Allonger le congé de deuil à dix jours, est-ce une bonne idée ?
L'allongement du congé masque-t-elle le peu d'efforts en matière de simplification administrative ?
- Publié le 30-06-2021 à 19h30
- Mis à jour le 01-07-2021 à 11h58
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Le 17 juin, la Chambre a voté en faveur de la proposition de loi visant à allonger le congé de deuil, qui passera de trois à dix jours lors du décès d’un enfant ou d’un conjoint. Tir manqué, le premier problème pour les proches n’est-il pas le labyrinthe administratif ?
Un allongement nécessaire pour Nahima Lanjri Députée (CD&V) fédérale
Le congé de deuil suite au décès d’un enfant ou d’un conjoint passera de trois à dix jours. Le deuil n’est pas une maladie, c’est un droit fondamental. Les proches auront plus de temps pour se poser, réfléchir à leur perte et faire leur deuil. Jeudi 17 juin, la Chambre a approuvé à l’unanimité votre proposition de loi visant à allonger le congé de deuil. Pourquoi avez-vous pris cette initiative ?
Quand on est confronté au décès d’un enfant ou d’un conjoint, trois jours de deuil, ce n’est pas assez. Tout le monde s’accorde là-dessus. Parce qu’on vit un choc terrible, puis on enchaîne avec l’organisation des funérailles et il reste peu de temps pour faire son deuil. Passer de trois à dix jours n’est sans doute pas suffisant mais c’est une avancée. Cet allongement est aussi une marque de reconnaissance. Le deuil est un processus normal et légitime qu’on doit accepter et non une maladie. Que constatait-on ? Qu’après la période de deuil de trois jours, de nombreuses personnes allaient voir leur médecin et obtenaient un certificat d’absence pour cause de maladie. D’autres n’osaient pas aller se confier au médecin. Cette période de 10 jours pour tous évitera de devoir recourir à un certificat médical à cause de son chagrin.
Concrètement qu’est-ce qui va changer ?
Jusqu’à présent, la loi fixait le congé de deuil (pour un enfant ou un partenaire) à trois jours pour les salariés, quatre jours pour les fonctionnaires et rien pour les indépendants. À l’avenir, ce congé s’étendra à dix jours pour tout le monde. Parce que la mort et le chagrin frappent indistinctement, qu’importe notre statut professionnel. David Clarinval, ministre des Indépendants, va spécifier dans un prochain arrêté royal les modalités - dont le montant des allocations - à destination des indépendants. Autre évolution, auparavant les trois jours de congé étaient à prendre pendant la période qui commence par le décès et se termine par les funérailles. Désormais, la souplesse prévaudra. Si vous vous accordez avec votre employeur, vous pourrez étaler les jours de congé comme vous le souhaitez. Exemple, si votre enfant habite en Afrique du Sud et décède, il vous sera difficile de partir le jour même. Vous pourrez prendre congé à partir du jour des funérailles et les jours suivants. Les sept jours supplémentaires sont à prendre, eux, dans l’année suivant le décès, quand vous en aurez la nécessité - c’est un droit - je pense notamment si vous ne vous sentez pas bien le jour anniversaire de la personne défunte ou de son décès. Certains prendront probablement les dix jours en une fois, d’autres en prendront trois ou cinq puis les autres quand ils en auront besoin. Dernier point de la réforme, les parents de famille d’accueil de longue durée (6 mois et plus) pourront aussi demander ce congé en cas de décès d’un enfant.
Qui va payer ces congés supplémentaires ?
On étend le système de congés de circonstance ou "petits chômages" (NdlR, mal nommé puisqu’il n’est en rien un recours au chômage) qui autorise le travailleur à s’absenter du travail pour cet événement précis, avec maintien de sa rémunération. L’employeur en aura donc la charge pour la période étendue aux dix jours. Pour les indépendants, ce sera l’Inasti qui versera l’allocation.
Quel est le coût estimé de cette nouvelle mesure ?
Il n’y aura pas de coût supplémentaire ou presque pas. Je m’explique. Aujourd’hui, si je perds mon mari, je vais prendre mes 3 jours de congé de circonstance, après je me mettrai, comme beaucoup, en maladie. Dans les deux cas, c’est l’employeur qui continue à payer la rémunération (du moins jusqu’à la fin de premier mois de maladie du salarié). Peut-être y aura-t-il davantage de gens qui prendront les dix jours de congé et qui auparavant ne tombaient pas malades. Mais d’autre part, ces congés ne sont pas une obligation mais un droit. Certains voudront retourner travailler pour se vider la tête ou ne pas rester seul. Une précédente estimation arrivait à un coût de 3 millions d’euros, mais je le répète, cette somme est déjà majoritairement prise en charge par les employeurs.
Ne craignez-vous pas d’indisposer les petites PME qui s’opposent à la multiplication des congés pour des raisons de surcoût mais aussi des problèmes d’organisation interne du travail ?
Ce n’est pas n’importe quel congé. On ne choisit pas de perdre son enfant ou son épouse. Même sans cette nouvelle loi, certains secteurs octroient déjà davantage que les trois jours légaux de deuil. Même des petits employeurs proposent à leur salarié en deuil de "prendre le temps dont il a besoin". À défaut, il tombera malade.
