"L’Herbe de l’oubli", la pièce interpellante sur le nucléaire que le gouvernement devrait voir
- Publié le 13-01-2018 à 14h16
- Mis à jour le 15-01-2018 à 11h02
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Au lendemain de la découverte, au Théâtre de Poche, de "L’Herbe de l’oubli" (comme l’absinthe, traduction en russe de "Tchernobyl"), il est des informations, l’éventuelle construction d’une nouvelle centrale nucléaire en Belgique, qui font doublement frissonner. Et des spectacles, dont l’interpellante création de Jean-Michel d’Hoop, auxquels on souhaite envoyer tout le gouvernement. Première concernée, Marie-Christine Marghem, ministre fédérale de l’Energie, de l’Environnement et du Développement durable, est d’ailleurs invitée à la représentation du 23 janvier qui sera suivie d’un débat "Nucléaire : direction sortie ?" auquel participera l’Ecolo Jean-Marc Nollet.
Prise de conscience
Le gouvernement donc, mais aussi nos collègues, nos amis, nos voisins, nos enfants ou nos parents tant la pièce de Jean-Michel d’Hoop de la Cie Point Zéro et de la Coop ASBL est coup de poing, de griffe mais aussi de chaleur humaine.
Décidément, le Poche, coproducteur du projet, frappe à nouveau fort et fera sans doute salle comble. Encourageante perspective lorsqu’on connaît l’âge moyen de son public, à peine né lors de la catastrophe nucléaire du 26 avril 1986. Il prendra dès lors conscience de certains chiffres alarmants. Il faut environ cent mille ans pour que les déchets nucléaires soient totalement désintégrés. Ou que l’accident de Tchernobyl, cette énergie nucléaire privée pour que chacun ait l’électricité à domicile, a émis cent fois plus de radiations que le bombardement nucléaire de Hiroshima et Nagasaki.
Sens et sensibilité
Du théâtre documentaire, donc, mais pas seulement. Homme talentueux, metteur en scène de renommée internationale dans le milieu de la marionnette, Jean-Michel d’Hoop est avant tout un amoureux du théâtre et de la sensibilité. Celle qui a disparu après l’accident, comme en témoignent les paroles des Ukrainiens dont le premier souvenir est cette absence de sensations, cette guerre invisible qui prive les habitants de leurs sens. Ils ne voyaient, n’entendaient, ne sentaient rien mais le danger était rampant, omniprésent.
Pour monter "L’Herbe de l’oubli", Jean-Michel d’Hoop, qui accueille chaque été chez lui l’un des "Enfants de Tchernobyl", est parti à trois reprises en Biélorussie et en Ukraine, dans la ville fantôme de Pripiat entre autres, avec son équipe. Ensemble, ils ont recueilli de précieuses paroles. Pour l’écriture, le metteur en scène s’est également inspiré de "La Supplication. Tchernobyl, chronique du monde d’après l’Apocalypse", ce récit et essai de la journaliste et écrivaine Svetlana Alexievitch, lauréate du prix Nobel de littérature en 2015. Mais il y a aussi comme un air de "La Cerisaie" de Tchekhov dans cette maison ouverte aux vents. Structure de bois, résidu du passé ou promesse d’avenir, unique décor dont la toile de fond servira de support aux vidéos de Yoann Stehr, espace de parole et d’engagement, lieu de passage, de croisement, entre les êtres d’hier et d’aujourd’hui, de chair, de mousse, de cendre ou de chiffon.
Tableaux oniriques
Car il n’est point de spectacle du collectif Point Zéro sans marionnettes, fabriquées par Ségolène Denis assistée de Monelle Van Gyzegem. De taille parfois surhumaine, habillées de leur costume trois pièces défraîchi pour ces messieurs, la tête calcinée mais le cou orné d’un collier de perles pour cette élégante vieille dame, le visage décrépit pour cet enfant éperdu dans ce lieu oublié où les bébés naissent déjà malades, ou la couverture sur les genoux pour ces vieillards en chaise roulante.
Autant de tableaux oniriques, fantomatiques et émouvants alternant avec la galerie de portraits des habitants actuels de la région interprétés par d’habiles comédiens, et marionnettistes, qu’il s’agisse du débonnaire Corentin Skwara dans le rôle de l’agriculteur bio assisté par l’enthousiaste Léa Le Fell, du fringant Benjamin Torrini engoncé dans le déni, de la délicate Léone François Janssens ("La Théorie du Y", récompensé à Huy et adapté en série télé), de la sensible Héloïse Meire ou encore de François Regout, meilleur espoir masculin au Prix de la critique 2017, ici assistant à la mise en scène.
Une solide équipe pour un spectacle qui ne l’est pas moins et marquera la saison tant il démontre à quel point la parole humaine, le focus, l’incarnation et l’attention aux êtres touche bien plus qu’une froide énumération des faits.
- Bruxelles, Théâtre de Poche, jusqu’au 3 février, à 20h30. Infos & rés. : 02.649.17.27, www.poche.be