La consultation populaire, de la poudre aux yeux?
Un accord politique existe au Parlement wallon concernant la mise en place d'une consultation populaire dans la Région. Une première à ce niveau en Belgique. S'agit-il vraiment d'une avancée démocratique ou plutôt d'une coquille vide? Opinions croisées.
Publié le 09-03-2016 à 19h46 - Mis à jour le 09-03-2016 à 19h47
Un accord politique existe au Parlement wallon concernant la mise en place d'une consultation populaire dans la Région. Une première à ce niveau en Belgique. S'agit-il vraiment d'une avancée démocratique ou plutôt d'une coquille vide? Opinions croisées.
OUI
Julien Charles, sociologue (Cesep et UCLouvain) et auteur de "La participation en actes, Entreprise, ville, association" (Desclée de Brouwer, 2016).
Si la participation veut contribuer à l’idéal démocratique, elle ne peut pas se limiter à recueillir les voix déjà apprêtées et rompues au débat public, habituellement écoutées et parfois prises en compte. Or, elle requiert des exigences particulières. Et si rien d’autre n’est spécifiquement mis en place pour accompagner et inciter à l’engagement citoyen, on ne pourra pas parler d’avancée de la démocratie. A quoi sert, selon vous, le principe d’une consultation populaire ?
L’idéal d’une démocratie participative fait à nouveau parler de lui et c’est tant mieux. Certes, il est ici question de consultation, sans prise directe sur la décision. Mais une invitation à participer n’est pas dénuée de sens ni de promesses.
A savoir ?
Elle annonce la possibilité de prendre part aux activités qui déterminent le monde dans lequel on vit pour le rendre plus conforme à nos envies, nos souhaits, nos convictions. Elle contribue ainsi à une atmosphère démocratique.
"Une atmosphère démocratique" : cela signifie-t-il que l’outil ne l’est pas forcément, démocratique ?
Pour être entendus, les participants doivent se conformer à des "conditions" plus ou moins exigeantes et plus ou moins légitimes. Participer ne se fait pas n’importe comment. Et si tout n’est pas mis en œuvre pour que la participation soit maximale, l’outil pourrait être inutile ou mal utilisé. Les adjectifs "populaire" et "participatif" laissent croire que les projets qui s’en réclament visent un rapprochement avec les citoyens, une meilleure prise en considération de ce qui leur importe. C’est d’ailleurs autour de la possibilité d’expression de voix différentes de celles qu’on a l’habitude d’entendre dans l’espace public que réside la promesse de "démocratisation de la démocratie" contenue dans l’idée de participation. Autrement dit, si rien n’est mis en place, le risque est de ne voir s’exprimer que ceux qui s’engagent déjà habituellement. Car une participation requiert des exigences minimales. Pour pouvoir s’exprimer dans une consultation populaire, il faut être capable de lire. Et pour en avoir envie, il faut y avoir été sensibilisé. Si la participation veut contribuer à l’idéal démocratique, elle ne peut pas se limiter à recueillir les voix déjà apprêtées et rompues au débat public, habituellement écoutées et parfois prises en compte. Or dans les travaux classiques réalisés sur la question de la consultation populaire, on voit clairement qu’il n’y a pas grand monde qui vient…
En quoi est-ce un problème ?
Les déceptions et amertumes nées de cette promesse non tenue de la participation, couplées à un accroissement des inégalités sociales, nourrissent les populismes réactionnaires. Contre les réponses démagogiques et élitistes, un crédit réel doit être accordé au présupposé d’égalité des citoyens qui fonde nos sociétés.
Alors comment s’assurer une réelle participation citoyenne ?
Il faut déjà commencer par admettre ce caractère excluant, ne pas être dans le déni ou fermer les yeux sur cette exclusion. C’est la condition minimale pour pouvoir y remédier. Ensuite, il faut travailler, comme le font d’autres institutions, à créer globalement un vrai climat d’engagement démocratique, créer des activités qui préparent les gens à participer. Ce qui nécessite un engagement institutionnel fort. Une communauté démocratique qui attend de ses membres certaines qualités est en devoir de les cultiver. C’est l’une des missions dévolues aux bibliothèques, centres culturels et autres associations d’éducation permanente. Ou, encore, au futur cours de citoyenneté.
Seulement, tout cela coûte de l’argent… Mettre sur pied une consultation populaire aussi, d’ailleurs. Si l’outil reste une coquille vide, ne serait-ce pas beaucoup d’argent gaspillé ?
Alors que la Fédération Wallonie-Bruxelles fait régner le doute sur le financement des institutions que je vous ai citées en exemples, je me demande ce qui rendra possible la réappropriation populaire de l’espace public au service de laquelle la consultation, elle aussi populaire, n’est qu’un outil. Sans personne pour le faire fonctionner, il y a peu de chances qu’il produise la moindre avancée démocratique.
