Traçabilité, exports illégaux, zones grises... Des milliers de véhicules échappent chaque année au système belge
Selon Febelauto, les véhicules hors d’usage en Belgique seraient presque entièrement recyclés. Mais ce chiffre ne tient pas compte du grand nombre de véhicules qui échappent totalement au système.
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Publié le 07-02-2023 à 17h39 - Mis à jour le 08-02-2023 à 08h29
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Trop vieilles, accidentées, ne répondant plus aux normes d’émissions en vigueur… Chaque année, des dizaines de milliers de voitures ou camionnettes belges finissent à la revente ou la casse. Ces véhicules prennent alors la direction du marché de l’occasion ou sont classés comme étant "hors d’usage". En quel cas, ils atterrissent dans l’un des 113 centres agréés par Febelauto, l’organisme belge de recyclage automobile, afin d’y être recyclés.
Selon le dernier rapport annuel de Febelauto, 103 659 véhicules hors d’usage (VHU) auraient ainsi été traités en 2021, pour un taux de recyclage de 97,3 %.
Très bon bilan européen
Febelauto détaille son bilan comme ceci : les pièces pouvant être réutilisées sont récupérées (20,2 %). Une fois la voiture broyée, tous les matériaux sont séparés pour être recyclés (73,3 %) ou valorisés énergétiquement (3,8 %). Le reste (2,7 %) finit à la décharge. “Un grand avantage que nous avons ici en Belgique, c‘est que nous avons beaucoup de technologies post-broyage utilisées pour séparer les matériaux une fois que le véhicule hors d’usage est broyé”, explique Catherine Lenaerts, directrice de Febelauto.
Les résultats communiqués par Febelauto font de la Belgique l’un des meilleurs élèves au sein de l’Union européenne. Depuis 2015, une directive européenne impose un taux de réutilisation et de recyclage des véhicules de 85 % et un taux de valorisation de 95 % du poids d’un VHU. Nous sommes, donc, à 97,3 %.
Le mystère des véhicules disparus
Ces résultats enthousiasmants laissent toutefois une zone d’ombre, mise en évidence par l’évaluation de la directive européenne réalisée en 2021. Selon ce rapport de l’UE, “un grand nombre des objectifs initialement fixés” ont bien été atteints, en matière d’élimination des substances dangereuses des véhicules, de valorisation et de recyclage. Mais un problème majeur a été mis en lumière : un grand nombre de véhicules disparaît purement et simplement des radars. "Le principal problème de mise en œuvre de la directive tient au grand nombre de ‘véhicules disparus’, qui représentent environ 35 % de l’ensemble des véhicules radiés chaque année", peut-on lire dans le rapport d’évaluation.
Au total, cela représenterait annuellement 3,77 millions de voitures à travers les Etats membres. “Ce problème semble être dû, principalement, aux lacunes des systèmes d’immatriculation nationaux, au manque d’interconnexion entre les États membres en ce qui concerne les immatriculations et les radiations de véhicules, ainsi qu’au traitement et à l’exportation illicites de véhicules hors d’usage”, remarquent les auteurs.
Pas de plaque, et le véhicule disparaît des radars
La Belgique est évidemment concernée. "On a toujours estimé qu’il y avait 25 000 à 30 000 véhicules hors d’usage qui nous échappaient", souligne la directrice de Febelauto. "On a essayé de collecter tous les chiffres, mais c’est très difficile car il n’y a pas de traçabilité en Belgique. Une fois que vous renvoyez votre plaque d’immatriculation, la DIV ne sait plus où se trouve votre véhicule", poursuit-elle, en précisant qu’il existe pourtant une loi à la Banque Carrefour des véhicules qui impose une traçabilité. "Mais il manque un arrêté royal pour expliquer ce que cela veut dire dans la pratique", regrette la directrice.
"Une fois que la voiture est désimmatriculée, si elle ne quitte pas le continent, c’est très difficile d’établir une traçabilité", confirme Serge Istas, responsable de la Fédération du secteur de la mobilité (Traxio) pour Bruxelles et la Wallonie. "C’est quelque chose que l’on demande depuis très longtemps", insiste-t-il.
