Les médias sportifs sont-ils machos ?
Tandis que les Diables Rouges sont au centre de l’intérêt général, les Red Flames tentent de se qualifier pour leur Euro 2017, dans l’indifférence. L’équipe nationale de foot féminine et les sportives en général ne feraient ni audience ni recettes. Faute d’être bien mises en valeur? Opinions croisées de Bianca Debaets (Secrétaire d'Etat à l'Egalité des chances en Région bruxelloise) et Michel Lecomte (Directeur des sports à la RTBF)(...)
Publié le 14-06-2016 à 18h29 - Mis à jour le 14-06-2016 à 18h40
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Tandis que les Diables Rouges sont au centre de l’intérêt général, les Red Flames tentent de se qualifier pour leur Euro 2017, dans l’indifférence. L’équipe nationale de foot féminine et les sportives en général ne feraient ni audience ni recettes. Faute d’être bien mises en valeur? Opinions croisées.
OUI
Bianca Debaets
Secrétaire d'Etat à l'Egalité des chances en Région bruxelloise
" Les sports féminins n’occupent que 7 % de la couverture médiatique et à peine 0,4 % de la valeur totale des contrats de sponsors. Il existe tout un tas de prétextes à ce sujet. L’un d’entre eux est la qualité. Ou alors le désintérêt du public. Mais lorsque les médias ne vous soutiennent pas, il est extrêmement difficile de se trouver une audience. Ce qui ne pardonne pas à l’ère du Roi Audimat ! ."
Vous nous avez contactés pour nous faire part de ce que vous considérez comme un déséquilibre injuste entre les femmes et les hommes sportifs. Pourquoi maintenant?
Nous sommes au début du Championnat d’Europe de football en France. Des milliers d’articles de journaux ont déjà été écrits sur le sujet, les programmes des chaînes de télévision ont été modifiés. Toutefois, à côté de nos Diables, nos dames, les Red Flames, jouent, elles aussi, pour tenter de se qualifier pour leur Euro en 2017. Et je me demande si l’on aura une quelconque attention médiatique pour leur sort.
Globalement, quel est le constat ?
Les statistiques internationales sont claires : les sports féminins n’occupent que 7 % du temps de diffusion et de la couverture médiatique et à peine 0,4 % de la valeur totale des contrats de sponsors. C’est la raison pour laquelle de nombreuses sportives de haut niveau doivent souvent exercer une seconde profession sur le côté (ou devrais-je parler d’une première ?), à l’instar d’un certain nombre de nos Red Flames. Tout cela a bien évidemment un effet sur leurs possibilités en termes d’entraînement.
Pourquoi cette attention reste-t-elle si limitée ?
Il existe tout un tas de prétextes à ce sujet. L’un d’entre eux est la qualité. On entend dire que les femmes joueraient tout simplement moins bien au football/volley-ball/tennis que les hommes : pas étonnant, donc, que personne ne souhaite suivre leurs compétitions. Que Tessa Wullaert (une des Red Flames, qui est tout de même une attaquante de haut niveau à Wolfsburg) ne pourrait de toute façon jamais effectuer d’aussi belles reprises de volée que Kevin De Bruyne. Et que Justine Odeurs (la gardienne des Red Flames) ne pourrait jamais égaler Thibaut Courtois.
Dans la réalité, les performances féminines sont-elles moindres ?
Le revers de Justine Henin (le meilleur revers du monde, d’après John McEnroe et je vous mets au défi de le contredire) était-il moins bon que celui de Pete Sampras ou de Novak Djokovic ? Un certain nombre de journalistes sportifs connaissent bien les sports féminins et sont conscients du niveau élevé de jeu. Mais j’imagine qu’ils se heurtent à un autre argument destructeur qui règne dans les couloirs des médias : les taux d’audience.
N’est-il pas logique que les médias suivent l’intérêt du public ?
Il faut voir les choses dans l’autre sens. Lorsque les médias ne vous soutiennent pas, il est extrêmement difficile de se trouver un public. Le tennis féminin en est le meilleur exemple. Depuis que Billie Jean King a créé la WTA et que les grands chelems ont été systématiquement diffusés à la télévision, le tennis féminin s’est développé de façon spectaculaire. A tel point qu’en 2013 et 2014, la finale des dames de l’US Open a attiré plus de spectateurs que la finale des hommes. A Wimbledon, la finale dames de 2005 a attiré un million de spectateurs de plus que la finale hommes. La question est de savoir ce qui vient en premier : l’œuf ou la poule, l’offre ou la demande ? Lorsqu’aucun média ne diffuse un match en direct, celui-ci ne sera bien entendu pas regardé ou ne suscitera que peu d’intérêt.
Quelle serait, selon vous, la solution ?
