Le crime comme un des Beaux-Arts
- Publié le 02-05-2017 à 11h30
- Mis à jour le 02-05-2017 à 11h31
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/AG4UJM3RIFCOZM4CHMHWHQZ4P4.jpg)
Un livre, parcours passionnant à travers les salles du Louvre pour y enquêter sur les « Scènes de crime »
On peut visiter un musée comme le Louvre de 1000 manières, mais le fil choisi par ce livre s’avère particulièrement passionnant : le crime ! On a pu déterminer que dans le roman ou le drame, neuf œuvres sur dix contiennent un ou plusieurs crimes. Dans la peinture ce n’est qu’une sur dix, mais cela fait déjà une histoire de l’art et du crime à raconter. Le criminologue Christos Markogiannakis a parcouru le Louvre pour nous raconter dans un livre, 27 « Scènes de crime ».
Il appelle sa démarche « criminartistique », nous amenant à mieux regarder ces tableaux, à y rechercher des indices de culpabilité. Il raconte aussi l’histoire de ces crimes, souvent mythologiques ou historiques, toujours étonnantes.
Toutes les formes de crime sont représentées : le régicide, la loi du talion, le duel, le génocide (la Saint-Barthélemy), le tueur en série, la meurtrière héroïque, le crime d’honneur (filicide), le parricide, le pédicide (tuer un enfant), le matricide (tuer le mari), le démocide (le meurtre par un gouvernement d’individus désarmés), le tératocide (tuer un géant), etc.
Dans ce voyage, nul besoin d’un point de vue moral ou pénal, le crime devient ici un des Beaux-Arts comme le voulait déjà l’écrivain Thomas de Quincey en 1827.
On retrouve dans sa liste, des tableaux très connus comme l’assassinat de Marat dans son bain par Jacques-Louis David (l’original est à Bruxelles au musée des Beaux-Arts, le Louvre en a une copie contemporaine). On ne voit pas la meurtrière car pour le peintre, partisan de Marat, seule la victime importait et il croyait que le nom de Charlotte Corday serait vite oublié. Il n’en fut rien et de nombreux peintres reprirent la scène mais en plaçant cette fois, au centre, la femme tueuse.
On retrouve aussi Médée protégeant ses enfants par Delacroix. Le livre explique qu’elle ne s’apprête pas à les assassiner pour se venger de Jason comme le dit une légende postérieure. Son geste est noble et Delacroix en laisserait un indice : Médée a le pied grec des Athéniens, le second orteil est le plus long, signe de noblesse !
Tous, des meurtriers en puissance
Bien entend on retrouve de Delacroix, le monumental « La mort de Sardanapale » où le tyran acculé à mourir, choisit de finir sur un bûcher entouré des ses femmes nues et de ses serviteurs qu’il fait exécuter devant lui. Racontant l’histoire de Sardanapale, l’auteur y voit une application de la « théorie de l’étiquetage » : un individu peut devenir délinquant lorsqu’il est étiqueté comme tel et qu’il en vient à accepter cette étiquette comme son identité personnelle.
Evoquant un tableau du meurtre d’Abel par Caïn, l’auteur souligne qu’étant tous des descendants de Caïn, nous sommes tous « des meurtriers en puissance ». Il montre encore la différence entre Salomé simple instrument de la vengeance de sa mère à l’égard de Jean Le Baptiste et Judith héroïne, meurtrière d’Holopherne.
Un coffre en émail de Limoges évoque le « Massacre des Innocents », l’occasion de rappeler qu’historiquement, il ne devait y avoir à Bethléem que 4 à 40 enfants maximum de moins de 2 ans susceptibles d’être tués par Hérode et non pas les 64000 nouveaux nés tués que la légende évoque .
Un tableau de David encore évoque la nécessité, parfois, de tuer ses propres enfants pour respecter la loi. Plusieurs tableaux instruisent le meurtre d’Agamemnon par Clytemnestre : serait-elle innocentée aujourd’hui d’avoir tué un mari violeur, infanticide et adultère ?
On pourrait tout raconter de ce parcours amusant où on retrouve bien évidemment les tableaux de Paul Delaroche, qui sont parmi les favoris des visiteurs du Louvre : « La jeune martyre » victime de Dioclétien, dont le cadavre flotte dans la rivière (Delaroche a peint sa bien-aimée morte à 31 ans). Et il y a la vision terrible des « Enfants d’Edouard », assis sur leur lit, attendant le bourreau envoyé par Richard III.
Antonin Artaud exprimait bien le rapport entre art et crime : « Nul n’a jamais écrit, peint, sculpté, modelé, construit, inventé que pour sortir en fait de l’enfer. »
« Scènes de crime au Louvre », par Christos Markogiannakis, 207 pp., Editions Le Passage (distribution Interforum), env. : 19 euros