ATP vs PTPA: le nouveau clasico du tennis masculin
La vision de la manière dont il faut défendre les intérêts des joueurs professionnels est différente.
Publié le 01-04-2021 à 12h05 - Mis à jour le 01-04-2021 à 12h03
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Depuis un peu plus d’un an, la crise du Covid-19 a fait sortir les meilleurs joueurs mondiaux de leur bulle dorée. Ces derniers, pour pouvoir pratiquer leur métier, ont dû s’adapter à une nouvelle réalité qui ne doit pas être, il est vrai, toujours très agréable entre tests PCR, mises en quarantaine, absence des proches sur les tournois et vie sous bulle entre leur hôtel et les stades. Dans la colonne des aspects négatifs, on notera aussi les rencontres disputées devant des tribunes vides mais surtout des gains qui ont été diminués. Voilà une situation qui a amené de la morosité et qui est mal vécue par certains joueurs.
Mais sur le circuit masculin, depuis l’été 2020, un autre sujet de tension alimente régulièrement les discussions dans les travées des stades, les réseaux sociaux et les médias : le conflit entre l’ATP et la PTPA (Professional Tennis Players Association), un groupe de défense des intérêts des joueurs. Une sorte de syndicat, même si ce terme n’est pas validé par les créateurs de cette association : le numéro un mondial Novak Djokovic et le Canadien Vasek Pospisil qui, la semaine dernière, a insulté en plein match au Masters 1000 de Miami le patron de l’ATP, Andrea Gaudenzi, avant de s’excuser sur ses plates-formes digitales.
Le sujet divise énormément les joueurs depuis plusieurs mois avec d’un côté les pros PTPA et de l’autre ceux qui veulent faire confiance à l’ATP où le Conseil des joueurs est installé au sein de l’association qui dirige le circuit professionnel. Mais pour mieux comprendre les raisons des désaccords, il faut comprendre quel rôle joue chaque entité.
L’ATP
L’Association of Tennis Professionals (ATP) a été fondée en 1972 dans le but de défendre les intérêts des joueurs contre les organisateurs de tournois (ITF, circuits privés) qui avaient trop d’influence sur le calendrier. Le pouvoir de l’ATP est devenu si important qu’en 1990, elle va gérer tout le circuit masculin. À cette époque, les joueurs prennent la décision de ne plus participer à un seul tournoi qui ne soit pas géré par l’ATP. Les plus anciens se souviendront que la conférence de presse de présentation de ce nouveau circuit s’était déroulée sur le parking de l’US Open.
L’idée fondatrice de l’ATP est de donner le pouvoir aux joueurs et aux directeurs de tournois, représentés équitablement au sein de cette nouvelle structure. Depuis plus de 30 ans, l’ATP est donc un organisateur d’événements sportifs au service des joueurs. Elle gère notamment l’ATP Tour et les tournois Challenger, la D2 du tennis masculin. C’est elle qui concocte le calendrier et attribue les différentes catégories aux tournois (Masters 1000, ATP 500, ATP 250) où sont distribués, selon les performances, les points pour le ranking mondial. Elle est aussi responsable du Masters de fin de saison auquel participent les meilleurs joueurs.
Par contre, l’ATP n’a aucun pouvoir de décision sur les quatre tournois du Grand Chelem. Ces derniers sont gérés par des organisateurs indépendants ou des fédérations et placés sous l’égide de la Fédération internationale (ITF). L’Australian Open, Roland-Garros, Wimbledon et l’US Open profitent toutefois d’une place à part dans le calendrier et rapportent des points ATP. L’ATP est présidée actuellement par Andrea Gaudenzi. L’Italien de 46 ans a été nommé en octobre 2019 pour un mandat de quatre ans commencé le premier janvier 2020.
Le Conseil des joueurs
Au sein de l’ATP, on retrouve un Conseil des joueurs dont l’objectif est de défendre les intérêts des joueurs, de faire entendre leurs revendications et leurs avis sur la manière dont le circuit est géré. Une nouvelle élection a eu lieu fin de l’année 2020 pour élire les représentants de cet organe. Ceux-ci sont en place jusqu’en juin 2022. Roger Federer, Rafael Nadal, John Millmann et Félix Auger-Aliassime sont les représentants des joueurs du top 50, Pablo Andujar et Gilles Simon du top 51 à 100, Marcus Daniell et Bruno Soares du top 100 en double, Kevin Anderson et Andy Murray endossant un rôle plus général. Colin Dowdeswell et Daniel Vallverdu sont, eux, respectivement représentants des joueurs retraités du circuit et des entraîneurs.
