Ces leçons à tirer à la sortie de l'édition 2022 du Mapic
Enseignes, propriétaires et consultants se sont retrouvés à Cannes après plusieurs mois de grande turbulence. Le bilan est positif, à défaut d’être véritablement optimiste.
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- Publié le 08-12-2022 à 08h10
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C’est une habitude, quasiment une déformation pour tout professionnel qui participe à un salon de l’envergure du marché international de l’implantation commerciale et de la distribution (Cannes, du 29 novembre au 1er décembre 2022) de demander à chacun de ses différents interlocuteurs s’il réalise “un bon Mapic”. Une question d’autant plus souvent répétée cette année que ledit Mapic, comme l’ensemble des événements du secteur des foires et congrès, sort d’une longue période très chahutée. Et que l’édition 2022 est à voir comme la première édition post-Covid, quand bien même y en a-t-il eu une en 2021, plus intime et davantage franco-française.
Moins de monde mais plus qualitatif
Et globalement, cette année, la réponse est unanime : “Moins de monde qu’en 2019, mais de qualité, dira l’un. Le Mapic a toujours sa place et j’espère que l’an prochain on sera plus nombreux.”
“Moins de monde, mais les contacts sont plus efficaces car les décideurs sont présents”, renchérira l’autre.
“Moins de monde, moins de stands, moins d’investissements, moins d’événements, car tous les acteurs sont attentifs aux coûts et aux dépenses, mais pour du concret”, résumera pour sa part Jean Baheux, International partner et Head of retail agency chez Cushman&Wakefield, qui impute une partie de la responsabilité de cette retenue au Siec, le salon français du retail et principal concurrent du Mapic dans l’Hexagone. ”Les rendez-vous se suivent, on prend le temps d’avancer dans les affaires”, n’en continue-t-il pas moins.
“Mais aussi de discuter, de se reconnecter, d’assister aux conférences”, sourit Chris Igwe, consultant actif en Grande-Bretagne, qui accompagne les enseignes dans leur stratégie de développement et de repositionnement, par ailleurs modérateur et maître de cérémonie de plusieurs conférences.
”Beaucoup d’enseignes nouvelles, voire inconnues ont fait le déplacement, ajoute-t-il. Dans tous les domaines : F&B (Food&Beverage) et loisirs, bien sûr (qui représentaient à elles seules deux sous-sections du Mapic, sous les labels The Happetite et LeisurUp, NdlR), mais aussi cosmétique et parfums, vêtements, déco, sports… Au total, la part des représentants d’enseignes au Mapic était impressionnante : quelque 1 500 sur 5 000 participants.”
Le marché s’est rouvert…
Mais un bon Mapic ne signifie pas que le marché qu’il couvre est dans de mêmes dispositions. “Le marché du retail en Europe reste prudent, poursuit Jean Baheux. Il y a plus d’enseignes et plus d’acteurs sur le marché. Les performances des locataires sont excellentes. La prise en occupation aussi. Tous nos bureaux d’Europe cartonnent ou rebondissent. Mais la prudence est toujours de mise.” Tout comme les efforts à produire continuellement pour séduire les consommateurs.
“Les enseignes cherchent à en offrir davantage, ajoute Chris Igwe. Dans le domaine du F&B, par exemple, elles ne se contentent pas d’ouvrir un restaurant, mais elles créent de l’expérience pour les clients. Ou alors se lancent dans des partenariats : avec des fermes bio ou avec des acteurs du coworking. Elles vont bien au-delà des Starbucks, quand bien même des consommateurs y télétravaillent matin, midi ou après quatre heures.”
”Les bailleurs, certains du moins, l’ont bien compris, qui ne se contentent pas d’accueillir de nouveaux concepts, mais qui les accompagnent”, précise le consultant.
… sans être dans l’euphorie
”Les retailers sont de nouveau là, confirme Peter Wilhelm, président de l’European council of shopping places (ECSP). Et des baux se signent. C’est une bonne nouvelle après une période très difficile ces trois dernières années qui a vu les enseignes ne plus pouvoir payer leur bailleur et les propriétaires leur banquier.” Si le marché s’est rouvert, cela ne signifie pas que tout fonctionne comme avant.
Du côté des bons points, Peter Wilhelm note le fait que l’e-commerce, “qui était il y a encore quelques années la hantise des propriétaires et de certaines enseignes, est devenu un non-sujet. On n’en parle quasiment plus, à l’inverse des contraintes liées aux permis en matière de réglementations et de performances énergétiques des bâtiments”.
