Bart De Wever à La Libre : "Le wokisme est un mouvement de vengeance"
Le président de la N-VA publie en version française son essai best-seller “Woke”. A cette occasion, il a choisi La Libre pour rompre le silence auquel il s’astreint dans les médias francophones.
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- Publié le 02-09-2023 à 07h08
- Mis à jour le 02-09-2023 à 10h02
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Stadhuis d’Anvers. Il est 10 heures, Bart De Wever arrive, l’air concentré. “Bienvenue dans mon humble bureau”, plaisante-t-il. Épicentre de l’hôtel de ville bâti au XVIe siècle dans le style maniériste, le bureau du bourgmestre attire le regard. Un glaive romain et un casque de centurion sont disposés aux côtés de la biographie monumentale de l’empereur Auguste rédigée par l’historien britannique Adrian Goldsworthy.
Cette mise en scène étudiée envoie un message au visiteur : Bart De Wever n’a pas peur du combat politique et puise ses convictions dans une connaissance fine des origines de la civilisation européenne. Dans la culture latine, en particulier. Conservateur et nationaliste flamand, il voit les bases de l’édifice occidental être sapées par une idéologie de la repentance et de la culpabilité qu’il juge dévastatrice : le “wokisme”.
Posons le débat. Quelle est votre définition du “wokisme” ?
Il n’existe pas de définition claire. Mais les wokistes divisent la société entre bourreaux et victimes. Cela crée une sorte d’apartheid dans la société. Et de la colère. C’est très dangereux. Voilà ce qu’est le wokisme. Il existe un wokisme banal, on est confronté de plus en plus à ce phénomène dans les médias. Pour les wokistes, les blancs hétérosexuels cultivés et qui vivent dans un bon quartier jouissent d’une position privilégiée qui est une faute qu’ils doivent expier.
À gauche, beaucoup considèrent que le wokisme n’existe pas et est un fantasme des conservateurs.
La gauche dit qu’il s’agit simplement de la nouvelle étape dans le mouvement historique d’émancipation de l’individu. Je ne crois pas du tout à cela : le wokisme, c’est un mouvement de vengeance. Il n’est pas un enfant de la modernité, mais de la postmodernité. Le postmodernisme a créé un vide en déconstruisant notre identité, comme Michel Foucault (philosophe français postmoderne, proche de l’extrême gauche, NldR) l’a fait. Notre identité serait une invention de l’élite utilisée comme instrument de domination et d’exclusion des plus faibles, des pauvres, des gens de couleur, des homosexuels… Sans dieu et sans État-nation, il ne reste que le vide total dans nos sociétés. Et ce vide, le wokisme est venu le combler en propageant des idées qui attaquent la société occidentale : tous les problèmes du monde viennent de l’Occident. Selon les wokistes, la solution à chaque problème viendra de la fin de l’Occident.
En France, le ministre de l’Education nationale a interdit l’abaya dans les écoles. Il estime qu’il s’agit d’un vêtement “musulman” qui n’a pas sa place au sein de l’école républicaine. Une bonne décision selon vous face à la montée de l’idéologie woke ?
Oui, tout à fait. On a besoin d’une identité, c’est une sorte de disque dur : le pays, la langue, le territoire. Mais on a aussi besoin d’un logiciel, d’un cadre métaphysique. Désormais, le seul cadre métaphysique à notre disposition pour unifier la population, c’est la pensée des Lumières. Mais je suis aussi pour l’évolution. Il ne faut pas rejeter chaque progrès en le voyant comme du wokisme… Un conservateur accepte le progrès mais en suivant un tempo tranquille. C’est comme prendre le train en prenant le temps de regarder le paysage, en s’arrêtant de gare en gare pour réfléchir au voyage. Les progressistes veulent prendre un TGV qui ne s’arrête jamais de rouler. Quant aux wokistes, ils veulent détruire chaque gare… Pour eux, l’identité et l’histoire sont des mensonges. Je ne peux pas l’accepter. Le débat sur l’intégration de l’islam dans l’identité européenne est délicat et difficile. L’islam des Lumières doit devenir un élément constructif de l’identité flamande. L’extrême droite dit autre chose : l’islam est l’ennemi. Les wokistes aident beaucoup l’extrême droite en prétendant que l’intégration n’est pas nécessaire car seul le racisme est la cause des problèmes.
L’islam des Lumières doit devenir un élément constructif de l’identité flamande."
Le meilleur antidote au wokisme, est-ce, pour vous, le nationalisme ?
