Rentes alimentaires, pensions, patrimoine... voici les mesures de la réforme fiscale qui vont aboutir prochainement
Guide fiscal 2023 | Alors que l’un des objectifs de la grande réforme fiscale était de simplifier notre système fiscal, les résultats des travaux jusqu’ici semblent bien aléatoires. Et cacophoniques.
François Mathieu- Publié le 28-05-2023 à 10h01
- Mis à jour le 28-05-2023 à 10h02
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Après des travaux de longue haleine, et colossaux, du Conseil supérieur des finances (CSF), qui ont préparé le terrain à la réforme fiscale, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem a présenté en mars la troisième épure de ladite réforme. Une version plus que light de ce qui était sur la table il y a deux ans mais qui a subi les critiques des différents partis de la majorité. Aujourd’hui, la Vivaldi négocie la première phase de cette réforme fiscale dont on rappellera que l’accord gouvernemental prévoit juste sa préparation sous cette législature et sa mise en œuvre après 2024. Tout reste à négocier, nous dit-on de tous les côtés, sur les mesures compensatoires qui vont “payer” la baisse des charges sur le travail et sur l’ampleur à donner à cette baisse de la fiscalité sur le travail qui est au cœur de l’accord gouvernemental.
Rien n’est fait, donc, sauf que certaines mesures ont été prises (sur les droits d’auteur) ou vont aboutir prochainement (réforme de la TVA, plans d’options sur actions, pensions complémentaires, rentes alimentaires, etc.). Alors que l’un des objectifs de la grande réforme fiscale était de simplifier notre système fiscal, les résultats des travaux jusqu’ici semblent bien aléatoires. Et cacophoniques.
Fiscalité familiale : les rentes alimentaires ne seront-elles bientôt plus déductibles ?
Le principe actuel : les pensions ou contributions alimentaires payées régulièrement sont déductibles à concurrence de 80 % lorsqu’elles sont versées à une personne qui ne fait pas partie du ménage du débirentier et qu’elles sont dues en vertu d’une obligation légale (obligation générale d’entretien des enfants mineurs, état de besoin d’un parent, conventions de divorce, etc.).
Si le contribuable dispose des éléments probants nécessaires, 80 % des montants versés vont pouvoir être déduits de sa base imposable. Il réalisera donc une économie d’impôt qui peut aller jusqu’à 50 % (taux marginal) du total déductible. Le bénéficiaire de la rente sera, quant à lui, imposé sur les sommes reçues à due concurrence ; soit 80 %. Les rentes sont considérées comme des revenus divers taxables aux taux progressifs par tranches. La symétrie n’est toutefois qu’apparente : en effet, lorsque le bénéficiaire de la rente (comme un enfant, par exemple) ne perçoit pas d’autres revenus, si la contribution alimentaire taxable ne dépasse pas la quotité exemptée d’impôt, aucun impôt ne sera effectivement payé alors que le créditrentier aura, lui, pu déduire les montants versés. Pour l’exercice d’imposition 2023, la quotité exemptée s’élève à 9 270 euros. Une personne qui percevrait une rente de 11 587,50 euros (100/80es de 9 270), soit 965 euros/mois, ne serait de facto pas imposée (si elle ne perçoit pas d’autres revenus).
Dans le cadre du projet du ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), vu cette asymétrie, il a été décidé de prévoir la fin tant de la taxation que de la déduction des rentes (i), soit, dès 2024, si aucun paiement n’est intervenu pour la première fois avant le 31 décembre 2023 ; (ii) soit, de manière transitoire pour les paiements déjà en cours (une déduction plafonnée dès l’exercice d’imposition 2025 et amputée d’1/20echaque année à partir de l’exercice suivant).
Avant d’adopter pareille mesure, il conviendrait cependant d’en vérifier l’impact sur le paiement effectif des rentes qui avait pourtant été nettement amélioré grâce à la déductibilité.