Je lance un appel tant au service public audiovisuel ainsi qu’aux chaînes commerciales afin qu’ils dégagent un peu d’espace dans la mesure du possible pour la branche passionnante et en plein essor qu’est le football féminin. Ici à Bruxelles, le FC Molenbeek Girls a vu son nombre d’équipes passer d’une à quatorze en trois ans de temps (!). Je sais que les budgets sont différents, mais en Grande-Bretagne, la BBC émet un millier d’heures par an de sport féminin (40 disciplines différentes). Je comprends que certains y verront sans doute un trop grand pas en avant. C’est la raison pour laquelle je formule directement une suggestion concrète : pourquoi ne pas organiser un match de gala en septembre avec deux équipes nationales mixtes, par exemple Belgique-Angleterre ? Kompany et Wullaert sous le même maillot ? Parions qu’un grand nombre de spectateurs souhaiteront assister à cette rencontre et seront curieux de découvrir à quel point Tessa Wullaert et cie jouent bien.
NON
Michel Lecomte
Directeur des sports à la RTBF
" Ce sont des médias avant tout. C’est la performance et la lisibilité du sport en télévision qui conditionnent le suivi médiatique. A l’époque de Justine Henin, la RTBF diffusait plus le tennis féminin que le tennis masculin. Les prouesses de l’équipe féminine de hockey ont bénéficié d’une belle couverture. Mais à côté de l’ouverture et de sensibilité réelles, la réalité des chiffres d’audience s’impose. "
Pourquoi la présence des sports féminins est-elle si rare à la TV ?
Il faut relativiser. C’est d’abord la performance qui conditionne ce suivi. A l’époque des exploits de Justine Henin, la RTBF diffusait nettement plus le tennis féminin que le tennis masculin. De même avec le hockey féminin. La couverture ne s’est pas arrêtée aux Jeux olympiques et a continué pour d’autres grandes compétitions. Les performances de l’équipe féminine ont été suivies au même titre et avec le même rythme que l’équipe masculine. Il est vrai que pour le moment, elles sont un peu en retrait. C’est ensuite la lisibilité du sport en télévision qu’il faut prendre en compte. Le tennis sera amplement suivi d’un tournoi à l’autre. Ce sera plus compliqué avec une championne en taekwondo. Par rapport à une couverture médiatique idéale, les sports féminins subissent il est vrai un certain déficit mais les Jeux olympiques seront là pour le combler. Nous y suivrons pareillement en judo une Charline Van Snick ou un Joachim Bottieau.
Et le football féminin ?
Contrairement au tennis féminin, il apparaît moins spectaculaire en soi. En terme footballistique, on est à un autre niveau. Comme les autres médias, nous ne suivons donc pas le foot féminin de la même manière que le foot masculin. Il n’est pas absent pour autant. Lors de la dernière Coupe du monde féminine de football 2015 au Canada, nous avons retransmis six matches en direct. C’était sans doute à des horaires difficiles mais la RTBF était au rendez-vous et a joué son rôle. Quand les opportunités sont là, on les saisit; quand les performances sont là, on les suit.
Les sponsors tiennent compte notamment de la visibilité dans les médias. Seulement 0,4 % de la manne financière des sponsors serait affectée aux sports féminins. Pourquoi selon vous ?
C’est un constat malheureux. Au-delà du soutien de la fédération de judo, Charline Van Snick a lancé un appel de fonds par crowdfunding pour pouvoir s’entraîner dans de bonnes conditions. On nous reproche de ne pas être dans le cercle. Entre l’offre et la demande, c’est un peu la poule et l’œuf : qu’est-ce qui vient en premier ? Justine Henin et Kim Clijsters, performances à la clé, jouaient les premiers rôles. On n’arrêtait pas de le montrer. Et les sponsors étaient là. Leur tennis était de qualité. Des machos et des scrogneugneux diront que le sport féminin est moins abouti. A tort. La finesse et l’élégance d’une Justine assuraient le spectacle.
Les médias télévisuels sportifs sont-ils machos ?
Non, ils sont médias avant tout. A côté de notre ouverture et sensibilité réelles, la réalité des chiffres d’audience s’impose. Quand France Télévision retransmet la finale de la Ligue des champions féminine de l’UEFA, ce n’est pas sur France 2 ou France 3 mais sur France 4. En définitive, c’est le téléspectateur qui choisit. De notre côté, hormis le foot, nos portraits et reportages magazine du Week-End sportif consacrent indifféremment des femmes et des hommes.
L’univers du football est-il trop masculin avec ses valeurs guerrières, sa testostérone et ses hooligans ?
Le foot devient de plus en plus pluriel. Aux Etats-Unis et dans les pays scandinaves, le foot féminin est aussi répandu que le foot masculin. La Fifa et l’UEFA investissent beaucoup dans le foot féminin pour former des entraîneurs, pour favoriser l’émergence de talents, pour l’organisation de compétitions et dans les moyens de production pour retransmettre au mieux les matches des grandes compétitions et des Coupes du monde. Maintenant, en tant que chaîne généraliste, nous n’avons pas 150 opportunités de diffusion. Il faut plutôt interroger des chaînes comme Eurosport. De notre côté, nous planchons sur un magazine qui mettrait en avant, au-delà du foot, le sport féminin. Il n’y a pas que le direct en télévision.