"Maroni, les fantômes du fleuve": la part de ténèbres de la Guyane
- Publié le 24-01-2018 à 13h55
- Mis à jour le 24-01-2018 à 13h56
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Arte propose ce jeudi dès 20h55 un polar initiatique qui flirte avec les frontières du fantastique : "Maroni, les fantômes du fleuve". Soit 4 épisodes diffusés à la suite. Une réalisation impressionniste d’Olivier Abbou sur un scénario d’Aurélien Molas. Quelques mois après la série Guyane de Canal +, ce territoire d’outre-mer est à nouveau le cadre d’une série française mettant en avant ses paysages sublimes, ses frontières invisibles, son atmosphère moite et inquiétante à travers une enquête violente, sombre et hallucinée.
La mini-série Maroni, les fantômes du fleuve ** se concentre sur la part la plus secrète mais aussi la plus fantasmée de la société guyanaise : ses trafics en tous genres (animaux, minerais, êtres humains), ses bas-fonds et l’influence du vaudou. Le public entre dans cet univers de plain-pied via un crime sordide, celui d’un couple de "Blancs" retrouvés assassinés, suivi de la disparition de leur fils de neuf ans. Une affaire d’ampleur qui va mobiliser les effectifs du commissaire Koda (Issaka Sawadogo), dont Chloé Bresson (Stéphane Caillard) nouvelle recrue fraîchement arrivée de la métropole.
Si l’on fait abstraction de cette entrée en matière (un peu) caricaturale et de quelques passages obligés ou raccourcis faciles, on pourra se laisser envoûter par ce récit qui se joue des peurs fondamentales des sociétés humaines mais aussi du désir de l’homme de se confronter à ses rêves d’aventure et d’immortalité. Un récit archétypal et initiatique dans lequel on retrouve les influences d’une série comme "True Detective".
Nombre d’épisodes restreint oblige, le parcours chahuté et la descente aux enfers des deux policiers - Chloé et son collègue Joseph Dialo (campé avec conviction par Adama Niane) - sont précipités. L’histoire manque aussi, par moments, de réalisme, si tant est que l’on puisse juger un récit porteur d’une part aussi largement fantasmée sur base de ce type de critères…
On pourra apprécier "Maroni, les fantômes du fleuve" pour ce qu’elle est : un polar de genre, soignant avant tout son atmosphère visuelle singulière imaginée par le réalisateur Olivier Abbou. Il faudra, pour ce faire, dépasser sa noirceur, sa violence et sa vision "orientée" de Cayenne et de ses habitants puisqu’il s’agit de laisser s’exprimer la part de ténèbres de cette société. Comme l’indique, sans détour, la citation de Joseph Conrad inscrite en préambule de la mini-série.
Thriller écrit par un auteur de romans policiers, "Maroni" en charrie les principaux stigmates (traumas, fragilités, relations difficiles avec la hiérarchie et quête personnelle). La série séduira, pour ces mêmes raisons, les amateurs de polars.

"La Guyane ? Il ne faut pas laisser ce bijou comme cela"
La carrure imposante et le teint d’ébène d’Issaka Sawadogo lui assignent souvent des rôles de types peu amènes, patibulaires. C’était le cas dans "Guyane", la série de Canal+ où il campait Louis, bras droit d’un chercheur d’or. Un barbouze à qui personne ou presque ne parvient à décrocher un sourire. Dans "Maroni, les fantômes du fleuve", série à découvrir jeudi sur Arte, il est le commissaire Koda, homme fort et flic intraitable tentant de garder son jeune collègue Dialo loin des abysses où l’entraîne son enquête.
Neuf mois en immersion
Pour les besoins de ces deux rôles, le Burkinabé a passé neuf mois sur place (six pour la série "Guyane" et trois pour la série "Maroni"). Une expérience qui ne lui laisse que des bons souvenirs.
"C’était magnifique. La Guyane, c’est comme l’Afrique. Je me suis senti chez moi là-bas. C’est un pays sous-développé qui a des problèmes de minerais plus qu’en Afrique encore. La population ne dispose pas des infrastructures de base qui permettent d’avoir des repères de développement. Malgré le nom, ce n’est pas la France, en tout cas. De prime abord, cela m’a beaucoup choqué. C’est un pays qui est le poumon du monde, une nation qui se dit française, qui a plein de potentialités pour se développer mais qui est laissée à l’abandon. Il faut arriver, à travers la série, à faire ressortir les fondements de ce chaos-là pour que les gens puissent en prendre conscience. Il ne faut pas laisser ce bijou comme cela."
Changer l’image du pays
La série a amené toute l’équipe à aller à la rencontre de la Guyane et de ses habitants, précise le comédien. "À travers la forêt et la dureté de la vie là-bas. La population est fantastique mais il y a un fond de violence que je ne comprends pas, alors qu’il y a tout pour en faire un pays formidable. Les gens font des efforts. Je vois des hommes et des femmes qui se battent pour leur famille mais aussi des enfants qui sont abandonnés. Pendant mon séjour, j’ai vu des jeunes dans la rue qui n’ont aucun repère de développement et j’ai compris leur problème parce que je viens d’Afrique. Certains, à l’école, ont le cadre éducatif mais aucun cadre familial, donc quand ils arrivent à la maison, ils sont abandonnés à eux-mêmes. C’est comme cela que, peu à peu, ils sont versés dans la famille de la rue. Avec son cortège de dangers et d’excès : bagarre, drogue, alcool, armes… Certains ramènent d’ailleurs cette violence à l’école."
L’image de la Guyane montrée dans ces deux séries est donc réaliste, selon le comédien.
"Oui, c’est assez réaliste. On voit même que les problèmes environnementaux s’aggravent aujourd’hui. On voit comment la forêt amazonienne est décimée, de jour en jour, par les orpailleurs soi-disant "clandestins". Car on ne sait pas toujours qui est illégal et qui ne l’est pas..."
Issaka Sawadogo a établi une "connexion particulière" avec la population comme s’il avait toujours vécu dans ce coin reculé d’Amérique du Sud.
Passant dans les classes, l’acteur a discuté avec élèves, professeurs et parents des "opportunités à saisir pour ce territoire qui n’a de français que le nom". Au point que l’acteur a été surnommé "le maire de Guyane" en raison de ses actions visant à doper l’essor et la réputation du pays.