Comment l’eau de Spa s’embouteille
Spa Monopole et sa marque phare Spa Reine fêtent cette année leur 100e anniversaire. L'occasion d'effectuer une visite de l'usine.
Publié le 21-11-2021 à 12h09 - Mis à jour le 21-11-2021 à 12h10
Dire que l’on voit l’usine de Spa Monopole de tous les coins de la cité balnéaire est présomptueux. Hormis ses cheminées, le bâtiment est assez bas et tout en longueur (1,3 km), coincé entre la ligne de chemin de fer et l’avenue des Lanciers. Mais, dans le cœur des Spadois, elle déborde de partout. Très certainement dans celui des quelque 500 personnes qu’elle emploie, parfois depuis plusieurs décennies.
"Les plus âgés parlent encore de la Compagnie fermière" , raconte Amaury Collette, directeur des opérations du groupe Spadel depuis quatre ans et demi, en référence à cette Compagnie fermière des eaux et des bains qui, en 1921, par l'entremise d'Ernest du Bois, le grand-père de l'actuel CEO du groupe Spadel, s'est transformée en Spa Monopole. C'était il y a 100 ans.

"Mais c'est un double anniversaire que l'entreprise fête cette année, ajoute-t-il, puisque c'est de la même année que date le début de l'exploitation de la source de la Reine et de la production de la Spa Reine, notre marque phare." Voire un triple anniversaire vu que c'est également en 1921 que Spa Monopole s'est installée au creux de la ville, non loin de la gare. Le bâtiment administratif originel est toujours bien là, avec ses boiseries et ses vieilles - et moins vieilles - affiches. Par contre, des lignes de production de l'époque, il ne reste rien. "Le site d'embouteillage a été reconstruit afin d'accueillir le développement de la marque et la croissance des volumes" , indique Amaury Collette.
"On est presque arrivés au maximum de l'occupation du terrain. Il va falloir être créatif désormais en termes d'expansion" , complète Eric Kazmierczak, Customer Claims Manager, en nous affublant d'un vêtement de protection et d'embouts de chaussures antichocs. Pas besoin néanmoins de casque antibruit ; on ne s'entend pas bien, mais le son n'est pas infernal. Peut-être l'est-il à la longue ou lorsque les sept lignes de production sont actives : une pour les bouteilles en verre, six pour celles en PET, chacune portant un chiffre, incongru aux non-initiés, dépendant des travées : 12, 34, 60, 70, 80… "À haute cadence, la ligne verre produit jusqu'à 60 000 petites bouteilles par heure et 40 000 grandes, d'un litre et plus, ajoute notre guide. Les lignes PET embouteillent entre 30 000 et 40 000 bouteilles par heure selon leur format."

Trois eaux bien différentes
Lors de notre visite, toutes les lignes n'étaient pas en fonction. Elles ne le sont quasiment qu'en été. Pourtant, où que l'on pose le regard, il y a toujours quelque chose en mouvement. La lumière, entrant à flots par les deux énormes baies, donnait même à l'usine un petit air de magique douceur, se réfléchissant qui sur les tuyaux d'aluminium amenant l'eau des trois sources à quelques kilomètres de là, qui sur les centaines de bouteilles encapuchonnées de peu, cheminant sur leur tapis roulant. "Sur cette ligne-ci, aujourd'hui, on embouteille de l'Intense en 1,5 litre", explique Serge Freymann, opérateur de production, qui a commencé sa carrière chez Spadel en 1988 comme trieur de vidanges.
La Spa Intense, anciennement appelée Barisart, est une eau pétillante, c'est-à-dire gazéifiée. La Spa Finesse (ex-Marie Henriette) est une eau minérale naturellement pétillante. "On n'y ajoute rien, souligne Eric Kazmierczak. C'est une des très rares eaux de ce type en Europe. On l'utilisait dans les baignoires en cuivre des anciens thermes. C'est l'eau qui a le parcours le plus profond. Pas moins de 600 mètres. Cela veut dire que celle que l'on boit aujourd'hui a 50 ans, émanant d'une pluie datant de… 1971." Quant à la Spa Reine, c'est l'eau souveraine de Spa, l'eau plate par excellence, à faible minéralisation. "C'est celle qui est logée sur la partie supérieure du relief. Elle a environ 2 ans. La Spa Intense a entre 5 et 10 ans."

Double contrôle
À peu de chose près, sur chaque ligne, l'itinéraire est similaire : "Les bouteilles sont remplies dans les carrousels des sous-tireuses, détaille Serge Freymann. Elles sont alors bouchonnées, puis défilent devant un premier dispositif de contrôle. De quoi vérifier le conditionnement, le remplissage et le bouchon." Celles qui sont avalisées entrent alors dans un deuxième cylindre qui va les parer de leurs étiquettes dorsales et frontales et graver la date de péremption sur le bouchon. "S'ensuit un deuxième contrôle, tout aussi automatisé, ajoute le chef d'équipe production, qui vérifie notamment le bon positionnement des étiquettes."
De là, direction l'empaquetage où les bouteilles forment un énorme bouchon, cliquetant les unes contre les autres. "C'est la table d'accumulation, poursuit Serge Freymann, qui permet de gommer les éventuels arrêts du parcours, afin que leur empaquetage par groupe de six ne soit pas perturbé."



