"Les derniers sondages font peur aux marchés internationaux. Cette élection n’est pas jouée"
Christophe Barraud, chef économiste et stratégiste chez Market Securities, fait le point sur la présidence de Macron.
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Publié le 08-04-2022 à 14h25 - Mis à jour le 09-04-2022 à 10h19
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Christophe Barraud est chef économiste et stratégiste chez Market Securities. Il est connu pour avoir été classé par Bloomberg LP comme meilleur prévisionniste au monde sur les statistiques américaines, chinoises et de la zone Euro durant les années 2010.
Quel bilan tirez-vous de la présidence Macron ? L’économie française se porte-t-elle mieux qu’il y a cinq ans ?
C’est très complexe de faire un bilan vu les différents chocs mondiaux récents. La dynamique d’avant-Covid était plutôt pas mal. La politique économique commençait à porter ses fruits, notamment au niveau de l’industrie, où après des années de recul de postes, on commençait à créer des emplois dans certains secteurs. L’élan était donc positif avec un taux de chômage à la baisse. La France était redevenue une grosse zone d’attractivité avec beaucoup d’investissements directs de l’étranger. Avoir misé sur l’énergie nucléaire était aussi plutôt un bon choix. Avec la guerre en Ukraine, on voit les limites du modèle basé sur de l’énergie pas chère importée de l’extérieur. Il faut retrouver son indépendance en matière énergétique.
Et puis, il y a eu le Covid-19. Comment jugez-vous l’action du gouvernement français durant cette pandémie ?
La pandémie a perturbé ce cycle positif, surtout sur la trajectoire des finances publiques. La France est le pays qui a mis la stratégie du "Quoi qu’il en coûte" en place et qui a été suivi par l’Allemagne et par les autres. Sur ces derniers mois, on constatait que la France avait une meilleure résilience que les autres pays européens, sans doute car nous avons mieux maîtrisé la dernière vague du Covid. On a eu un gros rebond sur les secteurs du tourisme, de la restauration et de l’hôtellerie.
La guerre en Ukraine a-t-elle remis en cause cette embellie économique ?
Oui car il y a de nouveaux gros défis qui arrivent. En France, on part avec une situation sociale qui est déjà plus difficile que dans beaucoup d’autres pays européens. Or, un peu comme dans tous les pays de la zone Euro, la flambée des prix alimentaires et énergétiques, potentiellement des prix des loyers dans certaines zones, va toucher les ménages les plus faibles et cela peut créer des tensions sociales. Cela renvoie à un épisode plus compliqué de notre Président actuel qui est celui des Gilets jaunes. C’est assurément le point noir de la présidence Macron.
Vous pointez un autre défi : celui des finances publiques.
Oui c’est l’autre gros enjeu du futur quinquennat. La France s’en sort relativement bien par rapport à ses voisins parce qu’elle a mis en place des mesures telles que le chèque inflation ou une réduction du prix de l’essence. Ces mesures fonctionnent, mais elles coûtent de l’argent. On est sur des déficits qui sont largement au-delà du seuil des 3 % de référence. On sera sans doute encore cette année au-dessus des 5 %. Il y a donc un réel défi d’assainir les finances publiques. Il faudra mettre en place des mesures qui sont compliquées comme la réforme des retraites. C’est un véritable enjeu dans un contexte social difficile.
Quel est le risque que court la France si elle n’assainit pas ses finances publiques ?
La France n’est pas le premier pays pour lequel il faut s’inquiéter au niveau de l’exposition au risque d’endettement. Il y a d’autres pays plus à risques comme la Grèce, l’Italie ou l’Espagne. Il ne faut pas assainir non plus tout de suite les finances publiques car nous sommes dans une situation extraordinaire avec le conflit en Ukraine. Mais il faudra s’y attaquer durant le prochain quinquennat, retrouver une certaine rigueur à ce niveau. La crise du Covid laisse une charge de dettes plus élevée. La réforme des retraites, vu le décalage que la France a sur ce sujet en Europe, semble le sujet le plus évident. Il faudra s’y attaquer pour 2023. Mieux vaut faire ce genre de réformes tant que les taux sont bas et les conditions bonnes. Et… avant le prochain choc car l’histoire récente nous a démontré qu’on n’était vraiment pas à l’abri. Le Covid n’a pas disparu et une nouvelle vague peut arriver.
Cette rigueur des finances publiques ne risque-t-elle pas d’amener de nouvelles tensions sociales ?
L’environnement est très complexe à court terme. Je ne pense pas qu’on doive parler spécifiquement de rigueur - qui signifierait tout couper d’un seul coup - mais il est important de normaliser les finances publiques et revenir vers les 3 % de déficit. Il faudra le faire assez rapidement, dès que les incertitudes liées à l’Ukraine sont derrière nous. L’idée est d’avoir une stabilité à long terme. Évidemment, certains programmes de candidats sont plus crédibles que d’autres sur ce sujet.
Certains candidats font peur aux marchés, aux acteurs économiques internationaux ?
C’est sûr que les derniers sondages font peur aux marchés internationaux. Les écarts se resserrent et on voit que cette élection n’est pas jouée. Peu importe le vainqueur, s’il est nouveau, cela créera des incertitudes. S’il est extrême, cela créera une incertitude encore plus grande non seulement en France, mais aussi en Europe car plusieurs candidats remettent en cause le modèle européen actuel. Sur beaucoup d’indices, la France est d’ailleurs en repli à cause de cette incertitude. Vu les décisions importantes qu’il faut prendre actuellement au niveau européen pour faire face à la guerre en Ukraine, cela rend ces élections capitales, non seulement pour la France mais aussi pour l’Europe. Mais dans les faits, un candidat, c’est une chose, sa majorité en est une autre. Vous pouvez élire n’importe qui, s’il n’a pas le parlement derrière lui, il ne pourra pas appliquer 5 % de son programme.
En tant que prévisionniste, comment voyez-vous l’état de la France dans cinq ans ?
(Rires) En ce moment c’est compliqué de faire une prévision à six mois. Il faut donc être très humble dans les prévisions, mais je vais essayer. Je pense que sur les 18 derniers mois, la France a été très résiliente. Les cycles de croissance étaient même bien au-delà des attentes. La France a aussi eu cette capacité de profiter du Brexit. Elle a surpris positivement. Si on a une stabilité politique, il n’y a pas de raison qu’économiquement cela aille mal. Le risque, il est davantage social. Ce n’est pas la richesse agrégée globale qui sera un problème mais la distribution de cette richesse. les ménages les plus faibles vont être en difficulté et on va avoir un maintien des tensions sociales. C’est cela qui sera le plus difficile à gérer pour le ou la futur(e) Président(e). Les écarts de revenus se sont creusés durant cette période de Covid. Certains ménages déjà riches ont accumulé beaucoup d’épargne et les autres ont dû tout dépenser. Avec ce choc d’inflation actuel, le déséquilibre est encore plus grand. Le monde a beaucoup changé depuis la crise du Covid et encore plus avec l’invasion de l’Ukraine. L’incertitude globale est nettement plus élevée que dans les années 2010.