Des experts s’opposent sur la contagiosité des malades du Covid
Nous avons contacté divers professionnels de la santé pour tenter d'expliquer un tweet anxiogène d'Emmanuel André (qui ne souhaite plus répondre à La Libre).
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/459220c6-2d8f-4e4e-9cb7-598067107ccf.png)
Publié le 06-10-2020 à 15h14 - Mis à jour le 15-10-2020 à 17h40
:focal(1275x858:1285x848)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/BKRSPQH7KVDSNNX3UR57UA6GN4.jpg)
Emmanuel André se montre, depuis plusieurs semaines, assez alarmiste sur la situation sanitaire belge. Ce lundi, il s'est fendu d'un nouveau tweet anxiogène. "Durant l'été, une proportion importante de patients étaient 'positifs' avec une faible charge virale. Aujourd'hui, une proportion importante de nouveaux patients sont porteurs d'une concentration gigantesque de virus. Ils sont très contagieux", a écrit le médecin et microbiologiste de la KULeuven.
Nous avons sollicité Emmanuel André pour comprendre d'où il tire de telles conclusions, mais aussi pour détailler ce qu'il entend par "proportion importante" ou "concentration gigantesque". Mais le médecin ne souhaite plus répondre à La Libre, dont il conteste la ligne éditoriale dans la couverture du Covid, notamment les choix de publier certaines opinions (dont celle de Lieven Annemans). Nous avons donc contacté d'autres professionnels de la santé pour tenter d'y voir plus clair.
"C’est vraiment surprenant", lance d'emblée Nathan Clumeck, professeur émérite à l’Université libre de Bruxelles et spécialiste des maladies infectieuses au CHU Saint-Pierre. "Je ne vois pas sur quoi se base cette affirmation alors que les tests PCR ne donnent pas de valeur quantitative. Comment faire une telle comparaison avec la situation de l'été ?", s'interroge cette référence internationale en matière de virus.
Yves Van Laethem partage la surprise. "Je ne sais sur quoi repose cette affirmation d'Emmanuel André. La charge virale n'est jamais apparue dans les données que l'on me fournit et je n'ai jamais lu cela dans la littérature scientifique", signale le porte-parole interfédéral Covid.
Le Dr Van Laethem, qui est aussi spécialiste en maladies infectieuses au CHU Saint-Pierre, s'interroge sur ce que cette affirmation signifie scientifiquement. "Est-ce le reflet d'une observation scientifique fondée ? Je ne sais pas. Doit-on en conclure que le virus est désormais plus transmissible ? Je ne sais pas. Y a-t-il désormais beaucoup de supercontaminateurs ? Ce tweet semble le sous-entendre. Je peux juste confirmer que beaucoup de virus est détecté en ce moment lors des tests PCR. Mais, en tout cas, ce tweet fait peur..."
Jean-Luc Gala : "Une communication désastreuse qui ne repose sur rien"
Face à ces incompréhensions, nous avons contacté le professeur Jean-Luc Gala, qui se montre très sceptique. "Emmanuel André dispose peut-être de données que personne d'autre n'a en Belgique. Cela me parait tout de même étrange, extrêmement mystérieux", lâche le chef de clinique à Saint-Luc (UCLouvain) et spécialiste en infectiologie. "Certes, les laboratoires universitaires et ceux des grands hôpitaux mesurent la charge virale, mais ils ne communiquent pas à ce sujet et ces résultats ne sont d’ailleurs pas donnés à Sciensano." Contacté par nos soins, l'institut Sciensano, qui recueille les données relatives au Covid, confirme qu'il ne reçoit pas les informations sur la charge virale.
