Des alpinistes népalais réussissent l'exploit d'atteindre le sommet du K2 en hiver
Dix hommes, dont Nirmal Purja et Mingma G, entrent dans l'histoire de l'himalayisme en grimpant la deuxième plus haute montagne de la planète en cette saison. Le K2 restait le dernier sommet de plus de 8 000 mètres invaincu en hiver.
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Publié le 16-01-2021 à 13h10 - Mis à jour le 17-01-2021 à 11h54
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C’est un véritable exploit de l’himalayisme que viennent de réaliser dix alpinistes népalais: l’ascension hivernale du K2, deuxième sommet le plus élevé de la planète et dernière montagne de plus de 8 000 mètres (8 611 mètres d’altitude) à n’avoir jamais été gravie en cette saison. Nirmal Purja, Gelje Sherpa, Mingma David Sherpa, Mingma G, Sona Sherpa, Mingma Tenzi Sherpa, Pem Chhiri Sherpa, Dawa Temba Sherpa, Kili Pemba Sherpa, Dawa Tenjing Sherpa voulaient se retrouver à 10m du sommet, samedi, pour former un groupe et atteindre le toit du K2 ensemble, a annoncé l'un des chefs d'expédition, Chhang Dawa Sherpa.
L’aventure n’est pas encore terminée pour autant – loin de là. Tous les alpinistes savent qu’il ne suffit pas d’atteindre le sommet, mais qu'il faut garder l'énergie, la lucidité et la force mentale d'en redescendre (vivant). "C’est le K2 et c’est l’hiver, encore beaucoup de choses incertaines peuvent se produire, on ne sait jamais. J'espère que tout le monde descendra au camp de base en toute sécurité", a ajouté Chhang Dawa Sherpa.
Un sommet plus technique que l'Everest
L’exploit réalisé ce samedi se mesure à l’aune de la difficulté d’accès de ce sommet à cheval entre le Pakistan et la Chine, dans le Karakoram. D’abord, comme l’Everest et le Kangchenjunga, "le K2 est un ‘grand 8 000’, comme on dit: il culmine à plus de 8 500 mètres", pointe Paul Hegge, le premier (et seul) Belge à l’avoir gravi, en 2018. Si bien que les alpinistes restent longtemps - "au moins 24h, parfois des jours" - en zone de la mort, là où "l’homme n’est pas à sa place".
Ensuite, le niveau technique du K2 est élevé, par rapport à l’Everest notamment. "La pente est beaucoup plus raide, l’ascension beaucoup plus directe que les voies classiques sur les autres sommets. Vous ne descendez quasiment jamais en-dessous de 45 - 50°. Il n’y a pas presque pas d'endroits où mettre sa tente. La moindre erreur mène souvent à la catastrophe", nous explique l’alpiniste belge.

De surcroît, les conditions météorologiques se révèlent particulièrement extrêmes sur la "montagne sauvage" et les fenêtres de beau temps rares et courtes – voire inexistantes. Et enfin, "le sommet du K2 fait partie des endroits du monde où il est le plus difficile de respirer, surtout en hiver. C’est une question d’altitude, mais aussi d’emplacement géographique", explique Michał Pyka, le conseiller météo de la dernière expédition polonaise de 2018, interviewé par Montagnes Magazine en 2019. Le K2 est plus éloigné de l’équateur que les autres "8 000" et la pression atmosphérique plus basse. Comme le résume Nirmal Purja sur son site Internet, "les vents au sommet atteignent la force des ouragans, les températures descendent jusqu’à -65° et la pression atmosphérique très basse en hiver signifie encore moins d’oxygène. Les marges d’erreur sont donc presque inexistantes et la moindre faute peut avoir des conséquences catastrophiques".
"Tout cela fait que le K2 est unique", conclut Paul Hegge. Et qu’il est l’un des sommets les plus meurtriers de la Terre. Près de 450 personnes ont réussi son ascension (en été) depuis 1954, et plus 80 y ont trouvé la mort, dont l’Espagnol Sergi Mingote, qui a succombé après avoir fait une grave chute samedi... Outre une forme mentale et physique hors du commun, les alpinistes doivent compter sur la chance, alors que les avalanches et les chutes de pierres menacent à tout instant (et ont déjà fait des blessés cet hiver).
Du monde au camp de base
De nombreux alpinistes avaient pris la route du Pakistan, cette année, pour tenter l’ascension - un Belge, Peter Moerman, figure sur la liste de l’expédition Seven Summit Treks –, avec des ambitions variables: ceux qui veulent aller au sommet et ceux qui cherchent à acquérir de l’expérience, ceux qui entendent monter seuls et ceux qui s’adjoignent l’aide des sherpas, ceux qui ont recours à l’oxygène et ceux qui veulent s’en passer. Ils étaient plus d’une soixantaine au départ, parmi lesquels de grands noms de la discipline, comme l’Espagnol Sergi Mingote, l’Italienne Tamara Lunger en cordée avec le Roumain Alex Gavan pour une tentative sans oxygène, le Chilien Juan Pablo Mohr, le Pakistanais Ali Sadpara ou encore l’Islandais John Snorri. Une telle affluence, qui ne s’était jamais vue en hiver depuis la première tentative hivernale lors de la saison 1987-1988, s’explique notamment par la pandémie qui a privé les grimpeurs de leurs terrains de jeu pendant de longs mois.
