Les rumeurs d’étranges piqûres dans des lieux festifs courent parmi les ados
Des filles disent avoir été piquées par des seringues. Sans élément probant. Cela suggère le phénomène de la rumeur.
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Publié le 10-05-2022 à 11h08 - Mis à jour le 23-05-2022 à 21h30
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Une piqûre par seringue hypodermique dans le bras, l’épaule, la fesse ou le dos pour injecter un mystérieux produit… Après avoir touché des bars et des discothèques en France et en Grande-Bretagne, cet étrange phénomène se manifesterait dans des boîtes de nuit en Belgique. On évoque une possible nouvelle drogue du viol. Le conditionnel reste de rigueur. Des plaintes ont fleuri sur les réseaux sociaux sans parvenir, jusqu’ici, aux parquets.
Plus interpellant : le phénomène s’étend à des rassemblements d’adolescents. Une dizaine de jeunes filles ont ainsi rapporté avoir été droguées la nuit du 30 avril au 1er mai lors d’un bal à Dampicourt (province de Luxembourg). Certaines ont évoqué la tactique (dénoncée par #BalanceTonBar) de la substance glissée dans leur verre mais d’autres disent avoir remarqué des traces de piqûres sur leur corps au lendemain de la soirée.
Un scénario qui se répète
Dans ce cas-ci, plusieurs plaintes ont été déposées au parquet du Luxembourg, notamment par des victimes de 16 et 17 ans évoquant divers symptômes : nausées, vomissements, perte de connaissance, maux à la tête, au ventre… Mais les analyses toxicologiques n’ont rien révélé et aucun suspect n’a été interpellé.
Au cours du week-end, ce scénario s’est répété, dans une moindre mesure, à l’Inc’Rock, un des premiers festivals de la saison. Après deux années marquées par le Covid, c’était le retour en force des pogos les 6, 7 et 8 mai à Incourt (10 000 festivaliers en tout), dans le Brabant wallon. Deux jours dédiés au rap (Gambi, SDM, Zola, Maes…) et, le dimanche, un programme grand public avec Saule, Kendji Girac, Wejdene….
L'Inc'Rock, fréquenté par de (très) jeunes ados, est réputé en matière de sécurité. Rien n'est laissé au hasard. Exemple : les moins de 16 ans ont un bracelet spécifique qui interdit de leur vendre de l'alcool. Une quarantaine de policiers (dont des inspecteurs fédéraux en civil) et 80 stewards ont sillonné le site qui était pour la première fois surveillé par des caméras de la police. Un dispositif impressionnant.
Dès vendredi soir, le bruit courait…
Dès vendredi soir pourtant, dans ce festival fréquenté par de très jeunes ados, le bruit courait qu'une fille de 15 ans s'était fait "piquer"… Quelques autres jeunes se sont ensuite adressés à la police ou à la Croix-Rouge, croyant ou craignant avoir aussi été victimes… "Beaucoup de parents m'ont contacté, inquiets. J'étais triste de les voir comme ça", se désole Benoît Malevé (PS), échevin de la Jeunesse d'Incourt, organisateur de l'événement. "La police a pris tout ça très au sérieux. Mais il n'y a eu aucune interpellation pendant le festival et on n'a pas objectivé de cas où des adolescentes auraient été droguées ou auraient perdu connaissance. Je crois que ça me serait revenu", poursuit Benoît Malevé. Le parquet du Brabant wallon a été informé. "À ce stade-ci, on ne sait pas grand-chose, nous disait lundi la substitute Magali Raes. On sera vigilants."
En l'absence d'éléments tangibles, concrets et précis, "cela suggère le phénomène de la rumeur, avance Olivier Luminet, professeur de psychologie à l'UCLouvain. Il y a pour le moment un climat anxiogène. Les gens sortent de deux ans de Covid, ils sont un peu sur le qui-vive, face à des inquiétudes multiples par rapport à la guerre, au coût de la vie…"
Un risque d’emballement
Un contexte propice aux rumeurs. Chez les plus jeunes, en particulier, la suggestibilité peut être forte, poursuit le psychologue. Ils entendent que c'est arrivé à la meilleure pote de l'amie d'une copine… "On est dans un phénomène de contagion émotionnelle. Tout d'un coup, simplement en entendant des histoires comme ça, cela suscite l'imaginaire. Chez les adolescents, cela peut démarrer très vite. Des jeunes, de toute bonne foi, peuvent avoir l'impression d'avoir reçu une piqûre et juste après se sentir mal. Pas à cause d'un produit qui aurait été injecté mais à cause d'une inquiétude excessive qui peut provoquer, chez certaines personnes, des vertiges, des nausées jusqu'à des douleurs ou une perte de connaissance alors qu'il n'y a rien d'organique", explique encore Olivier Luminet. "C'est important d'expliquer qu'il y a un risque d'emballement. Ces peurs sont infondées tant qu'il n'y a pas d'élément probant. Il faut rassurer et insister sur le fait que l'imaginaire peut avoir des effets sur la santé physique."
