À quoi ressemblera le nouveau modèle du marché de l’électricité ?

Une chronique signée Charles Cuvelliez et Patrick Claessens, École Polytechnique, Université Libre de Bruxelles.

Contribution externe
<p>La France est redevenue au tournant de l'année 2023 exportatrice nette d'électricité, a indiqué mardi RTE, le gestionnaire du réseau électrique de haute et très haute tension</p>
L’incapacité des États à contrôler les prix de l’électricité, un besoin de base, suscite l'incompréhension de la population. ©AFP/Archives

Faut-il incriminer les énergies fossiles comme seule cause du dysfonctionnement du marché de l’électricité, comme le voudraient les partisans du marché libéralisé de l’électricité, ou faut-il reconnaître son erreur ? Même 20 ans après sa libéralisation, il n’est pas trop tard. À la décharge de ceux qui ont conçu le modèle il y a 25 ans, le gaz était la ressource idéale pour la supporter, abondante, bon marché et stable. Aujourd’hui ce n’est plus le cas et ce n’est pas que la Russie qui en est la cause. Les prix du gaz se transmettent, avec un facteur 2, au prix de l’électricité puisque ce dernier est fixé par la dernière centrale qu’on met en route pour rencontrer la demande (le facteur 2 vient du rendement de ces centrales au gaz).

Grâce aux gains réalisés sur le prix de l’électricité calé sur le coût marginal de la centrale au gaz, les producteurs qui utilisent d’autres formes d‘énergie primaire (éolien, photovoltaïque, nucléaire, hydraulique) peuvent récupérer plus et avoir un retour sur investissement qui les encourage à investir dans le non-fossile. Cette rente inframarginale est devenue tout à coup un gros mot vu son niveau stratosphérique.

Les solutions d’urgence

Dans un papier appelé à faire date, la Florence School of Regulation (FSR) a dénombré 7 manières différentes au niveau des États membres sur la manière de protéger le citoyen contre le côté déviant du marché avec de tels prix. On peut réguler le prix au détail, on peut reporter dans le temps l’élévation de prix, ce qui revient à la transformer en dette sur plusieurs années pour le consommateur (comme au Danemark). On peut lisser la hausse et l’étaler (comme en France). On peut même interdire toute augmentation de prix, comme l’a fait la Grande Bretagne. On peut récupérer les surprofits inframarginaux comme l’a imposé la Commission, le temps de la crise. Cette manière de faire rappelle l’obligation faite à EDF de revendre à un prix imposé une partie de son électricité nucléaire (120 TWH à 42-46 euros/MWh), ce qui, au prix du marché à 200 euros/MWh, représente 24 milliards de surprofits (rien qu’en 2022) qui sont passés sous le nez d’EDF et qui ont profité à ses concurrents qui pouvaient l’acheter (et la revendre au prix du marché). L’Espagne s’est rendue célèbre avec son modèle ibérique qui subventionne le prix du gaz pour diminuer le coût marginal de production d’électricité et son prix sur les marchés de gros.

Le modèle allemand distribue aux particuliers (et aux entreprises) assez de revenus supplémentaires pour faire face aux factures : ce sont les fameux 200 milliards d’euros offerts qui ont fait hurler le reste de l’Europe (pour l’avantage concurrentiel ainsi offert aux entreprises).

Les solutions structurelles, pas pour demain

Toutes ces solutions ont un triste caractère commun : ils font perdre peu ou prou (certaines mesures sont moins coûteuses, comme le modèle ibérique, que d’autres, comme le modèle allemand) aux États d’importants moyens financiers précieux pour investir dans d’autres formes d’énergie décarbonée, mais il n’y a pas de réelle alternative pour soulager le consommateur. Car une réforme du marché de l’électricité ne sera effective qu’à long terme pas avant 2025, et c’est sans compter les élections européennes de 2024 et l’installation toujours laborieuse d’une nouvelle commission qui est censée piloter la réforme.

L’incapacité des États à contrôler les prix de l’électricité, un besoin de base, plus que le pain (dont on surveille, dans certains pays, le prix comme le lait sur le feu) suscite l'incompréhension de la population. Sans énergie, c’est l’exclusion sociale. La précarité énergétique commence quand 10 % de ses revenus doivent être consacrés à l’énergie, comme le rappelle la FSR. La précarité n’a pas commencé avec la crise, mais la crise l’a grandement exacerbée !

Pour éviter le sauvetage à prix d’or d'Uniper par l’Allemagne, les États doivent aussi protéger leurs fournisseurs, soit en les forçant à utiliser les (bons) instruments financiers pour se protéger des variations de prix, soit en apportant leur garantie (à leurs risques et périls).

Deux outils mis en avant

La FSR met en avant, pour le nouveau modèle de marché, deux outils, les Contracts for Differences (CfD) et les Power Purchase Agreements (PPA). Avec les CfD, un prix est garanti aux producteurs. S’il vend son électricité au-dessus de ce prix, il doit rembourser la différence à la collectivité. S’il le vend moins cher que le prix garanti, le flux s’inverse. On garde l’essence d’un marché libéralisé mais il n’y a plus d’incitant à faire virevolter les prix en dents de scie. Les PPA sont des contrats long terme qui lient le client professionnel à un producteur, ce qui apporte stabilité et certitude. Ces PPA auraient intérêt à être offerts sur un marché plutôt que de gré à gré pour éviter des transactions sous-optimales par manque de transparence des conditions offertes aux voisins.

Il faut rendre la demande flexible (avec les compteurs intelligents par exemple) pour que les surplus de production d’électricité à base d’énergie renouvelable par jour de grand vent ou soleil ne soient mis sur le marché à prix cassés au point de ne pas couvrir les coûts marginaux. Qui voudra encore investir dans le renouvelable si, au moment des conditions optimales de production, cela ne rapporte rien.

Enfin, rappelle la FSR, il ne faut surtout pas oublier le marché des capacités. On rémunère un producteur pour garder en standby des unités de production en cas de pic de consommation. Mais la FSR va plus loin : c’est aussi une manière de rémunérer le stockage ou des services de flexibilité, une innovation qu’on ne peut inclure dans le prix de vente de l’électricité.

Il faut aussi mettre à jour les réseaux de distribution qui commencent à congestionner avec la production décentralisée qui y fleurit. Avec l’avènement des voitures électriques et des pompes à chaleur, cela n‘ira que s’aggravant.

Mais la FSR nous douche en conclusion. La Banque centrale européenne n’a pas l’air de vouloir relâcher les taux d’intérêt, ce qui augmente le coût du capital au moment où on en a le plus besoin. Et ce n’est pas le budget des États qui peut nous aider, avec la ponction que lui ont fait le Covid et maintenant les mesures pour soulager le consommateur dans sa facture d’énergie.

La FSR propose en tout cas des pistes qui devraient faire consensus.

Pour en savoir plus : Working Paper, Reforming the EU internal electricity market in the middle of a huge energy crisis : an absolute short-term emergency or preparation for the future ? Jean-Michel Glachant, Florence School of Regulation.

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