Président de ce Conseil l’an dernier, Novak Djokovic, qui avait quitté son poste lors de l’US Open, n’a pas pu s’y représenter lors des élections en fin d’année 2020 car l’ATP interdit à un joueur de représenter deux associations. Ce qui a marqué une fracture plus importante entre l’ATP et la PTPA.
La PTPA
Créée en août 2020 à la veille de l’US Open par Novak Djokovic et Vasek Pospisil, la PTPA est une association de défense des intérêts des joueurs professionnels distincte de l’ATP. Sa mission ? Représenter et défendre les intérêts des joueurs du top 500 et les 200 meilleurs joueurs en double. Pour le numéro un mondial et ceux qui l’ont suivi, l’ATP représente à la fois les intérêts des joueurs et des organisateurs de tournois. Ils estiment que la parole des joueurs professionnels est trop peu entendue dans la structure actuelle et revendiquent également une meilleure information sur la répartition des revenus.
La fracture
Si dans un premier temps, Novak Djokovic et la PTPA ont annoncé vouloir collaborer avec l’ATP, la décision de cette dernière d’interdire au numéro un mondial de se représenter au Conseil des joueurs malgré le soutien de nombreux collègues a créé une fracture plus importante entre les deux associations qui possèdent chacune leurs partisans sur le circuit.
"Je ne vois pas de conflit de quelque nature que ce soit à être actif à la PTPA et au conseil des joueurs de l’ATP, expliquait en novembre dernier le Serbe. Je ne le voyais pas non plus en août quand la PTPA a été fondée. C’est pourquoi j’ai accepté ma nomination issue des joueurs du circuit pour les élections au Conseil des joueurs de l’ATP. Simplement parce que je ressens une responsabilité suite à ma nomination. Cela signifie que vous avez la confiance de bon nombre des joueurs et que cela vous confère de la crédibilité. Alors, bien sûr, je me suis rendu disponible, mais la règle votée par le board de l’ATP ne permet pas à un joueur de faire partie à la fois du Conseil des joueurs et de toute autre organisation dans l’écosystème du tennis. Avec cette règle, c’est un message fort de l’ATP qui ne veut pas de la PTPA dans le système et aucun joueur impliqué au Conseil et à la PTPA en même temps. C’est vraiment dommage de voir une telle position adoptée par l’ATP. Mais OK, maintenant, nous savons où nous en sommes."
Dans une situation plus axée sur des conflits que sur une collaboration pour le bien-être des joueurs. Et pour le moment, on n’a pas l’impression que le tennis sorte grandi de ces querelles ou que le statut des joueurs soit amélioré.
Ils sont contre ! Ces joueurs apprécient ce qui a déjà été fait avec l’ATP

"Des joueurs qui croient en la structure actuelle"
Quelques heures après la création de la PTPA en août dernier, un communiqué venant des représentants des joueurs à l’ATP s’est positionné contre l’arrivée de cette nouvelle association.
"Nous n’approuvons pas la création d’une nouvelle association de joueurs. Une nouvelle association de joueurs ne peut exister en parallèle de l’ATP. Nous sommes contre cette proposition, on ne voit pas comment elle peut bénéficier aux joueurs."
Cette missive était signée par Roger Federer, Rafael Nadal, Kevin Anderson, Jurgen Melzer, Sam Querrey (qui a changé d’avis entre-temps) et Bruno Soares. Certains développeront leur argumentation plus tard et seront rejoints par d’autres joueurs.