Deuxième pilier : les pensions complémentaires en ligne de mire
Le principe actuel : lorsqu’une société/employeur cotise dans un plan de pension (second pilier des pensions) pour son travailleur ou son dirigeant, les primes versées sont déductibles dans son chef sans pour autant constituer un revenu taxable dans le chef du bénéficiaire. Celui-ci sera taxé distinctement s’il perçoit ces sommes à partir de 62 ans (les taux principaux sont soit de 16,5 %, soit de 10 %, hors additionnels et cotisations diverses). Les pensions complémentaires sont toutefois dans le viseur : peu de salariés bénéficieraient en réalité d’un revenu complémentaire conséquent à l’âge de la retraite. Et le contrôle de la règle des 80 % serait renforcé, etc. L’avant-projet du ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), a pour objectif d’augmenter le nombre de travailleurs concernés par une pension complémentaire, plus, appréciable (nécessaire de l’aveu même du gouvernement) et de simplifier les règles.
Exit donc la règle 80 % qui cède sa place à la règle des “12/32”. Pourront être versées (et déduites) des primes allant jusqu’à 12 % maximum de la rémunération annuelle brute de 71 000 euros (environ). Au-delà de ce montant, des primes allant jusqu’à 32 % du salaire pourront être versées. En cas de dépassement, les primes attribuées constitueront un revenu professionnel imposable dans le chef du travailleur/dirigeant.
Il y a eu peu de concertation : la ministre des Pensions, Karine Lalieux (PS), estime aussi devoir réformer le second pilier qu’elle présente comme injuste (vu les taux si favorables). Madame Lalieux propose des nouveaux taux progressifs d’imposition des capitaux : au-delà de 679 500 euros, 33 % ; entre 478 000 et 679 500 euros, 25 % ; entre 319 000 euros et 478 000 euros, un impôt de 20 % serait prélevé. En deçà de 319 000 euros, le taux de 10 %, à conditions égales, serait maintenu.
Après avoir voulu transformer les capitaux en rentes, voici donc une idée de taux progressifs. Cette réforme ne respecterait, quant à elle, pas les effets du passé (rétroactivité), les règles du jeu étant modifiées en cours de contrat. Rappelons toutefois qu’il ne s’agit que d’un projet, qui ne fait pas encore l’objet d’un consensus au sein de la Vivaldi.
Les options sur actions et plans d’actions dans le viseur de la Vivaldi
Les options sur actions et plans d’actions sont un mode de rémunération très prisé des cadres et dirigeants d’entreprise. Or, dans le cadre de sa proposition de “première phase de la réforme fiscale” dévoilée en mars, le ministre des Finances a notamment partagé le traitement fiscal des plans d’actions qu’il entendait voir appliqué à de tels modes de rémunérations dans le futur. Rappelons qu’à ce stade, il ne s’agit que de propositions qui doivent encore être avalisées par le Parlement, et qu’elles feront plus que probablement l’objet d’ajustements et modifications. Bien que le régime actuel applicable aux options sur actions serait maintenu et incorporé dans le code d’impôts sur les revenus, des modifications s’imposent de toute façon au vu de l’existence de certains abus, notamment lorsque les options sur actions ou warrants portent sur des actions de sociétés tierces ou des fonds. L’intention serait donc de limiter le régime actuel aux options portant sur des actions de l’employeur et ne serait donc plus possible lorsqu’il s’agit de produits bancaires, par exemple. Moyennant cette réserve, les options sur actions demeureraient donc imposables lors de l’octroi sur la base d’une valorisation forfaitaire avantageuse, pour autant qu’elles aient été acceptées par écrit dans les 60 jours de leur offre.
Porte ouverte à l’imposition sur les plus-values sur actions
À côté de cette limitation du régime actuel applicable aux options sur actions, le projet de réforme comporte également un volet dédié aux autres types de plans d’actions dont la taxation serait différée jusqu’à la cession effective des actions par le bénéficiaire, qui consisterait en une imposition de la plus-value, et ce, à deux niveaux :
a) par rapport à la valeur réelle de l’avantage au moment de l’attribution, qui serait imposée en tant que revenu professionnel (au taux progressif) et, d’autre part,
b) l’augmentation de la valeur de l’action entre l’attribution et la cession effective, qui serait, elle, imposée en tant que revenu divers au taux de 15 %. Ce nouveau système permettrait donc de mettre fin à la problématique du préfinancement de l’impôt découlant du régime applicable actuellement, le bénéficiaire devant payer un impôt dès l’attribution effective de l’avantage. C’est bien entendu louable mais, par l’introduction de ces nouvelles règles, le ministre ouvre grand la porte à l’imposition sur les plus-values sur actions, qui semblait jusqu’à présent être un tabou fiscal dans notre royaume.
