Edito: Les dangers de la "cancel culture"
Un édito de Bosco d'Otreppe.
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Publié le 12-02-2021 à 06h33 - Mis à jour le 03-03-2022 à 20h48
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Cancel culture. En quelques mois, cette expression venue des États-Unis s'est imposée dans nos pays. Elle recouvre la volonté de diverses communautés de supprimer des œuvres d'art, de réécrire des scénarios, d'interdire de parole des intellectuels au motif que leur expression blesserait certaines personnes. C'est ainsi qu'il y a un an, des étudiants de l'ULB ont voulu refuser un débat à des membres de Charlie Hebdo, jugés réactionnaires. C'est aussi l'opéra Carmen réécrit par le metteur en scène Leo Muscato…
Il est évident qu'il faut mettre au jour les représentations culturelles ou langagières qui structurent notre conception du monde et induisent des discriminations, parfois inconsciemment. En ce sens, il est sain de contextualiser les œuvres dont des aspects peuvent aujourd'hui blesser, et de condamner celles qui tombent sous les prescrits de la loi. Mais la pente sur laquelle nous mènerait une vision radicale de la cancel culture nous oblige à la vigilance. De plus en plus de communautés appellent en effet au boycott d'œuvres ou de propos parce qu'elles se "sentent" blessées. La suppression d'une parole ou d'une œuvre ne se ferait donc plus au terme d'un débat raisonné ou au regard de la loi, mais à partir d'un sentiment. Les appels à la condamnation seraient alors sans fin, et ils soumettraient la culture à une idéologie, une morale, un ressenti.
Cette logique est condamnable. D’abord pour son inefficacité. Affronter ce que nous sommes ne peut jamais se faire en cassant le miroir de ce que nous avons été, en censurant, même nos erreurs. Contextualiser une œuvre engage au contraire une véritable introspection et une compréhension du ressenti de l’autre.
Ensuite, car de telles censures sont un déni de ce que nous sommes. Ce qui fonde notre humanité est notre "raison dialogique", souligne le philosophe Francis Wolff : notre capacité de raisonner par l’échange. Soyons donc fidèles à ce que nous sommes. Face aux discriminations, éduquons, échangeons, approchons les œuvres pour y vivifier notre regard, et non pour les traquer à l’aune de nos ressentis. Aujourd’hui, nos sociétés se divisent. Or, c’est bien le chemin de la culture, du dialogue et de la raison qui permettra de les recoudre, non la purge ni le déni.