Puis-je forcer mes créanciers à m’accorder un plan d’apurement ?
Les indépendants et les entreprises en difficulté disposent d’un arsenal de mécanismes juridiques, trop souvent méconnus, pour les aider à traverser des périodes compliquées. Une chronique de Guillaume Stoop, avocat au barreau de Bruxelles, du cabinet moov.law.
Publié le 30-01-2023 à 12h44 - Mis à jour le 31-01-2023 à 14h04
:focal(2995x2005:3005x1995)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/NLXOVF63D5AAZINO4IX4FN4MCM.jpg)
Marie exploite un magasin de produits biologiques dans le centre de Bruxelles, depuis une dizaine d’années. Les produits locaux et sains n’ont plus de secret pour elle. Elle conseille régulièrement ses clients sur les produits frais à consommer, au fil des saisons.
L’intérêt des consommateurs pour ce type de produits n’a cessé de grandir et le chiffre d’affaires du magasin est en constante augmentation. Les résultats ont même été stimulés pendant les confinements successifs. En 10 ans, Marie a triplé le volume de ventes de son magasin. Les produits "bio", considérés traditionnellement comme des produits "de luxe", connaissent un véritable engouement et certains prédisent même un changement durable des choix du consommateur lambda, en raison de l’effet "durable" qu’aura la crise sanitaire sur les mentalités.
Néanmoins, en pratique, la situation géopolitique et l’inflation vont rapidement avoir un impact négatif sur les chiffres de son magasin. Ses frais augmentent drastiquement et elle n’a d’autre choix que de répercuter au moins une partie de ceux-ci sur le consommateur, lequel voit déjà son pouvoir d’achat largement réduit.
"Je savais que si je ne faisais rien, j’allais avoir des problèmes de liquidités"
En raison de la crise économique, les consommateurs se détournent de plus en plus de l’alimentation bio et les ventes de Marie dégringolent de près de 10 %. Elle se rend rapidement compte qu’il va être compliqué de payer tous ses créanciers et ce, d’autant plus qu’un straight loan qu’elle a contracté avec sa banque arrive prochainement à échéance, ce qui va restreindre ses liquidités. Sans attendre, elle effectue une recherche sur les aides aux entreprises en difficulté, proposées par la Région bruxelloise.
Marie décide de solliciter la désignation d’un médiateur d’entreprise à qui le Tribunal confiera une mission assez large : négocier avec les créanciers, faire rapport sur la rentabilité de l’entreprise et formuler tout piste utile concernant la réorganisation de l’entreprise.
"La banque a refusé de m’octroyer un délai de paiement"
Le médiateur d’entreprise est désigné deux jours plus tard, en toute confidentialité. Ce dernier, après avoir fait le point avec Marie, prendra immédiatement contact avec les créanciers les plus intransigeants, et notamment la banque, afin de négocier et d’obtenir des délais de paiements. Certains se montrent conciliants mais ce n’est pas le cas de la banque qui détient pourtant la créance la plus importante.
Face au refus de la banque, le médiateur d’entreprise n’a d’autre choix que d’explorer d’autres pistes concernant la réorganisation du magasin en proposant des coupes budgétaires pour améliorer la rentabilité d’une part, et en lui suggérant de recourir à une procédure de réorganisation judiciaire ("PRJ") par accord collectif, d’autre part.
"Grâce à la PRJ par accord collectif, j’ai pu forcer un plan de paiement qui s’applique à tous mes créanciers"
Le médiateur d’entreprise explique à Marie que la PRJ par accord collectif, c’est une sorte de grand plan d’apurement négocié avec tous les créanciers, étant entendu que si ce plan récolte une double majorité (majorité du nombre de créanciers et majorité en termes de montants) de votes favorables, il pourra être homologué par un Tribunal et sera applicable à tous les créanciers et donc, même à l’égard de ceux qui avaient voté à l’encontre dudit plan. En plus, l’ouverture d’une PRJ lui permettra de bénéficier d’un sursis, afin de disposer du temps nécessaire pour négocier sereinement avec ses créanciers et préparer un plan de réorganisation judiciaire.
Finalement, convaincue qu’il s'agit d’une bonne solution pour préserver et relancer son activité, Marie mandate un avocat qui se chargera d’introduire la PRJ. Durant le délai de sursis de quatre mois qui lui sera accordé par le Tribunal, le plan préparé par Marie sera voté devant le Tribunal. L’entreprise de Marie obtiendra une courte – double – majorité.
Le plan sera ensuite homologué par le Tribunal, ce qui le rendra contraignant pour tous les créanciers, en ce compris la banque. Marie peut enfin souffler et se concentrer sur la relance de son activité.
Le cas qui précède est fictif, mais réaliste. Il a pour objectif de mettre en avant les mécanismes juridiques mis à disposition des entreprises pour les aider à surmonter les périodes difficiles qu’elles peuvent traverser. Dans notre cas, le médiateur d’entreprise n’a pas pu convaincre tous les créanciers de se montrer conciliants. Il a néanmoins conservé un rôle très utile en mettant l’entreprise sur la voie de la PRJ qui permettra finalement à celle-ci, d’imposer un plan de paiement à tous ses créanciers.
Il est utile de rappeler que la Région de Bruxelles-Capitale aide, de manière substantielle, les entreprises à financer ces procédures (médiation d’entreprise et PRJ).