Destination (in)connue
Selon le rapport d’évaluation de l’UE, certains des véhicules échappant au système seraient conservés dans des propriétés privées (collectionneurs, garages) ou traités illégalement, tandis que d’autres seraient vendus comme des véhicules d’occasion dans d’autres États membres ou exportés illégalement hors de l’UE.
Pour Pierre Hajjar, président de la Fédération Belge des Exportateurs de Véhicules Neufs et d’Occasion (FBEV), la plupart de ces véhicules prendraient la direction des pays de l’Est. En effet, les véhicules accidentés considérés comme étant hors d’usage n’intéresseraient pas la clientèle africaine. “D’abord parce que les compagnies maritimes refusent de les transporter. Ensuite parce que s’il a été abîmé de la sorte, cela va requérir des connaissances mécaniques pointues qu’ils n’ont pas”, assure Pierre Hajjar, rappelant l’existence de filières de réparation de carrosserie dans les pays de l’Est.
Le président de la FBEV prend aussi l’exemple des véhicules ne répondant plus aux normes d’émissions actuelles. “En Belgique, il y a tous ces véhicules Euro 4 qui doivent sortir de la circulation, principalement des diesels”, ajoute-t-il. Or, ces véhicules n’intéressaient pas non plus le marché Africain et seraient donc aussi exportés vers les pays de l’Est, membres de l’UE ou non.
Pourtant, plusieurs pays de l’Est auraient mis en place des mesures pour éviter l’importation de véhicules en fin de vie. La Pologne demande par exemple un certificat de conformité européen (COC) garantissant que le véhicule est conforme aux normes européennes en vigueur. "Mais il y a quelquefois des contournements de la législation", note Serge Istas. Il serait par exemple possible de démonter partiellement les roues d’une voiture, ce qui en ferait un lot de pièces. Une façon d’échapper aux législations. "Je sais que ça existe, mais je ne peux pas vous donner plus de détails ou de proportions", conclut-il. "Ce qui part vers les pays de l’Est n’est pas palpable."
Une définition floue
Outre le manque de traçabilité, ces exportations seraient favorisées par la définition actuelle du terme “véhicule hors d’usage” (VHU). Selon l’UE, un VHU est un véhicule dont le détenteur se débarrasse, ou à l’intention ou l’obligation de se débarrasser. “Dans la pratique, il est parfois difficile de faire la distinction entre un véhicule d’occasion et un VHU”, note cependant un rapport de l’Oeko-Institut e.V. réalisé pour l’UE.
Les auteurs précisent qu’il existe bien des critères de différenciation entre les véhicules d’occasion et les VHU, détaillés dans le “guide des correspondants n°9”. Mais le document n’est pas juridiquement contraignant, “sauf pour l’Autriche qui suit une décision de justice nationale le rendant juridiquement contraignant. Jusqu’à présent, seule la Wallonie a reconnu l’utilisation obligatoire de ces lignes directrices”, précise le rapport.
“Vous savez, la règle européenne c’est une chose, mais après chaque pays définit à sa manière : la notion de véhicule hors d’usage en Belgique n’est pas celle en Pologne ou celle en Roumanie”, a réagi Pierre Hajjar. “Il n’y a pas vraiment d’harmonisation là-dessus.” C’est également ce que confirme Catherine Lenaerts, directrice de Febelauto. “C’est très compliqué. Ça reste une décision du détenteur”, regrette-t-elle.
Du changement en 2023 ?
La Commission doit présenter, courant 2023, une mise à jour du texte de la directive sur les véhicules hors d’usage pour tenter de venir à bout de ces différents problèmes. Le texte devrait devenir une ordonnance, “et donc entrer tout de suite en vigueur”, précise Catherine Lenaerts. "Dans la nouvelle législation européenne, on espère au moins de nouveaux critères pour l’export de véhicules et que ce ne sera possible qu’avec un contrôle technique", poursuit la directrice. "Cela nous semble essentiel pour faire la différence entre un véhicule d’occasion et un VHU."
Le futur texte prévoirait également d’élargir le champ d’application de la réglementation à d’autres véhicules, d’imposer une meilleure traçabilité et d’imposer un taux de matières recyclées pour la construction de véhicules neufs.

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