Justine Henin parle des 20 ans de son titre à Roland-Garros et du temps qui passe : “J’étais plus angoissée par la mort à une époque qu’aujourd’hui”
Le 7 juin 2003, notre compatriote s’imposait en deux sets contre Kim Clijsters pour décrocher le premier de ses quatre titres à Paris.
- Publié le 30-05-2023 à 08h24
- Mis à jour le 30-05-2023 à 08h26
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Le 7 juin 2003. Voilà une date très importante dans l’histoire du tennis. Il y a vingt ans, Roland-Garros se drapait aux couleurs de la Belgique pour une finale féminine 100 % belge entre Kim Clijsters et Justine Henin. Au terme d’un match dominé de la tête, surtout, et des épaules (6-0, 6-4), la Rochefortoise s’impose et décroche son premier Roland-Garros. Un rêve de petite fille mais aussi une promesse tenue envers sa maman, partie bien trop tôt. Vingt ans plus tard, Justine n’a rien oublié de ce jour-là mais ne comptez pas sur elle pour en faire tout un fromage malgré les nombreuses sollicitations qui lui rappellent ce grand moment de sa carrière. Installée dans une loge du court Philippe-Chatrier, celle qui a fait vibrer toute la Belgique s’est livrée.

Justine, il y a vingt ans vous gagniez Roland-Garros, est-ce que par rapport à vos jeunes joueurs, vous devez parfois leur dire, oui c’est bien moi que vous voyez sur les photos ou les vidéos ?
”Je raconte parfois cette anecdote d’un gamin qui demande à son papa à mon académie s’il peut rencontrer Justine pour prendre une photo. Ce gamin me connaissait. Donc son papa lui dit, tu peux prendre une photo avec Justine et il me montre. Et le petit répond : mais non pas la dame qui travaille ici, celle qui est sur la photo là-bas. Donc, oui, c’était il y a vingt ans. C’était il y a longtemps mais aussi hier. Mon travail, c’est essayer de créer une inspiration par rapport à mon travail. Cela passe par ce que je fais au quotidien auprès des jeunes et pas seulement par une photo sur un mur. C’est vraiment important de continuer à travailler sur les valeurs qui me sont chères. Celles qui m’ont permis de me construire comme joueuse. C’est là-dessus qu’on travaille au quotidien. Je pense que les jeunes ont, évidemment, du respect pour cela. Mais je ne crois pas qu’ils regardent des images de mes matchs tous les deux jours. Et tant mieux d’ailleurs. Mais on partage évidemment là-dessus et je pense que pour certains, ça représente peut-être plus que pour d’autres. J’essaie à la fois de leur faire profiter de cette expérience et en même temps de m’en détacher aussi.”

”Dès que je passe la porte d’entrée à Roland, c’est spécial”
Est-ce que vous avez ressenti quelque chose de particulier en arrivant à Roland-Garros cette année ?
”Pas plus cette année qu’une autre. C’est parce qu’on en parle beaucoup. Je comprends cela et ce n’est pas désagréable. J’avais déjà dans le passé autant d’émotion à revenir à Roland-Garros. Dès que je passe la porte d’entrée, c’est spécial. Que cela soit pendant le tournoi ou pas. Mais c’est vrai que pendant le tournoi, c’est encore un peu plus particulier, même si le stade a beaucoup changé. L’énergie, les vibrations, c’est la même chose chaque année. Je pense vraiment qu’une grande partie de mon histoire de vie, elle est ici. Cela a démarré quand j’avais cinq ans et que je regardais Roland-Garros à la télévision avec mes parents. J’entends encore le son de la balle, le bruit des glissades, cela a résonné tellement en moi. Et puis après, l’histoire était en marche, évidemment. Comme spectatrice, d’abord, comme joueuse en juniors, puis comme joueuse professionnelle. Et puis en gagnant plusieurs fois et en revenant chaque année pour continuer à commenter le tournoi. Oui, c’est impossible de se détacher de cette histoire, mais pas plus cette année que l’année passée ou que, j’espère, l’année prochaine.”
Est-ce que vous gardez toujours un rituel quand vous venez à Roland-Garros ?
”J’étais beaucoup plus superstitieuse quand je jouais. J’avais des rituels très forts. Maintenant ce qui est important, c’est surtout de voir certaines personnes. C’est cela qui est agréable. J’ai eu la chance récemment de croiser Patricia qui s’occupe des vestiaires depuis plus de trente ans. En tant qu’ancienne joueuse, je n’ai plus accès aux vestiaires, ce qui est normal. J’ai demandé à quelqu’un d’aller la chercher. Je voulais vraiment la revoir. C’est tout cela qui crée votre attachement à un tournoi. C’est le partage que vous avez avec différentes personnes. Je suis forcément moins superstitieux qu’avant. Si je change d’hôtel, ce n’est pas grave. Soulever le trophée, c’est magnifique. C’est une concrétisation, un accomplissement de vie. Mais s’il n’y avait pas le chemin avant, tout cela n’aurait pas de valeur. C’est ce qui m’habite encore aujourd’hui.”

”Mes 40 ans m’ont fichu un petit coup de mou”
Vingt ans, c’est aussi le temps qui passe. Quel est votre rapport avec cette vie qui file ?
”Oui, cela, c’est plus ennuyant… Mais je le vis plus sereinement qu’avant. Même si mes 40 ans m’ont fichu un petit coup de mou l’année dernière. J’ai parfois eu un peu de mal avec cela, parce que j’étais plus angoissée par la mort à une époque qu’aujourd’hui. Mais désormais, je le vis comme quelque chose de tout à fait normal. Les gamins qui ne me connaissent plus ou à peine aujourd’hui, cela me fait sourire, et vraiment en toute sincérité. Dans mes projets, ce qui est essentiel, c’est de travailler avec des jeunes. Ils sont notre avenir. Je trouve que c’est là aussi qu’il faut consacrer de l’énergie et c’est ce que j’aime à travers les différents projets qui sont les miens. Moi, je suis heureuse d’avoir pu écrire une toute petite partie de l’histoire du tennis et d’avoir fait ce que j’aimais faire, surtout.”
Après avoir gagné Roland-Garros pour la première fois à quoi rêviez-vous ?
”En fait, si je suis encore là aujourd’hui, c’est parce que j’aime le tennis. J’aime Roland-Garros, évidemment, mais surtout j’aime le tennis. Je l’aimais quand j’avais cinq ans, je l’aimais quand j’avais 21 ans et je crois que je l’aime tout autant aujourd’hui. Peut-être d’une autre manière, avec un autre regard. Et donc, j’aime toujours en parler, pour essayer de transmettre ma passion. Et ça, même s’il y a aussi tout un autre pan de ma vie, en dehors du tennis, évidemment. Mais le tennis, c’est presque un prétexte. Pour continuer à essayer d’apprendre aussi des choses, c’est ça qui me fait avancer. Tant que j’apprends et que j’ai des challenges, le temps qui passe ne me fait pas peur.”