"Youth" de Paolo Sorrentino: avec le temps
Ce qui est beau dans un film de Sorrentino c’est le silence après le dernier plan. On voudrait qu’il dure longtemps, très longtemps, comme une émotion infinie. Ce silence, ce n'est pas du Mozart mais c’est de la musique quand même, une musique qui s’écoute avec les yeux. Critique.
Publié le 20-05-2015 à 15h46
Ce qui est beau dans un film de Sorrentino c’est le silence après le dernier plan. On voudrait qu’il dure longtemps, très longtemps, comme une émotion infinie. Mais à Cannes, rien ne dure, un film chasse l’autre, un spectateur bouscule l’autre. Ce silence, c’est pas du Mozart mais c’est de la musique quand même, une musique qui s’écoute avec les yeux.
Ouverture: un hôtel suisse, grand, classieux, thermal, lové dans une vallée de carte postale. Sur la terrasse, un homme âgé lit son journal. Un autre vient lui parler. C’est un émissaire de la Reine d’Angleterre. Elle serait “delighted” de l’anoblir et lui demande de diriger ses propres compositions au concert d’anniversaire du prince Philip. Fred Ballinger, maestro rangé des violons, refuse pour “raisons personnelles”. Il n’en parlera même pas à son meilleur ami de 50 ans, un illustre réalisateur qui s’est mis au vert (sublime des pâturages) pour écrire le scénario de son dernier film. Son testament. On croisera aussi un jeune acteur famous préparant son prochain rôle et un homme avec le portrait de Marx tatoué dans le dos. C’est manifestement le plus gros people de l’établissement, des gens attendent à la grille dans l’espoir d’un autographe, mais on ne voit pas du tout qui c’est.
On ne sortira pas de cet hôtel, il est trop beau, mi-ancien et mi-contemporain. On y est trop bien, la vue, le service, la piscine, le sauna, les balades, le massage, la literie, même miss Univers de passage… Heureusement qu’il y a le cinéma pour s’offrir un hôtel comme cela.
Paolo Sorrentino doit aimer les hôtels. Souvenez-vous, Tony Servillo y restait coincé toute la durée des “Conséquences de l’amour”. Son fidèle acteur, le cinéaste l’a remplacé par Michael Caine : même classe, même densité, même grâce. Mais parlant anglais. Depuis “La grande Bellezza”, Sorrentino ne raconte plus une histoire spécifique, il nous prend par la caméra pour une promenade. On fait un bout de chemin avec un personnage, puis avec un autre, et comme dans toutes les marches, on retrouve seul un moment. Alors, on pense, on réfléchit, on rêve et puis quelqu’un vient emboîter votre pas.
Un film de Sorrentino, ça marche comme cela. On voit une scène. Prenons le chef d’orchestre qui regarde des vaches et se met à les diriger comme un ensemble à clochettes. On décolle et puis on atterrit quelques scènes plus loin. Sorrentino a même prévu un parachute.
On aime certains films car ils vident le cerveau, d’autres parce qu’ils le remplissent. On va au cinéma pour se détendre, apprendre, s’ouvrir au monde, oublier la réalité, être transporté ailleurs. “Youth” et “Le tout nouveau testament” font partie de ces derniers. Ils nous conduisent à l’intérieur, dans un endroit sombre, angoissant tapissé de questions sur la vie, vieillir… Van Dormael et Sorrentino ont la délicatesse, l’élégance d’en faire des films très beaux, très plaisants, légers, enthousiasmants. Des films qui font du bien parce qu’ils sont généreux, ils partagent leurs idées, les lancent comme des bouées. On se souviendra de “La vie c’est comme une patinoire, on tombe souvent” de Jaco et ici “Les émotions, c’est tout ce qu’on a”.
“ On rêve toujours seul” disait Conrad, les personnages du cinéaste italien sont condamnés à la solitude. Mais c’est du cinéma. Voici deux jours, Sorrentino marchait dans une rue de Cannes oubliée par la foule, bras dessus, bras dessous avec sa femme.