Rafael Nadal : "Ce n’est pas parce qu’ils ont créé cette organisation qu’ils aident le tennis plus que les autres joueurs qui croient en la structure habituelle. Si nous avons vécu des situations positives, c’est grâce à l’implication de Roger, la mienne, mais aussi Novak et Andy, car on a toujours eu le souci de demander aux autres ce dont ils avaient besoin. Si nous comparons les revenus d’il y a cinq, six, sept ou huit ans à aujourd’hui, il est clair que nous avons considérablement réduit l’écart entre les joueurs les moins bien classés et les meilleurs. Nous savons que nous devons continuer à travailler là-dessus, mais nous ne considérons pas qu’une autre organisation soit nécessaire."
Andy Murray : "Je ne suis pas contre une association de joueurs, mais il y a deux raisons principales qui me guideront dans mon choix. Premièrement, je pense que la direction actuelle devrait prendre plus de temps pour faire connaître sa vision avant de courir après des soutiens et des signatures. Ensuite, il y a le fait que les femmes n’en font pas partie. Intégrer les femmes enverrait un message beaucoup plus puissant. Ce n’est pas ce que nous avons actuellement. Si ces choses changent à l’avenir, faire partie de l’association est quelque chose que je reconsidérerais vraiment."
Roger Federer : "Nous vivons des temps incertains et vraiment difficiles, mais je crois qu’il est essentiel pour nous de rester unis en tant que joueurs, et en tant que sport, pour préparer la meilleure voie à suivre."
Dominic Thiem : "J’aime ce que l’ATP fait. D’une manière générale, c’est du très bon boulot. De mon point de vue, il n’y a donc aucune raison de rejoindre une autre organisation, ou quelque chose de ce genre."
Ils sont pour ! Ces joueurs veulent une structure indépendante par rapport à l’ATP

"Nous essayons d’avoir une voix plus forte"
En plus de Novak Djokovic et Vasek Pospisil (co-fondateur officieux), des joueurs comme John Isner, Matteo Berrettini ou Hubert Hurkacz ont suivi directement le mouvement de la PTPA dont le but n’est pas de remplacer l’ATP, mais de fournir aux joueurs une structure de gouvernance, indépendante de l’ATP. Depuis août 2020, d’autres joueurs ont pris position pour cette association.
Diego Schwartzman : "De mon point de vue, nous ne nous battons pas contre l’ATP, à vrai dire nous ne sommes absolument pas contre elle. Nous essayons juste de travailler ensemble et d’avoir, peut-être, une voix plus forte. Notre objectif, c’est de faire du tennis un meilleur sport pour tout le monde. Rien d’autre."
Sam Querrey : "Je ne suis plus au conseil de l’ATP, je suis pour l’association (PTPA). Je pense qu’en fin de compte, ce sera une bonne chose d’avoir une association. Les gars la veulent depuis vingt ans. J’espère que les choses se mettent en marche, que ce sera la première étape et qu’elle pourra obtenir un certain succès en mettant en place des principes fondamentaux et en obtenant des changements de règlement."
Milos Raonic : "Je soutiens la PTPA parce que j’ai le sentiment que certaines composantes de la structure actuelle, depuis que je suis sur le circuit, n’ont pas nécessairement amené les bénéfices que nous souhaitions. Je ne pense pas que ce soit un combat de quelque nature que ce soit… Je pense que beaucoup d’entre nous sommes maintenant beaucoup plus sur la même longueur d’onde et nous voulons être représentés de manière unifiée."
Alexander Zverev : "Je n’ai pas signé le papier. Mais je pense que c’est une bonne chose que les joueurs veuillent se réunir. Je pense que c’est formidable que nous puissions être plus unis. Je dois donner du crédit à ce projet parce qu’un numéro un mondial a autre chose à faire que de s’occuper de réunir les joueurs ou quelque chose comme cela, non pas dans un syndicat, mais au sein d’une association. Dans sa position, pour être honnête, il n’a pas besoin de le faire. Il n’a tout simplement pas besoin de le faire. Il peut se détendre et ne rien faire, et tout ira bien. Mais il se soucie des autres joueurs, ce qui est très bien, je pense."
Denis Shapovalov : "Je suis définitivement du côté de la PTPA. Je pense que nous ne sommes pas sous-représentés, mais je pense qu’il existe des moyens de mieux nous représenter. Ils nous disent juste d’aller jouer au tennis, ce qui n’est pas juste. Ils ne devraient pas, vous savez, nous parler comme cela si nous sommes partenaires."