Cette situation imposait, et impose toujours, la collaboration et la bonne entente entre les différentes expéditions. "On ne peut pas aller au sommet tous ensemble, il n'y a pas assez de place sur la montagne, mais on peut se relayer", explique Paul Hegge, dont plusieurs amis sont actuellement sur les pentes du K2. Cela peut aider à atteindre le sommet. "En hiver, le plus grand problème, mis à part le vent qui peut être terrible, c’est la couche de neige. Non seulement vous êtes en train de grimper mais, en grimpant, vous devez quasiment creuser un tunnel aussi haut que votre corps pour pouvoir passer. Et ça, au-delà de 8000 m, à deux ou trois alpinistes, c’est impossible. En se relayant à plusieurs, on peut arriver à franchir ce genre de barrière", éclaire le Belge, par ailleurs summiter de l’Everest et du Gasherbrum II.
Les Népalais plus que déterminés
Les hivernales ont longtemps été la chasse gardée des Polonais – les derniers à avoir tenté le K2 il y a deux ans. Très vite, il est apparu, cette année, que les Népalais étaient là pour offrir un "grand exploit" à leur pays - quelle que soit leur expédition d’origine. Nirmal Purja, le 7 janvier, témoignait sur Instagram de sa détermination à "écrire l’histoire" avec ses compatriotes. "Je ne quitterai pas le camp de base tant que la mission ne sera pas accomplie. La justice sera faite et la mission sera accomplie." Si tous sont de grands alpinistes, Nirmal Purja, alias Nims, ancien soldat des forces spéciales britanniques, est probablement le plus connu du grand public. Il était déjà entré dans l'histoire en gravissant quatorze "8 000" en près de six mois en 2019.
Rapidement, après leur arrivée sur la montagne, Nirmal Purja et d’autres sont partis à l’assaut de ses flancs pour équiper la voie jusqu’au camp III – bien plus tôt que les expéditions des années précédentes. "Nous sommes beaucoup plus lents que d'habitude en raison du froid extrême, mais c'était attendu", rapportait Mingma Gyalje. Mais "c’est formidable de voir notre équipe népalaise s’unir et travailler ensemble pour un objectif commun", s’enthousiasmait Nirmal Purja. Pour avoir des chances de réussite, les Népalais savaient qu’il leur fallait unir leurs forces. Et prier pour une météo favorable.
Leur progression a été entravée par des conditions terribles qui ont cloué les équipes au camp de base pendant plusieurs jours, à attendre, à faire du yoga, à se reposer, à lire, à regarder des films, à écouter de la musique, à se conditionner.
"Passer une journée dans sa tente, cela semble long mais, en fait, cela passe plus vite qu'on ne croit", témoigne Paul Hegge. L’hiver dans le Karakoram n’en est pas moins épuisant pour l’organisme et le moral. "Atteindre le sommet, ce n’est pas qu’une lutte physique, c’est surtout une lutte mentale."
Même les plus aguerris connaissent des moments de désespoir. Lorsqu’il est remonté au camp II après la tempête, Nirmal Purja a découvert "une épave". "Nos tentes et tous les équipements que nous avions laissés ici en prévision du sommet sont tous détruits ou emportés par le vent. Nous avons tout perdu, y compris tous nos kits; sacs de couchage, matelas, semelles chauffantes, gants / mitaines, sous-couches, équipement de parapente, équipement de cuisine, etc. Je suis dévasté d’annoncer cette nouvelle. Maintenant, je dois tout réévaluer et tout replanifier."
Il a fallu aller puiser dans d’infinies ressources mentales pour se remettre en route avec, sur le dos, des charges de 35 kg. "Les dernières 48 heures ont été épuisantes", racontera Nims le 14 janvier, "vraiment satisfait des progrès de l'équipe jusqu'à présent et super fier".
Non seulement le moral était retour mais, en plus, la météo se révélait favorable.
Mingma Gyalje, Mingma David, Mingma Tenzi et Sona Sherpa en ont profité pour installer un camp IV à 7 800 mètres le 15 janvier, battant ainsi le record d’altitude détenu par les Polonais Denis Urubko et Marcin Kaczkan depuis 2003. "Nous voyons maintenant l’itinéraire final", lançait Mingma Gyalje sur Instagram vendredi. "Nous sommes sur le point de créer l’histoire", ajoutait Mingma David, tandis que, au camp III, Nirmal Purja annonçait qu’il partirait pour le sommet dans la nuit, soutenu par quatre sherpas. "Je dirigerai l'équipe pour fixer les cordes vers le sommet. Nous espérons nous tenir ensemble sur le sommet", écrivait-il. L’exploit n’avait jamais semblé aussi proche. Ils n’étaient pas moins de dix dès lors, les Népalais, à tenter le push final samedi. Et à poser leurs pieds sur le deuxième plus haut sommet de la Terre en chantant l’hymne national de leur pays. Un juste retour des choses pour tous ceux qui ont aidé les étrangers, dans l’ombre, à gravir les plus hauts sommets de l’Himalaya.
S'ils ont inscrit ainsi leur nom dans l’histoire du K2, ce 16 janvier 2021, d’autres pourraient suivre leurs traces cet hiver encore. Comme le dit Paul Hegge, "de toute manière, tous les grimpeurs qui arriveront au sommet du K2 en plein hiver seront des héros".