“Au niveau organisation, ce n’est pas évident et il faut le savoir. ”
Monica De Jonghe (FEB)
“…les entreprises doivent gérer avec souplesse les congés multiples des travailleurs et constamment veiller à ce que tous les postes soient correctement occupés pour garantir
la bonne marche de l’entreprise.” À propos des nombreux congés légaux en Belgique, dans La Libre du 15 mai 2018.
Une fausse solution pour Bram Coussement, directeur de Sereni, entreprise funéraire
La prolongation du congé de deuil n’est pas la solution ultime. Le problème majeur pour les proches est celui des questions administratives. Un guichet unique serait la solution. À côté, nos décideurs devraient penser à intégrer l’accompagnement du deuil dans le secteur des soins.
Que reprochez-vous à la votation de la Chambre ?
En allongeant le congé de deuil de trois à dix jours, les pouvoirs publics se débarrassent un peu trop facilement du problème social majeur que pose le deuil. Dans notre société, notre approche du deuil est erronée. Tout d’abord, un décès plonge les proches parents dans un écheveau administratif contraignant pour s’occuper de toutes les formalités. Ensuite, les soins funéraires et l’accompagnement du deuil ne font pas encore partie intégrante du secteur de la santé, même s’ils constituent une part importante des soins de santé au cours de la vie des gens (les plus proches parents). Enfin, le secteur de la santé a besoin d’une plus grande coopération entre les différentes professions de la santé et d’une formation appropriée en matière de soins funéraires et d’accompagnement du deuil. Ce n’est pas simplement en prolongeant de quelques jours le congé de deuil que nous y arriverons.
Y a-t-il une difficulté à prendre en compte et à réglementer ce qui se joue vraiment autour de la mort ?
La mort et le processus de deuil sont encore tabous dans notre société. Le Belge est en général assez réservé et n’aime pas parler de ses sentiments. Parce que nous refoulons souvent nos sentiments, nous prenons beaucoup de temps pour les accepter. Lorsqu’un être cher s’en va, il faut, chez de nombreuses personnes, des années, voire toute une vie, pour l’accepter. Est-ce que l’octroi de sept jours de deuil supplémentaires constitue vraiment une solution ? Je ne le pense pas. Ce n’est qu’en combinant plusieurs facteurs que nous pourrons mieux aborder le tabou et créer plus d’espace dans notre société pour permettre aux proches de faire leur deuil.
Pouvez-vous développer les deux problèmes évoqués ?
Le premier problème majeur est celui du labyrinthe administratif pour les proches. Si vous perdez un être cher, vous ne subissez pas seulement un choc émotionnel, mais également des contraintes administratives. Après les obsèques ou la crémation, les proches doivent encore affronter une foule d’instances pour tout régler (pensez aux services de la commune, aux banques, à la caisse de retraite, etc.). Nos décideurs devraient mettre en place un guichet unique pour toutes ces questions administratives. Ces tracas administratifs sont bien souvent la dernière chose dont les proches souhaitent s’occuper après un décès. Tout régler après un décès devrait être aussi simple que d’enregistrer la naissance d’un enfant. Deuxièmement, il y a un manque de coopération et de connaissances parmi les différentes professions de la santé pour faire face à un décès, en particulier en ce qui concerne les soins aux proches. Infirmiers à domicile, personnels hospitaliers, personnels dans les maisons de repos : tous sont concernés. Et pourtant, nous recevons chaque semaine dans notre entreprise funéraire, des dizaines d’appels d’aides-soignants qui veulent aider les proches d’un défunt et répondre à leurs questions, mais ne savent tout simplement pas comment procéder. Nous devons faire quelque chose à ce sujet !
Que revendiquez-vous ?
Je souhaiterais que les soins funéraires et l’accompagnement du deuil soient davantage intégrés dans les formations en soins de santé au sein des hautes écoles et des universités. Il convient de développer une politique transversale dans laquelle chaque professionnel de santé qui est en contact avec les proches d’un défunt sache ce qu’il peut ou doit faire. Et pourquoi ne pas enfin intégrer les soins funéraires et l’accompagnement du deuil dans le secteur de la santé ? Nous aussi, nous assurons des soins pendant la vie des gens. Si nous voulons que notre société apprenne à mieux s’occuper des personnes endeuillées après un décès, et de manière plus humaine et plus personnelle, il ne suffira pas d’octroyer quelques jours de congé de deuil supplémentaires. En résumé, nos responsables politiques doivent simplifier l’écheveau administratif, investir dans une politique inclusive où l’accompagnement du deuil est intégré dans le secteur des soins et développer un cadre général permettant de partager encore plus et encore mieux les connaissances en matière de funérailles avec tous ceux qui s’occupent des proches, avant ou après un décès.
Aussi pour les fonctionnaires régionaux
Pourquoi les parlements régionaux légifèrent-ils aussi sur cet allongement du congé de deuil ?
La Chambre est compétente pour légiférer à destination des salariés du pays, des indépendants et des fonctionnaires fédéraux. Mais concernant les fonctionnaires régionaux, communaux et les enseignants, ce sont les parlements régionaux et communautaires qui sont compétents.