La prime "santé", un bon incitant pour travailler?
Publié le 24-05-2018 à 09h10 - Mis à jour le 24-05-2018 à 11h21
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La ville de Thuin propose dans son nouveau contrat social une prime de 250 euros à ses agents communaux malades moins de 15jours par an. La prime de "bonne santé", liée au présentéisme, est-elle un bon incitant pour travailler ?
Oui pour Paul Furlan, bourgmestre PS de Thuin.
Cette mesure vise à améliorer le bien-être des travailleurs de la ville de Thuin. La prime remplace les chèques repas et s’ajoute au bonus de fin d’année. Elle sera délivrée d’office aux employés atteints d’une maladie grave. Ce n’est pas un cadeau électoral.

Pourquoi avoir décidé d’instaurer une prime de bonne santé de 250 euros aux agents de la ville de Thuin malades moins de 15 jours par an ?
Cette mesure fait partie d’un nouveau contrat social qui vise, entre autres, à améliorer le bien-être au travail pour les employés de la ville de Thuin. Celui-ci est étudié depuis plusieurs mois par la ville.
Lors des négociations, nous avons eu une réflexion sur l’attribution de chèque repas pour nos employés. Malheureusement, cette mesure était impossible car elle sortait de nos moyens financiers. A la place, nous avons proposé à nos agents une prime de l’ordre de 250 euros liée au présentéisme. Cette somme s’ajoute à la prime de fin d’année qui, elle, n’est pas du tout liée au présentéisme.
On a décidé de lier cette prime de 250 euros à la présence de nos employés parce que le chèque repas, qui était la demande initiale, est lui-même lié à cette même présence.
La presse s’est excitée autour de ce dossier en le présentant comme une innovation fondamentale. Mais ce n’est pas le cas. Le chèque repas, qui existe depuis des dizaines d’années, est en quelque sorte une prime au présentéisme. Ici, la différence, c’est qu’on la donne d’un seul coup, en fin d’année.
Quel est le taux d’absentéisme chez vos agents communaux ?
A Thuin, il est très faible. On a un taux d’absentéisme de l’ordre du secteur privé, entre 3 et 5 %.
On verra ce que dira la tutelle, l’administration wallonne qui doit approuver le projet de contrat social. Elle examine les dossiers à chaque fois que l’on modifie le statut de notre personnel. La ministre des Pouvoirs locaux doit aussi approuver le projet. Et si la tutelle n’accepte pas la prime au présentéisme, on la supprimera de notre contrat social.
En tout cas, l’ensemble de nos 140 agents est en accord avec ce projet. Ils sont plutôt séduits. Cela fait l’unanimité.
Que répondez-vous à ceux qui affirment qu’il s’agit d’une simple mesure électoraliste ?
C’est faux. Quelque part, la volonté est un petit peu égoïste : la mesure a pour objectif de faire mieux tourner l’administration et non pas de donner des avantages aux gens. Vous savez, mes employés ont dû accepter que leur véhicule soit géolocalisé.
Donc, contrairement à ce que j’ai entendu, ce ne sont pas des cadeaux électoraux. Thuin a défini un modèle basé sur la confiance grâce auquel vous avez moins de malades, moins de grèves. Ceux qui viennent travailler sont plus motivés. Je trouve qu’il n’y a rien de pire que d’arriver derrière un guichet et de vous trouver face à un fonctionnaire aigri. S’il est comme ça, c’est parce que ses conditions de travail ne sont pas bonnes. Parce qu’il va travailler avec des pieds de plomb. Je veux donc démontrer qu’il existe une autre manière, plus efficace, de gérer une administration. Il faut faire comme la Suède ou le Danemark en allant vers un modèle qui vise à améliorer la motivation au travail pour faire tourner l’économie. Thuin est un laboratoire qui expérimente une autre manière d’organiser le travail.
Pourquoi avoir fixé la période maximale d’absence à 15 jours par an ?
Cela correspond à peu près à 3 semaines d’absence. Il fallait fixer une norme. On a trouvé que c’était la bonne mesure. A Thuin, on a décidé qu’il fallait instaurer quelque chose de modéré donc, on a exclu du principe toutes les maladies graves comme le cancer, Parkinson, etc. Les personnes qui en sont atteintes percevront bien la prime.
Prenez-vous en compte dans votre mesure les parents qui devront peut-être prendre congé car leur enfant est malade ?
Non. On a uniquement pris en compte la liste des maladies graves inscrites dans la loi. Encore une fois, quand vous avez des chèques repas, c’est un montant bien plus important que 250 euros par an en termes de prime puisque vous avez à peu près 10 euros par jour de chèque repas. Au regard de nos finances communales, cette augmentation de prime est dérisoire.