Il y a dès lors fort à parier qu'Emmanuel André se base sur des observations réalisées dans son laboratoire de la KUL. "Il faut alors voir à quel stade de la maladie les tests ont été réalisés, l'âge des patients, leur niveau d'infectiosité… Même s'il a réalisé une étude sur un échantillon de malades, Emmanuel André ne peut généraliser ses conclusions à l'ensemble de la population. Cela relève du hasard et ce n'est pas digne d'une conclusion scientifique. C'est une communication désastreuse qui ne repose sur rien, qui n'est étayée par rien et certainement pas par des arguments probants. Et même s'il devait avoir raison, de toute façon, ce n'est pas via un tweet qu'on communique des résultats prétendument 'scientifiques' sous forme d’une conclusion lapidaire inutilement anxiogène… Et je préfère ne pas croire que ce soit l’objectif recherché", vitupère Jean-Luc Gala.
Yves Coppieters : "Pas une information valide scientifiquement"
De son côté, Yves Coppieters ajoute que les résultats dépendent de la technique d'amplification du virus utilisée sur les tests. L'épidémiologiste de l'ULB s'explique : "Si, dans le laboratoire de la KUL, ils sont montés à des niveaux élevés d'amplification pour détecter le virus dans les machines, alors les résultats seront forcément plus impressionnants. S'ils ont été peu amplifiés et que les chercheurs ont tout de même trouvé beaucoup de virus, alors la conclusion du tweet peut être correcte. Mais Emmanuel André devrait fournir davantage d'explications pour qu'on comprenne. Et puis, il ne peut avancer une telle affirmation que sur base d'un résultat virologique obtenu sur un échantillon. Ce n'est donc pas une information valide scientifiquement. Une telle communication ne fait que renforcer l'angoisse. Or, d'un point de vue épidémiologique, il n'y a pas de raison de générer du stress pour l'instant", regrette Yves Coppieters.
L'épidémiologiste rappelle également que, "actuellement, on teste beaucoup de patients malades, symptomatiques et à risque, donc les résultats sont plus souvent positifs. En été, on testait davantage le tout-venant : des asymptomatiques, les personnes de retour de vacances... Donc, forcément, la charge virale était moins grande".
Marie Hallin : "Les résultats sont flagrants"
Dans le scepticisme ambiant des professionnels de la santé que nous avons contactés, une voix dénote. C'est celle de Marie Hallin, la chef du service de microbiologie à l'hôpital Erasme. Les observations qu'elle pose sur les tests réalisés en ce moment rejoignent la conclusion d'Emmanuel André. "Lorsque le test est placé dans la machine, si le prélèvement contient beaucoup de virus, la fluorescence se manifestera plus rapidement. Et je peux confirmer que, actuellement, sur les tests positifs, cette fluorescence sort souvent beaucoup plus vite qu'en été. On peut comparer les observations actuelles à celles de la première vague."
Le professeur Hallin refuse cependant de s'aventurer dans des explications sur les raisons de ce phénomène. "Je ne m'avancerais pas. Mais les résultats sont flagrants. Ce n'est pas le fruit du hasard. Et là où je rejoins aussi le raisonnement d'Emmanuel André, c'est que si le patient a plus de virus, il sera probablement plus contagieux."
Prudente, la microbiologiste assure donc partager l'observation, mais ne souhaite pas en tirer de conclusions. "Beaucoup de paramètres entrent en jeu : le type de patients, le kit PCR utilisé, la manière dont le frottis a été réalisé, s'il a été traumatique ou non... Vu ces différents aspects, standardiser les résultats est trop compliqué et cela donne une conclusion qui n'a pas beaucoup de sens".
Elle stipule cependant que connaitre la charge virale d'un malade s'avère utile pour le personnel médical. "En tant que microbiologistes, nous la regardons, nous l'interprétons en vue du suivi médical d'un patient."
Contacté à nouveau avant la publication de cet article, Emmanuel André a réitéré sa volonté de ne pas donner d'interview à La Libre.
MISE À JOUR (8/10/2020 13h50) :
Deux jours après la publication de cet article, Emmanuel André a apporté des précisions quant aux affirmations qu'ils avaient émises, ce lundi 5 octobre sur Twitter, sur la charge virale désormais plus importante chez les patients positifs au coronavirus.