je suis heureux de savoir que je rends les gens de mon pays heureux, que je les aide à rêver de choses qu’ils ne pensaient pas possibles pour un Grec dans ce sport. Quand je lis leurs commentaires sur les réseaux sociaux, ça me fait chaud au cœur. Je voyage depuis que je suis très jeune, je n’ai jamais pu passer beaucoup de temps à la maison mais j’aime mon pays, je suis honoré de le représenter car on a une grande histoire."
Vous avez une réputation de solitaire, mais est-ce aussi dû au fait qu’il n’y a pas d’autres joueurs grecs sur le circuit ?
"Peut-être… Mais on est tous citoyens du monde (sourire). Le truc, c’est que si on veut, on peut se faire des amis sur le circuit, il y a plein de gars très sympas. Moi, je suis quand même un solitaire, je dois l’admettre… Mais qui sait, ça changera peut-être vite, peut-être aussi que d’autres joueurs grecs vont débarquer un jour !"
Comment est la vie aux sommets du jeu quand on a 20 ans alors qu’aujourd’hui ce n’est plus la norme ?
"J’ai toujours voulu arriver dans les sommets aussi vite que possible, pour tout de suite mettre à profit tout le travail accompli depuis des années. Je mérite cette place, c’est génial d’y arriver si tôt au lieu de devoir jouer tous ces Challengers et ces Futures car c’est très compliqué une fois que vous êtes coincé là-dedans. Je suis ravi de pouvoir déjà jouer les grands tournois devant des foules de fans, dans les plus grandes villes du monde semaine après semaine. C’est génial de voir des jeunes joueurs de nouveau capables de prouver qu’ils ont leur place parmi les meilleurs, et ça amène aussi d’autres fans. On apporte un peu de variété, parce que je pense que les gens ont envie de voir de nouvelles têtes."
Vous faites partie de la première génération qui a véritablement grandi en regardant Djokovic, Federer et Nadal : leur avez-vous emprunté des choses ?
"J’ai ma propre personnalité, alors je détesterai être la copie de quelqu’un d’autre. Je veux créer ma propre emoji, mon propre style. Mais c’est aussi normal d’essayer de s’inspirer des meilleurs pour se développer. Je regarde toujours ces trois joueurs-là et aussi Andy Murray pour incorporer dans mon jeu ce qu’ils font le mieux. Murray a une qualité de déplacement incroyable, Djokovic est si complet, l’un des plus grands joueurs du fond du court que j’ai jamais vus, Nadal a ce fighting spirit, cette concentration et cette énergie qu’il impose, comme si le court tremblait, et puis Federer, qui a ce don de sortir des coups impossibles. Il faut travailler sur tous ces détails qui un jour vous transformeront peut-être en l’un des plus grands."
Si vous pouviez leur dérober un aspect de leur jeu ?
"L’état d’esprit de Nadal, le service de Federer et le revers de Djokovic."
Vous semblez posséder une relation très saine avec la pression, mais comment tenez-vous ce cap au milieu du déferlement d’attention qu’il y a autour de vous désormais ?
"J’ai travaillé là-dessus depuis tout petit. Mes parents et mes coachs m’ont répété que je n’avais pas besoin de regarder ce qu’il se passait autour de moi. Il faut juste se concentrer sur soi, sur ce qu’on a à faire. Parfois, je me vois à la télévision et je me dis que je suis peut-être trop dans ma bulle (rire). Mais c’est ça qui m’aide à jouer mon meilleur niveau."
Vous faites pareil avec l’argent, les sponsors et la célébrité, ça reste en dehors de la bulle ?
"Les sponsors, je me dis que ce sont des gens qui croient en moi, qui aiment ce qu’ils voient. Les fans, des gens qui trouvent l’inspiration quand ils me voient… Pour certains, le tennis, c’est comme de la musique pour les yeux. Dans ce sport, tout est une question de croire en quelqu’un, en quelque chose, en soi-même. Cela ne me dérange pas."
Imaginons un instant que vous ne soyez pas devenu joueur de tennis, quel autre métier auriez-vous voulu faire ?
"J’aurais probablement essayé de devenir journaliste, ou alors de travailler dans les réseaux sociaux. Quelque chose dans la communication. Ou alors j’aurais fait des études autour des technologies."