William Boyd enchante avec "Le Romantique"
Son nouveau roman traverse le XIXe siècle dans les pas d’un grand voyageur. Si romantique, toute cette vie à attendre.
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- Publié le 30-05-2023 à 17h22
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Que vaut une vie d'homme ? Comment peser toutes les joies, les malheurs, les ambitions ratées et les espoirs satisfaits ? Le bonheur, c'est quoi ? Toutes ces questions étaient déjà merveilleusement traitées par le grand écrivain anglais William Boyd, 71 ans maintenant, dans son roman A livre ouvert (2002). C'était déjà une traversée du siècle à la suite d'un homme, Logan Mountstuart, de sa naissance uruguayenne, en 1906, à sa mort française, en 1991, en passant par sa vie anglaise d'écrivain et critique d'art.
Cette fois, William Boyd, dans Le Romantique, s'attache avec le même talent fou à la vie imaginaire et au parcours tumultueux de Cashel Greville Ross dans le XIXe siècle.
Blessé à Waterloo
Né dans le comté de Cork, en Irlande, en 1799, Cashel vécut mille aventures qu'on lit d'une traite et qui dessinent aussi le paysage du monde d'alors.
Le héros de Boyd fuit l'Irlande et s'engage dans l'armée anglaise. Il est blessé à Waterloo dont il ne voit la bataille que de loin, comme Fabrice chez Stendhal. Le voilà ensuite aux Indes où il assiste aux atrocités de l'armée coloniale. Il la quitte pour rejoindre la France puis l'Italie où, à Pise, il se lie d'amitié avec les poètes Byron et Shelley.
Le charme du roman tient aussi à l'art de William Boyd de mêler de nombreux faits bien réels et fort documentés à la pure fiction. Il raconte la mort de Shelley, mais aussi les coups de soleil dont souffre Byron.
En Italie, mystérieuse Raffaella
C'est en Italie qu'il rencontre la belle et mystérieuse Raffaella et vit avec elle une passion interdite car elle est mariée, mais une passion d'autant plus brûlante. Grand romantique, Cashel n'aura de cesse de vouloir la rejoindre.
On le voit ensuite à Londres devenu romancier à succès, célébré pour sa blessure à Waterloo. Mais volé jusqu'au dernier centime par un éditeur peu scrupuleux, criblé de dettes, il s'enfuit aux Etats-Unis où il produit de la bière, puis se rend en Afrique pour chercher les sources du Nil et deviendra finalement diplomate à Trieste. Et on laisse au lecteur le plaisir de découvrir ses mille et une aventures. Cashel est trop romantique pour ne pas se brûler les ailes et éviter de se faire escroquer.
Pour raconter cette saga, jouissive à lire, pleine de rebondissements, William Boyd a mélangé ses sources. Il a l'art d'enchaîner les scènes fortes avec les séquences intimes et introspectives.
Chair faible, esprit embué
La force de William Boyd est de pouvoir mêler ainsi un grand roman classique, à la manière des grands romanciers anglais du XIXe siècle, à une description fine de l'existence humaine avec des héros jamais héroïques, mais faits de chairs parfois trop faibles et d'esprits souvent trop embués, ballottés par les hasards. C'est leur humanité qui fait tout le charme et la puissance des romans de Boyd. Celui-ci, rédigé à l'aube de ses 70 ans, n'échappe pas à cette règle.
Cashel a eu une vie apparemment "géniale", vécue pendant un siècle entier, mais au moment de sa mort, stupide comme toutes les morts, survenue à Graz en 1882, elle se réduit à presque rien : " des liasses ficelées de lettres reçues, des brouillons de lettres envoyées, quelques petits croquis, cartes et plans, quelques photographies… et quelques objets - une boîte à amadou, une balle de mousquet, une boucle de ceinturon."
Peu avant sa mort il songeait que "rien dans la vie n'était écrit ni prédéterminé. L'on pensait la route toute tracée et bien balisée, mais souvent la destination que l'on se fixait n'était jamais atteinte. Jamais. Des obstacles se dressaient, des diversions, des soucis, des changements d'avis, des changements d'envie…"
--> ★ ★ ★ ★ William Boyd | Le Romantique | Roman | traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Isabelle Perrin, Le Seuil, 528 pp., 24,90 €, numérique 17 €
EXTRAIT
“Il lui sembla détecter dans sa vie un schéma négatif : toujours il allait de l’avant pour une raison ou une autre, mais laissait derrière lui une personne chère. D’abord sa mère, puis Raffaella, puis Maeve et Nessa, puis Frannie et maintenant Ignatz. Cela ressemblait à une sorte de malédiction qui pesait sur le voyage à venir. Mais qu’y pouvait-il ?”