Ce parcours, qui ne prend pas plus de deux à trois minutes, débute différemment qu'il s'agisse de bouteilles en verre ou en PET, d'eau plate ou pétillante. "La Reine et la Finesse arrivent comme telles. L'Intense doit être désaérée puis insufflée de CO2, explique Eric Kazmierczak. Au début de la ligne verre, il y a la phase de nettoyage des bouteilles à l'eau chaude (85 °C). Quant aux lignes PET, elles démarrent avec la formation des bouteilles. Les tubes viennent du dépôt en sous-sol, bleus pour la Spa Reine, transparents pour toutes les autres gammes. Ils sont dépoussiérés puis entrent dans la souffleuse où ils seront chauffés et soufflés dans des préformes afin de former la bouteille adéquate, avant qu'elles soient plongées dans de l'eau glacée pour être refroidies." Sans pour autant consommer trop d'eau : chaque litre d'eau embouteillée a suscité une perte de 0,56 litre. "Dans le rinçage et le refroidissement - mais c'est de l'eau industrielle -, dans le circuit de remplissage et dans les rejets des bouteilles non conformes, précise-t-il. C'est peu - très certainement par rapport à la quantité d'eau nécessaire à la fabrication d'un jeans -, mais on a pour objectif de faire encore mieux."

Des robots pour gérer les stocks
Chaque ligne se clôture, par contre, de la même manière, les bouteilles voguant vers les palettiseurs et, par robots interposés, jusqu'au stock, où elles sont prises en charge par les équipes du département Transport et Distribution, que Coline Compère a rejoint le 1er janvier de cette année. "Enfant, je suis venue visiter l'usine, dit-elle. C'est une grande entreprise mais avec des valeurs familiales, ce qui m'a attirée. Et puis, qui ne connaît pas Spa Monopole…" Un boulot auquel elle n'était pas préparée au départ, ayant fait ses armes dans une agence de voyages. Or, l'eau de Spa, c'est l'un de ses principes de base, ne voyage pas au-delà de 500 kilomètres autour des sources. "Mais on parle beaucoup anglais", sourit-elle, qui devient de plus en plus la langue véhiculaire du groupe.
Chaque jour, entre 70 et 80 camions s’en vont distribuer leur cargaison en Belgique et ailleurs. Et jusqu’à 100 en haute saison (juillet et août).
3 questions à Amaury Collette, Group Operations Director Spadel

1. En quoi le site de Spa Monopole diffère-t-il des autres sites de production de Spadel que sont Bru en Belgique, Carola et Wattwiller en France, Devin en Bulgarie ?
Avant tout, par sa taille. Sur les 900 millions de litres mis en bouteilles par Spadel, 450 millions le sont ici. Et l’usine a l’ambition d’en embouteiller 500 millions l’an prochain. À titre de comparaison, Bru sort 35 millions de litres par an. Mais ce qui différencie ce site-ci des autres usines du groupe, c’est son histoire familiale. Et, surtout, le fait que l’ensemble des collaborateurs forment une grande famille. Soit 483 personnes, plus 70 à 80 intérimaires en juillet et août, quand il faut produire jour et nuit et les week-ends. La grande majorité des collaborateurs habitent la région spadoise. Différentes générations cohabitent. Il y a souvent des liens familiaux entre elles. Et toutes ont la même fierté de travailler ici. Dans la région, on dit qu’on travaille "au Monopole" ou "pour le Mono". Certains, plus âgés, disent qu’ils travaillent "à la Compagnie fermière", alors que ce nom a été remplacé il y a 100 ans par Spa Monopole… D’autres, plus jeunes, ont fait la connaissance de l’usine lors d’une visite scolaire. Notre centre visiteurs, rebaptisé l’Eaudyssée, accueille jusqu’à 15 000 personnes par an qui ont une vue plongeante et directe sur la production. Spa Monopole est vraiment une entreprise référente dans la région : son produit est local mais internationalement connu.
2. Est-ce à Spa Monopole que Spadel teste ses innovations techniques ?
Prioritairement, oui, mais pas exclusivement. C’est le seul site de production où l’on a l’ensemble des gammes (bouteilles en verre et en PET, eaux plate ou gazeuse, eaux aromatisées, limonades, formats de 0,33 à 1,5 l), soit plus de 300 références pour une trentaine de produits. On innove beaucoup ici. Le niveau d’automatisation et d’industrialisation est très élevé. On fait énormément d’investissements : près de 500 millions au cours des 50 dernières années, dont 17 millions il y a cinq ans pour la ligne aseptisée - l’unique du groupe - afin de produire des limonades et eaux aromatisées à base d’ingrédients 100 % naturels, permettant de se prémunir des contacts avec l’extérieur ; il y a trois ans, on a ajouté une septième ligne de production ; toute la logistique est gérée par des clarcks électriques automatisés, sans conducteur donc, et non polluants, capables de transporter des palettes de 1 m³, autrement dit de plus de 300 kilos ; etc.
3. En matière d’énergie et d’emballage également ?
Le développement durable est un des axes importants de Spa Monopole, et de Spadel en général. Concrétisé, ici, par la pose de 8 260 panneaux solaires, l’installation de cogénération, la réduction de notre empreinte carbone… L’usine a été le premier site minéralier d’Europe et le deuxième au monde à recevoir le certificat Platinum pour la gestion durable des nappes aquifères (AWS). Elle vise désormais d’autres labels en matière de biodiversité, d’emballages, d’impact positif…