"Nous battre pour notre survie face à ce génocide culturel": le cri d'alarme des Mongols
Comme au Xinjiang et au Tibet, le parti communiste accélère sa politique de sinisation en Mongolie intérieure.
Publié le 04-09-2020 à 13h45 - Mis à jour le 04-09-2020 à 13h46
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Un cri d’alarme. "Nous, Mongols, nous efforçons de défendre notre culture mongole !" disent les écoliers en uniforme postés devant des établissements de Mongolie intérieure. Ces protestations émanant de la région autonome depuis le début de la semaine ont été relayées par des vidéos sur les réseaux sociaux chinois. Avant de disparaître sous le joug de la censure.
Des milliers de collégiens et de lycéens entendent défendre leur identité contre la nouvelle politique qui fait la part belle au mandarin dans l’enseignement. Depuis mardi, la littérature est désormais enseignée en chinois dès le plus jeune âge au détriment du mongol dans les écoles bilingues, devenues minoritaires au profit d’établissements à l’enseignement en mandarin uniquement.
Cette directive était dans les tuyaux depuis plusieurs semaines, mais n’a été officialisée qu’une semaine avant la rentrée scolaire. L’utilisation du mandarin devra s’étendre l’an prochain aux cours d’éducation politique et morale et, en 2022, à l’histoire en s’appuyant sur des manuels en mandarin approuvés par le pouvoir central.
"Dernier bastion de notre identité"
Outre les étudiants en première ligne, des parents se sont joints aux rangs des manifestations et ont refusé d’envoyer leurs enfants dans les salles de cours malgré les intimidations des autorités. Dans le même temps, des pétitions circulaient en ligne montrant des signatures en mongol aux côtés d’empreintes digitales rouges, comme il est de coutume en Chine. Les mêmes slogans défendant la langue et l’identité mongoles lancés par les élèves ont été repris et imprimés sur les scooters de certains coursiers dans les villes de la région.
Ces manifestations traduisent le mécontentement grandissant en Mongolie intérieure - qui ne recense plus que 16 % d’habitants mongols - contre les autorités centrales, accusées d’effacer cette culture. "Notre mode de vie traditionnel est perpétuellement altéré, notre environnement naturel détruit. La langue mongole est le dernier bastion de notre identité nationale. Si nous perdons notre langue, nous cesserons d’exister en tant que peuple. Il ne reste plus beaucoup d’options pour les Mongols à part celle de se battre pour notre survie face à ce génocide culturel", affirme Enghebatu Togochog depuis New York où il préside le Centre d’information sur les droits humains de Mongolie du Sud - le nom utilisé pour désigner la Mongolie intérieure par les groupes ethniques et indépendantistes.
Même son de cloche chez Bo, Chinois d’origine mongole installé à Pékin. "Comme la majorité des Mongols, je pense que l’on doit apprendre le mandarin, mais nous ne voulons pas sacrifier notre langue maternelle. Il faut au contraire la préserver alors qu’étudier le mandarin ne demande pas tant d’effort, il est déjà partout", explique ce trentenaire qui a suivi des cours dans une école de la région autonome où seul le chinois était enseigné.
"Risques de marginalisation"
Pour la linguiste Gegentuul Baioud, le "statut de la langue mongole est déjà fragile et en danger". La chercheuse, installée en Australie, souligne dans une note qu’aujourd’hui, "moins de 40 % des parents mongols choisissent des écoles bilingues pour leurs enfants ; les autres inscrivent leurs enfants dans des établissements chinois ordinaires. Dans de telles circonstances, cette réforme pousse plus loin la langue et la culture mongoles vers l’abîme de l’extinction à l’intérieur des frontières chinoises".
Elle craint que les étudiants de Mongolie intérieure ne puissent plus passer le gaokao (le diplôme de sortie de secondaire, NdlR) déterminant dans la scolarité d’un élève, dans leur langue maternelle, comme c’est encore le cas pour l’instant. "Si cela arrive, ils ne pourront plus se battre à armes égales avec les millions d’élèves chinois pour entrer dans les meilleures facultés, et risquent d’être marginalisés et exclus du marché du travail."
Depuis plusieurs années et l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, Pékin a accentué sa politique de sinisation, notamment au Xinjiang et au Tibet, deux autres régions autonomes où les autorités centrales ont mis en place une répression sans précédent à l’encontre des minorités ethniques. Au Xinjiang, plus d’un million d’Ouïghours - minorité turcophone - sont enfermés dans des camps d’internement. Après avoir longtemps nié leur existence, la propagande chinoise parle désormais de "centres de formation professionnelle" où les détenus récitent en boucle des chants patriotiques chinois et des textes en mandarin.