L’antidote, c’est en tout cas accepter que l’on a besoin d’un cadre métaphysique pour avoir une démocratie et une société solidaire. Sans cela, on n’a plus de ciment pour faire tenir debout la société. Le vide se remplit alors avec l’extrême droite et le populisme et, de l’autre côté, avec une élite qui s’étonne du vote radical des gens et méprise d’autant plus leur réaction. Je ne vois pas d’autre idéologie que le nationalisme pour recoller les morceaux de la société, en effet. L’historien Harari (l’auteur du best-seller Sapiens, NdlR) dit qu’il y a trois forces motrices qui unifient l’humanité : Dieu, la nation et l’argent. On a biffé Dieu. Je suis catholique mais je ne pense pas que la religion puisse redevenir ce qu’elle a été. Le postmodernisme a biffé la nation. Il reste l’argent, le matérialisme. Voilà le nouveau dieu…
Je ne vois pas d’autre idéologie que le nationalisme pour recoller les morceaux de la société."
N’y a-t-il aucun point positif dans les combats pour les minorités ?
Beaucoup de gens ont de bonnes intentions et pensent travailler pour l’émancipation de groupes minoritaire mais ils se trompent. On ne peut pas obtenir l’égalité en attaquant la liberté. C’est la grande leçon des Lumières : la liberté est une condition préalable à l’égalité. On est protégé contre l’État, c’est dans nos Constitutions. Alors seulement on peut travailler à l’égalité sur plusieurs générations. Désormais, on dit que l’inégalité est une injustice et que l’égalité doit être immédiatement offerte en compensation. Les mouvements d’émancipation sont des mouvements de vengeance. Black Lives Matter est un mouvement porté par des gens qui n’ont jamais été esclaves contre d’autres personnes qui n’en ont jamais eu… Et c’est un mouvement américain. En Europe, la situation de personnes immigrées dans les années 60 n’a rien à voir avec le combat des Afro-américains mais les wokistes excitent ce sentiment de revanche. Quand le Maroc a battu la Belgique au mondial de football, les jeunes ont fait la fête dans les rues de Bruxelles et d’Anvers, comme s’ils avaient chassé un colonisateur de leur pays… Mais c’est quoi cette colère ? Je ne leur reproche rien mais je reproche aux wokistes de leur avoir donné raison en les présentant comme les victimes d’un racisme systémique.
Black Lives Matter est un mouvement porté par des gens qui n’ont jamais été esclaves contre d’autres personnes qui n’en ont jamais eu…"
Pensez-vous qu’il sera possible d’inverser la tendance ? Un combat perdu d’avance ?
Je suis très optimiste à ce sujet. Il faut renverser la culture intellectuelle et je pense que c’est possible. Le mouvement wokiste a démarré dans les années 70 et, aujourd’hui, il représente la pensée unique dans les universités et dans le secteur culturel. Mais il a perdu le peuple. Il y aura un renversement, d’une manière ou une autre. Est-ce que cela se fera selon une manière constructive ou une manière destructive ? Moi, je veux obtenir un consensus pacifique. Je ne veux pas avoir un Trump en Europe. C’est vraiment un personnage abject. Mais sans le wokisme aux USA, il n’y aurait pas eu Trump.
Je ne veux pas avoir un Trump en Europe. C’est vraiment un personnage abject. Mais sans le wokisme aux USA, il n’y aurait pas eu Trump."
Ne craignez-vous pas que ce débat soit très éloigné des préoccupations quotidiennes des gens ? Les pensions, l’emploi…
Oui. Mais c’est un débat intellectuel. Les marxistes disent que ce sont les conditions matérielles des gens qui font l’histoire. Moi, je suis anti-marxiste : je dis au contraire que ce sont les idées qui font bouger le monde et qu’elles émergent d’abord au niveau de l’élite. L’histoire est mue par un mouvement des idées qui va du haut vers le bas, qui est top-down.
Sur le “wokisme” et les dossiers socio-économiques, vous avez un potentiel allié francophone en la personne de Georges-Louis Bouchez, patron du MR. Et pourtant, vos regards se tournent vers Paul Magnette, le président du PS. N’est-ce pas une erreur de votre part ?
Dans un pays normal, je vous répondrais que vous avez raison. Mais nous sommes en Belgique… Un pays qui est divisé en deux démocraties distinctes. Je vais être honnête avec vous : ma seule préoccupation est de trouver en Wallonie un partenaire institutionnel (pour négocier le confédéralisme, NdlR). Je n’ai pas d’autre intérêt. Seule la démocratie flamande m’importe.