La Chine se défend : "Chaque pays a sa propre manière de réaliser les droits de l’homme"
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Publié le 06-11-2018 à 17h52 - Mis à jour le 07-11-2018 à 16h21
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Pékin a vivement rejeté les critiques sur sa politique de répression massive des Ouïghours au Xinjiang.La programmation, ce mardi à Genève, de l’évaluation par les États membres de l’Onu du respect des droits de l’homme en Chine tombait à pic, alors que s’accumulent les preuves de la répression massive et de la détention de centaines de milliers d’Ouïghours dans des camps de rééducation au Xinjiang. L’occasion de cet Examen périodique universel était toute trouvée pour (selon la formule consacrée) "recommander" à la Chine, entre autres, de cesser les arrestations arbitraires, ainsi que les violations des droits des minorités et de la liberté religieuse. Si beaucoup de représentants nationaux ont félicité Pékin pour ses "progrès remarquables" dans sa lutte contre la pauvreté notamment, seuls quelques pays, essentiellement occidentaux, comme les États-Unis, la Suisse, la République tchèque ou l’Allemagne, se sont ouvertement inquiétés du sort réservé à la minorité ouïghoure de l’ouest de la Chine. Les pays musulmans et turcophones, qui auraient pu s’exprimer par affinité religieuse et culturelle, sont restés évasifs, si pas muets.
La délégation chinoise, emmenée par le vice-ministre des Affaires étrangères Le Yucheng, a balayé les "accusations politiques proférées par quelques États pleins de préjugés". "Chaque pays a sa propre manière de mettre en œuvre les droits de l’homme", a-t-il plaidé. Si Pékin a dû prendre de "sérieuses mesures antiterroristes", c’est parce que "des extrémistes planifient des violences et sapent la tranquillité au Xinjiang". Les camps de rééducation qui ont bourgeonné dans la région seraient en fait "des centres de formation", "gratuits", donnant droit à "un diplôme après examens". Rien à voir, selon la Chine, avec la campagne de terreur documentée par les organisations non gouvernementales, les rares journalistes qui ont pu se rendre au Xinjiang sous haute surveillance ou les chercheurs internationaux qui ont mis au jour l’ampleur de la politique de rééducation mise en place et vu disparaître leurs collègues ouïghours les uns après les autres.
"Trop pétrifiés"
Jo Smith Finley, qui était encore au Xinjiang cet été, est venue en témoigner, à l’invitation du centre de recherche sur l’Asie de l’Est (EASt), lundi à Bruxelles. "J’ai été le témoin du traumatisme et de la peur la plus abjecte jamais rencontrés en 27 ans de recherche sur les communautés ouïghoures", raconte l’anthropologue, professeure à l’université de Newcastle. Les mosquées sont désertées, placées sous surveillance, les restaurants ont fait disparaître la référence "halal" sur leur devanture, les hommes n’osent plus porter la barbe, le réseau de surveillance est très développé, les habitants sont devenus mutiques. "On n’ose même plus dire ‘Ässalam älläykum’(‘Que la paix soit avec vous’), c’est trop religieux", lui a déclaré une jeune Ouïghoure. Seuls deux des nombreux contacts que Jo Smith Finley entretient depuis deux décennies sur place ont accepté de la revoir. "Les autres étaient trop pétrifiés."
"Une prophétie autoréalisatrice"
"Nous sommes en train d’assister à la mise en place d’une société d’hypersurveillance qui in fine favorise l’assimilation pure et simple, voire la disparition, de cette minorité ethnique ouïghoure. C’est le dernier avatar d’une politique de ‘sécuritisation’, entamée en 1989-1990", explique Thierry Kellner, professeur à l’ULB et spécialiste de la politique étrangère chinoise. La première étape de la "sécuritisation" consiste à construire une menace par une répétition d’actes de langage, en l’occurrence "en assimilant les Ouïghours à des séparatistes d’abord, puis à des radicaux et enfin à des terroristes". La menace, une fois créée par le discours des autorités, leur permet de prendre des mesures de contrôle et de répression. Ne reste plus, pour avoir une ‘sécuritisation’réussie, qu’à faire accepter le discours, en Chine et sur la scène internationale.
Le problème, poursuit le Pr Kellner, est que "les mesures mises en place par le gouvernement insécurisent aussi complètement les Ouïghours qui, de temps en temps, manifestent leur colère . Chaque incident permet de renforcer la sécurité et donc d’insécuriser encore un peu plus la minorité ouïghoure, qui exprime à nouveau son mécontentement. Nous sommes dans une prophétie autoréalisatrice. C’est le gouvernement chinois lui-même qui a créé de la radicalité chez certains."
Aussi Thierry Kellner ne voit-il pas comment sortir de l’impasse. "Il y a une très grande surdité des autorités chinoises, une absence complète de remise en cause du bien-fondé de la politique appliquée." D’autant que "nous n’avons plus eu d’incidents depuis 22 mois", s’est félicité un membre de la délégation chinoise à Genève. "Les efforts antiterroristes paient", "la richesse augmente" dans la Région autonome et "la population applaudit". Bref, "le Xinjiang est un bel endroit".