Entretien : Louise Vanderkelen
Non pour Jean-Marie Leonard, administrateur de la Plateforme d’action santé & solidarité.
Cette prime induit l’idée que la personne malade profite de la situation. C’est aussi une forme de chantage, qui pousse les travailleurs à choisir entre pouvoir d’achat et santé. En matière de bien-être au travail, il faudrait consulter les travailleurs eux-mêmes.

Que pensez-vous de la proposition de la Ville de Thuin, qui vise à offrir une prime de 250 euros si les congés maladies des employés communaux n’excèdent pas 15 jours par an ?
Ce qui nous importe c’est comment faire en sorte que le travail ait un objectif humain, et pas un objectif de rentabilité. Faire en sorte que, parce qu’on vient travailler, on a une prime, cela veut dire que tous ceux qui se trouvent malades et qui ont un certificat médical sont tous des profiteurs. Or je suppose qu’à Thuin, pas plus qu’ailleurs, quand on est malade on n’est pas nécessairement un profiteur.
Quels risques les travailleurs pourraient-ils encourir selon vous ?
Prenons le cas d’un "burn-in", qui consiste à aller au travail tout en étant malade : une fois que ça "craque", ça craque beaucoup plus fort que si on s’était soigné à temps.
Quelles solutions préconisez-vous pour mieux organiser le travail ?
Il faudrait qu’à Thuin nous puissions organiser avec les travailleurs une "recherche-action" visant à évaluer tout cela. Pour que les travailleurs puissent se sentir consultés sur les problèmes qui les concernent directement.
La "recherche-action", en quoi est-ce que cela consiste concrètement ?
C’est une recherche qui se base sur une série de références théoriques produites par les universitaires, le monde académique, etc., mais qui dès le départ concerne les travailleurs sur le terrain. Lesquels sont observés par des scientifiques, ce qui permet d’objectiver et valider ce qu’ils expriment.
Nous pensons que les premiers experts ne sont pas ceux qui viennent avec tout un tas d’outils sophistiqués pour mesurer tel niveau de bruit ou tel niveau de charge, mais les travailleurs eux-mêmes, qui doivent avoir la parole pour s’approprier leurs conditions de travail.
D’après vous, on ne peut donc pas concilier bien-être au travail et rentabilité ?
Il est important qu’on inverse la façon d’organiser le monde du travail. Si l’objectif c’est la pure rentabilité et le pur profit, le travailleur va focément être considéré comme tel. Si on veut humaniser le travail, il faut faire en sorte qu’il soit suffisamment épanouissant pour le travailleur, qu’il ait un sens pour lui. Ce que je dis là est assez théorique, mais, par exemple, le conflit qui a eu lieu chez Lidl est représentatif de la chose, avec des personnes qui sont tellement oppressées par la rentabilité qu’on attend d’eux qu’elles sont à bout. Sans parler de l’incidence des nouvelles technologies.
Justement, pour mieux faire tourner l’administration, les employés de la Ville de Thuin ont accepté que leurs voitures soient géolocalisées.
Tout cela est assez emblématique de ce qui se passe aujourd’hui. Comme dans le secteur logistique, où les gens ont des casques sur la tête à longueur de journée et par lesquels les ordres de commande leur arrivent au point que le soir, ils répètent les mots qu’ils entendent dans le casque. J’ai été stupéfait d’apprendre que des travailleuses de chez Lidl portent continuellement une oreillette et entendent les conversations de tous les travailleurs pendant leur temps de travail. En ce compris la caissière, qui est en relation avec les clients.
Paul Furlan, bourgmestre de Thuin, a déclaré qu’il envisageait la ville tel "un laboratoire d’efficacité et de bien-être au travail". S’il vous proposait de venir avec des propositions, vous accepteriez ?
Evidemment. Avec des délégués de la FGTB, mais aussi des médecins généralistes ou des représentants des mutuelles, nous avons mené toute une série de "recherches-actions", qui permettent aux travailleurs d’exprimer ce qu’ils vivent. Ce qui nous permet de faire des propositions concrètes de changement et d’amélioration. La plupart des recherches actuelles coûtent très cher, et une fois qu’elles sont terminées on les met dans des tiroirs et on ne sait pas quelles sont les conclusions opérationnelles qu’on peut en tirer.
Entretien : Clément Boileau
Le nouveau contrat social de Thuin
Parmi les mesures inscrites dans son nouveau contrat social, la ville de Thuin prévoit la diminution de 38 à 36 heures de travail par semaine pour ses employés et ce, sans perte de salaire. Les agents de la commune de plus de 60 ans passeraient quant à eux directement à la semaine des quatre jours, via un 4/5 temps sans diminution de revenus. Une revalorisation des bas salaires est, elle aussi, prévue par le contrat social et ce, via la suppression des petites échelles barémiques.