Le régime “carried interest” aussi dans le collimateur
On relèvera également que la réforme envisagée propose aussi de taxer le rendement excédentaire découlant de management incentives (plans mis en place dans le cadre d’une reprise où les membres de la direction investissent dans d’autres instruments financiers que les investisseurs financiers) et les montages carried interest (situation des gestionnaires de fonds d’investissement obtenant un rendement supérieur disproportionné par rapport aux investisseurs passifs) en tant que revenu professionnel au taux distinct de 35 %. Le régime applicable à de tels avantages ne peut être complet sans envisager leur traitement au niveau de la sécurité sociale. Or, l’avant-projet ne comporte aucune mention à ce sujet. Il semblerait qu’aucune décision n’ait été prise quant à une éventuelle exonération des cotisations sociales comme c’est actuellement le cas au niveau des options sur actions.
Si globalement, l’intention du ministre de clarifier et de moderniser le régime fiscal applicable aux plans d’actions semble pouvoir se justifier, on ne peut manquer de relever qu’il génère certaines incertitudes, que ce soit au niveau de l’imposition des plus-values sur actions, de la sécurité sociale, mais aussi de la détermination du “rendement excédentaire” précité. On ne peut donc qu’être vigilants quant à l’évolution des travaux parlementaires en la matière au cours des prochains mois…
Une réforme des droits d’auteur actée, mais qui baigne dans le flou
Malgré les inquiétudes de nombreux secteurs, la réforme fiscale des droits d’auteur a été adoptée et est entrée en vigueur ce 1er janvier 2023. Cette réforme ne brille malheureusement pas par sa clarté et, à ce jour, la circulaire destinée à clarifier la position de l’administration n’a toujours pas été publiée…
Moins plébiscitée, une réforme du traitement social des droits d’auteur a été adoptée en avril 2023 avec effet rétroactif au 1er janvier. Faisons succinctement le point. La loi fiscale ne peut fort heureusement, et quoi qu’en disent “certains”, être appliquée rétroactivement. Pour votre déclaration à souscrire prochainement, rien ne change donc.
N’oubliez pas de déclarer aux codes X117, X118 et X119 les droits d’auteur que vous avez perçus en 2022, les frais réels ou forfaitaires applicables ainsi que le précompte mobilier qui a été retenu. Veillez à correctement déclarer les frais forfaitaires applicables (50 % entre 0 et 17 090 euros et 25 % entre 17 090 et 34 170 euros), faute de quoi vous risqueriez d’être trop imposé.
Pour le futur, le conditionnel est malheureusement encore de mise, faute d’un texte clair et de précision administrative officielle. Chacun aura eu le loisir de se forger son opinion ; encore faudra-t-il, à la lumière du coût que peut représenter la défense d’un contentieux fiscal, qu’il soit opportun d’adopter une position qui s’écarterait de la lecture administrative du nouveau texte de loi, quand bien même cette position pourrait apparaître contestable. Nous n’aborderons que certains éléments choisis des réformes ci-après.
- Le législateur a déclaré vouloir restreindre le champ d’application du régime fiscal. Le succès de cette tentative demeure controversé (secteur de l’IT principalement).
- Le bénéficiaire de droits d’auteur doit soit disposer d’une attestation délivrée par une commission qui n’existe pas encore à ce jour, soit démontrer que les droits sont cédés ou concédés pour que l’œuvre soit communiquée au public, reproduite, ou représentée/exécutée en public.
- De nouvelles limites sont applicables : dès l’exercice d’imposition 2026, la règle des “70/30” relative au rapport entre les rémunérations et les droits d’auteur pouvant être perçus sera d’application. Par ailleurs, la moyenne des droits perçus au cours des 4 dernières années doit être inférieure à 70 220 euros.