NON
Christophe Collignon, député à la Région wallonne. Député au parlement de la FWB. Président du groupe PS (Région wallonne).
Nous ne sommes pas, nous politiques, des élites qui avons à coup sûr raison. Il est important, entre deux scrutins, qu’on se reconnecte parfois avec la volonté des gens. Prendre leur avis apparaît comme un vrai plus dans l’expression citoyenne. La Wallonie est la première Région du pays à mettre en place un tel dispositif innovant et elle n’a aucune leçon de gouvernance à recevoir d’aucune autre Région.
Pourquoi installer un système de consultation populaire en Wallonie ?
On sent que notre démocratie représentative doit se réinventer un peu. Entre deux scrutins où le citoyen va se déplacer aux urnes pour voter, reprendre son avis apparaît comme un vrai plus dans l’expression citoyenne. On a saisi l’opportunité qu’offrait la dernière réforme de l’Etat, d’organiser à l’échelle de la Région wallonne une consultation globale sur de grands thèmes touchant le citoyen.
N’est-ce pas ajouter une couche de confusion sur la démocratie élective, voire dénigrer le travail des députés élus ?
Je suis surpris de cette question vu que vous êtes régulièrement prompt à accuser les politiques de faire les choses entre eux ou de considérer que les gens n’ont pas leur mot à dire. Non, nous ne sommes pas, nous politiques, des élites qui avons à coup sûr raison. Il est important qu’on se reconnecte avec la volonté des gens. On introduit donc ce mécanisme de démocratie directe où le citoyen va pouvoir peser sur le débat politique, au-delà des élections habituelles qui, dans notre système proportionnel conduit à des compromis. C’est bien complémentaire. Nous ne versons pas dans le système suisse où ses votations tous les deux mois mettent quelquefois la Suisse en difficulté par rapport à des traités signés. Non, en Wallonie, nous avons trouvé un bon point d’équilibre.
Vu le difficile contexte budgétaire actuel, affecter des moyens humains, organisationnels et financiers dans la mise en place de consultations populaires, est-ce bien opportun ?
Oui, la démocratie vaut la peine qu’on s’en occupe. Et pour s’en occuper, il existe déjà une institution qui fonctionne, le greffe du Parlement wallon. Cela coûtera, oui, comme chaque fois qu’on organise une élection. La consultation locale à Namur avait son coût. Le budget de la Région wallonne est de 13 milliards d’euros. Le coût d’une consultation est, proportionnellement, infime. C’est une question d’échelle de valeurs.
L’accord politique pour la mise en place de cette consultation populaire réunit le PS, le CDH et le MR. Ecolo, lui, veut encore aller plus loin dans un système de démocratie participative. Vous comprenez ?
C’est un décret qui nécessite une majorité qualifiée. Faire un pas vers l’autre, c’est un compromis. Et toutes les sensibilités doivent s’y retrouver. Et le problème d’Ecolo est toujours le même : vouloir avoir raison tout seul. On peut être les plus beaux idéologues de la terre, à un moment, il faut du concret, il faut qu’un texte aboutisse. Je n’aime pas qu’ils laissent croire que rien n’existe chez les autres. Je suis très ouvert à la démocratie participative. Bourgmestre à Huy, j’ai plaisir de travailler avec un des premiers conseils communaux des enfants, avec un conseil consultatif des aînés énergique, un conseil au niveau de l’urbanisme et des comités d’accompagnement dans les grands projets.
Une des critiques adressées au système de démocratie participative est qu’elle privilégie les citoyens les plus instruits et militants - surreprésentés donc - au détriment des gens les plus défavorisés.
Si vous connaissez des dispositifs parfaits, n’hésitez pas à me les indiquer. On met en place celui-ci qui est intéressant et prometteur. Il fera sans doute ses maladies de jeunesse et on le corrigera le cas échéant, toujours pour le bienfait de notre démocratie.
Contrairement à la France ou la Suisse, une consultation populaire en Wallonie n’accoucherait que d’un avis, en rien contraignant pour le politique qui pourrait s’asseoir dessus. N’est-ce pas in fine de la poudre aux yeux ?
D’abord, la constitution belge ne prévoyant pas de référendum, aucune consultation ne peut être liante. Ensuite, à partir du moment où 60 000 personnes - le seuil fixé pour initier une consultation - s’expriment sur un sujet, c’est un signal politique important sur lequel je vois mal notre Parlement s’asseoir. Ce n’est absolument pas de la poudre aux yeux. La Wallonie est la première région du pays à mettre en place un tel dispositif innovant d’expression citoyenne et elle n’a aucune leçon de gouvernance à recevoir d’aucune autre région.