Vieux vins

Pedro Ballesteros MW
Vieux vins
©Pedro Ballesteros MW

Nous sommes dans la saison des journées courtes, durant lesquelles les rares moments de luminosité donnent une impression charnelle, caressante. C’est la période de l’année où l’on aime encore plus le soleil, parce qu’il nous semble plus proche, moins puissant, plus une mère nourrice que le père imposant que nous connaissons l’été. Les longues nuits de l’hiver nous invitent à la réflexion, aux moments partagés à la maison. Ce n’est pas le temps des actions à l’extérieur, de l’extraversion ou de la vue, mais bien celui d’autres sens : le toucher, le goût, l’odorat.

L’hiver est la saison des vieux vins. Ils ne peuvent pas briller aux chaleurs de l’été ni à la lumière intense. Nos sens ne seraient pas capables de trouver leurs justes valeurs, la subtilité et la complexité, dans de telles conditions. Nous avons besoin d’un état d’esprit calme et recueilli pour apprécier ces vins pour ce qu’ils sont. Le vin est grand, il fait partie de la mythique et des religions, surtout parce qu’il a la capacité de s’améliorer en vieillissant. Il y a des vins qui s’améliorent bien au-delà de nos espérances de vie. Par exemple, le millésime 1862 de Marqués de Riscal (Rioja) est, à 154 ans d’âge, un vin vibrant et complexe.

Mais attention, tous les vins ne vieillissent pas bien. En fait, seuls les plus grands peuvent faire face aux défis du temps en rendant une expression gustative plus complexe et raffinée. Pas mal des gens gardent des vins quelconques dans l’espoir qu’ils s’améliorent. Mais pour les vins, comme pour les personnes, la vieillesse ne fait que concentrer et distiller les défauts et vertus de la maturité. Un vin médiocre est médiocre à n’importe quel âge.

Il faut aussi gagner une certaine maturité avec les vieux vins. Les arômes et saveurs de ces vins ne sont pas attrayants pour tout le monde. Il n’y a pas d’évidences dans les grands vins mûrs, mais des suggestions. Il faut une capacité de concentration, une ouverture d’esprit, une curiosité intellectuelle et une expérience sensorielle pour aimer ces vins. La subtilité s’associe à la maturité : elle est le résultat de moins de force et plus d’esprit. Les buveurs occasionnels risquent d’être déçus, même choqués, par des arômes de sous-bois, de cuir, de fruits secs, d’épices et par les textures suaves et délicates de ces vins. Mais celui qui comprend et ressent ce plaisir risque de s’accrocher à vie à ce type de vins. Il est dès lors recommandable d’ouvrir un vin vieux après une série de vins plus jeunes, en fin de fête.

Bien que le Nouveau Monde produise maintenant des vins qui rivalisent en qualité avec la vieille Europe, je n’ose pas recommander que les vins les plus classiques – Bordeaux, bien sûr – mais les plus grands. L’irrationalité du marché fait que pas mal de vins vieux prêts à boire coûtent beaucoup moins que les 2010 ou 2015 pour lesquels il faut attendre quelques décennies. Bourgogne aussi, mais il faut être encore plus attentif qu’avec Bordeaux. Et les prix sont parfois excessifs. Les meilleures Rioja sont une garantie à vie, allez-y sans hésiter. Barolo et Barbaresco s’améliorent d’une façon impressionnante avec le temps. Chianti et Brunello sont plus irréguliers, mais les meilleurs valent bien la peine.

En blanc, les rois sont les grands rieslings du Rheingau et la Moselle allemande, mais Pessac-Léognan, les chenins de la Loire et les viura de Rioja ne sont pas loin. Le Champagne se bonifie en bouteille, à condition qu’il soit un vin qui a eu un long élevage. Les meilleurs Franciacorta et Cava sont aussi de bons vins de garde. Mais les vins qui sont probablement les plus généreux et les plus sensuels dans leur maturité sont les grands vins de la pourriture noble. Un vieux Sauternes a la patine délicate de l’âge et la force génétique de sa race. Mon favori personnel est le très vieux Tokaj hongrois, qui, au niveau le plus élevé, est une main de fer dans un gant de soie, d’une complexité inouïe ; il est vieux avant le goûter et devient éternel dans la mémoire de ceux qui l’ont incorporé à leurs organismes.

Si vous avez, à la maison ou ailleurs, les conditions de conservation adéquates, il est fort conseillé d’acheter une ou plusieurs caisses des grands vins quand ils sont jeunes, et d’en boire une bouteille chaque année, ou tous les deux ans. C’est un plaisir raffiné, très émotionnel. Je l’assimile au réconfort infini que l’on ressent en regardant la compagne qui vieillit avec toi et qui devient à tes yeux toujours plus attrayante, que tu reconnais mais qui aussi se renouvelle, comme toi, au passage du temps.

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