- Si vous êtes exclu du nouveau régime et que vous avez perçu des droits d’auteur en 2022, vous pouvez encore bénéficier du régime en 2023 mais les montants sont divisés par deux (plafond, frais forfaitaires). Si vous n’en avez pas perçu en 2022, vous ne pouvez bénéficier du régime transitoire, quand bien même vos collègues exerçant des fonctions identiques aux vôtres y auraient droit.
- Moyennant le respect de diverses conditions et formalités se rapprochant de celles du régime fiscal, les droits d’auteur sont exonérés de cotisations de sécurité sociale depuis le 1er janvier 2023. Cette exonération n’est pas applicable aux bénéficiaires du régime fiscal transitoire. Évidemment, ce changement de position emporte son lot de conséquences sur les droits sociaux des travailleurs salariés.
Espérons que la circulaire administrative, écrite, selon nos sources, mais non encore publiée, permette de prochainement lever les incertitudes subsistantes. Il faudra aussi porter attention à la position de notre Cour constitutionnelle qui devra examiner le recours en annulation qui a été introduit à la mi-mai. Une approche prudente nous apparaît opportune, les contrôles en la matière étant légion.
Du changement dans l’air ?
Y a-t-il du changement en ce qui concerne la fiscalité du patrimoine pour les revenus 2022 ? Aucun. Les taux restent inchangés, les règles de fond également. Attention toutefois à de nouveaux pièges en matière de quotité forfaitaire d’impôt étranger (QFIE). Ainsi, tant que la nouvelle convention préventive de double imposition entre la France et la Belgique n’est pas encore entrée en vigueur, il est toujours possible de solliciter l’application de la QFIE sur les dividendes d’origine française. Comment ? Il convient, soit de déclarer le dividende français net après retenue du précompte mobilier belge au code 1160/2160 (cadre VII) si le dividende a été versé sur un compte en Belgique (et partant précompté par l’établissement financier belge), soit au code 1444/2444 si le précompte mobilier n’a pas été retenu. Par ailleurs, dans les deux cas, il faudra, sous le titre F, indiquer le pays (France), le code (1160/2160 ou 1444/2444), le montant des dividendes et la nature des revenus (dividendes). Lorsque la nouvelle convention entrera en vigueur, cette imputation ne sera plus possible. Ce n’est pas encore le cas toutefois. Sans cette déclaration et nonobstant le précompte retenu, l’administration refusera l’imputation de la QFIE.
Taxe annuelle sur les comptes-titres doublée
En ce qui concerne la réforme, l’épure du ministre des Finances (juillet 2022) était, à ce sujet, très ambitieuse : l’ensemble des revenus récurrents du patrimoine quelle que soit leur source (mobilière ou immobilière), devait être imposable à 25 %. Une quotité exemptée de 6 000 euros était, en outre, prévue pour l’ensemble de ces revenus du patrimoine. L’idée était, donc, bien celle de taxer les loyers réels. Par ailleurs, les plus-values sur actions, obligations et autres produits financiers, de même que les plus-values sur un immeuble d’habitation “non propre” (qui n’est pas occupé par son propriétaire) devenaient également imposables à un taux unique de 15 %, sans prise en compte de la plus-value historique ou des droits acquis.
Rien de tel dans l’avant-projet de mars 2023. La seule mesure relative aux éléments du patrimoine concerne la taxe annuelle sur les comptes-titres (dont la valeur moyenne est supérieure à 1 million d’euros) qui serait doublée (0,30 % au lieu de 0,15 % actuellement).
Ce samedi, La Libre publie son traditionnel guide fiscal. Vous y retrouverez des trucs et astuces pour payer le juste impôt. Un gros volet sera également consacré à la première phase de la réforme fiscale, déposée par le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) en mars 2023. Exemples à l’appui, par statut, les experts sollicités pour l’élaboration du guide fiscal montrent qu’il y aura des gagnants, mais aussi beaucoup de perdants si le projet en discussion devait être entériné.
Rejoignez-nous également ce mardi 30 mai à 14h sur notre site web pour poser directement vos questions à Nicolas Stockmans, expert en conseil fiscal.