”Assurément, le numérique et le physique ne sont plus dans une relation conflictuelle.” Et pour cause, ajoute le président de l’ECSP, “l’e-commerce semble avoir atteint un sommet au niveau mondial, à tout le moins un palier. La courbe est montée très haut mais s’est aplatie. On n’est plus dans la croissance, essentiellement du fait de la très difficile gestion des retours qui tue le business model.”
“Magasins et e-shops doivent travailler ensemble, pas l’un à côté de l’autre”, insiste Chris Igwe, qui rappelle que 70 à 80 % des ventes se font toujours dans des magasins physiques.
Autre bon point relevé par les experts : les gros investissements réalisés par les propriétaires de centres commerciaux et de retail park pour en faire des lieux de vie. Peut-être parce qu’ils n’osent pas… se lancer dans d’autres investissements.
Les perdants et les gagnants
”C’est sans doute le gros point noir, convient Peter Wilhelm. Le marché des grands pôles commerciaux et des actifs de qualité est bloqué. Hormis quelques transactions opportunistes sur des actifs de moindre taille dans des villes secondaires, les fonds d’investissement et les foncières ne sont pas à l’achat.” Au point, selon lui, de commencer à poser des problèmes aux évaluateurs qui n’ont plus de points de comparaison. “Et cela vaut pour toutes les régions du monde.”
Dans le segment des retail parks, par contre, il y a des mouvements. “C’est de loin le secteur le plus performant de l’industrie du commerce, détaille Peter Wilhelm. Parce qu’il est rentable pour tout le monde – développeurs, investisseurs, enseignes – et parce que depuis le Covid il correspond davantage encore à une nouvelle demande des consommateurs.”
Pronostics pour 2023
Au sortir de ce Mapic 2022, les pronostics pour 2023 sont mitigés : attentisme des enseignes et des banquiers, insécurité, voire tsunami économique, nouvelle correction des loyers…
”Ces dernières années, on s’est laissé aller sur des sujets qui plombent notre motivation, nos plaisirs, nos expériences, aime à dire Chris Igwe, dont l’optimisme est apprécié dans le milieu. Oui, les enseignes et les propriétaires vont recommencer à se friter, sur l’inflation, sur la hausse des coûts de l’énergie…, mais cela signifie qu’ils seront ensemble autour de la table. Et ce sont ces discussions qui sont importantes.”
”Je suis très positif sur l’évolution. Et ce ne sont pas que des paroles. L’optimisme est d’ailleurs plus général qu’on le croit. Même si les différents intervenants ne voient pas le même avenir, ils voient tous un avenir.”
3 questions à Jean Baheux, International Partner et Head of Retail Agency Cushman&Wakefield
Quel est l’état de santé des shoppings belges ?
La plupart ont retrouvé leur footfall (flux piéton) pré-covid ou presque. On est peut-être, en moyenne, 5 % en deçà du meilleur niveau. Les retailers le ressentent : il y a moins de flâneries et le taux de conversion consommateur/dépenses est meilleur. Les bailleurs n’en doivent pas moins continuer à se montrer souples en matière de loyers. Les intermédiaires le ressentent aussi : on a fait une très bonne année, avec un bon take up (prise en occupation) et de belles commissions de courtage.
Même s’il n’y a pas eu de ventes de shopping ?
Aujourd’hui, n’importe quel shopping est difficilement vendable parce qu’il n’y a pas de recul par rapport à la crise sanitaire. Il faut au minimum un an pour confirmer le retour à la normale des performances. Le produit “shopping” reste dans le collimateur, mais le marché attend de voir. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas de projets neufs. On est en manque de neuf. Les propriétaires pensent plutôt rénovation, rafraîchissement. Le relookage est important pour maintenir du trafic et rester attractif. Mais il leur faut surtout penser à la création d’espaces pour de nouvelles activités (loisirs, “Food&Beverage”).
Ce retour à la normale va-t-il amener de nouvelles enseignes ?
Globalement, la Belgique a ce qu’il faut. Pour maintenir le dynamisme du marché, il faut continuellement du sang neuf. Il y en a, mais… il coule moins vite. Les décisions se prennent plus lentement. Tout doit être mieux cadenassé et plus huilé qu’avant. Plutôt que d’ouvrir dix magasins par an, elles n’en ouvrent que quatre ou cinq. De manière plus raisonnée et mature. En d’autres termes, les enseignes sont plus relax, moins excitées qu’avant.