Doit-on interdire l'usage des trottinettes en libre service?
À compter de ce premier septembre elles sont interdites à Paris. Bruxelles doit-elle suivre cet exemple? Les avis sont partagés.
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/L63JQBW6LNGE7IPE454BXBTFNM.jpg)
- Publié le 01-09-2023 à 11h02
:focal(2213.5x1468:2223.5x1458)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/K5LPN6UQS5F4VI4BDBEWXS3DTU.jpg)
À Paris, depuis ce vendredi, les trottinettes électriques partagées sont interdites. Bruxelles et les autres villes du pays devraient-elles suivre cet exemple ? Le débat s’articule autour de la question du déploiement de ces trottinettes, de l’encombrement des trottoirs, de la dimension esthétique, mais également de la sécurité de ce moyen de transport et de son coût écologique. En Belgique, pour l’instant, l’option n’est pas à l’interdiction mais à un encadrement. Un premier tour de vis législatif fut opéré en 2022. Depuis, il est interdit de les utiliser sur le trottoir, de les conduire à plusieurs ou si on a moins de 16 ans. Selon Vias, ces modifications de la loi ont permis de réduire le nombre d’accidents. En 2021 Vias a compté 1034 accidents avec lésion et 4 décès. Mais l’institut souligne cependant que la probabilité d’avoir un accident en trottinette est largement supérieure à la probabilité d’en avoir un à vélo. Dans ce contexte, Bruxelles va encore serrer la vis . La Région compte réduire à maximum 8 000 le nombre de trottinettes (suite à un appel à projet), avec une limitation à 20 km/h et des zones de parking obligatoires.
“Elles sont une formidable opportunité pour la mobilité”
L'avis de Marien Jomier, Directeur Dott Europe du Nord
Ce 1er septembre, la trottinette électrique aura disparu des rues de Paris. Nous, Dott, souhaitons préserver les Belges de cette interdiction radicale qui s’inscrit en contradiction avec la majorité des métropoles européennes soucieuses de fournir des alternatives à l’omniprésence des voitures, d’autant que 7,1 utilisateurs sur 10 s’avouent satisfaits de ce nouvel outil de mobilité urbaine, à la fois silencieux et bien plus écologique que les véhicules à moteur thermique, alors que la pollution coûte chaque année plus d’un milliard aux Bruxellois.
Le nombre d’utilisateurs des trottinettes partagées est en constante augmentation. Elles permettent aux citadins et aux navetteurs de se déplacer librement dans la ville, y compris dans des zones peu ou pas desservies par les transports publics.
La mobilité à Bruxelles, capitale de l’Europe, est depuis toujours un chef-d’œuvre de complexité. Les lecteurs seront à nos côtés lorsque nous affirmons que les 90 heures perdues chaque année par les Bruxellois dans les bouchons représentent l’une des principales sources de démotivation ou de frustration dans leur mobilité quotidienne. Osons reconnaître que la trottinette constitue une partie de la solution pour la décongestion des centres-villes. Si on y ajoute la suppression constante des places de parking, autre problème très récurrent, la trottinette présente de sérieux atouts pour se déplacer qu’on soit étudiant, salarié ou chef d’entreprise. À Bruxelles, rappelons que 15 millions de trajets ont été effectués en trottinette en 2022 et 62 % d’entre eux concernent les déplacements domicile-travail.
Par ailleurs, pour échapper à l’augmentation des prix des carburants et faire un geste pour la planète (les trottinettes ont une empreinte écologique 3 à 4 fois moins polluante qu’un trajet en voiture), la trottinette électrique a plus d’un atout. Osons donc considérer les trottinettes comme un service public de mobilité à part entière, à ceci près qu’elles ne coûtent pas un centime aux contribuables !
La sécurisation et la responsabilisation des usagés nous mobilise inlassablement. Et nos actions de sensibilisation sont récompensées avec une diminution des accidents de 35 % à Bruxelles au premier semestre 2023, tordant ainsi le cou à la légende que les trottinettes seraient accidentogènes.
L’appel à candidature en cours devrait en outre permettre d’en réguler leur nombre. Actuellement, 20 000 trottinettes occupent l’espace public et elles ne seront plus que 8 000 à partir du 1er janvier 2024. La gestion du stationnement va s’avérer cruciale. Nous sommes tous bien conscients que le statu quo est impossible et ce sentiment de jungle urbaine ne peut plus durer. Nous, Dott, sommes demandeurs d’un dialogue constructif avec les élus. Nous souhaitons également collaborer davantage avec l’ensemble des acteurs en charge de la mobilité en leur faisant profiter de nos données d’usages accumulées depuis quatre années. Imposer des décisions verticales non concertées serait une revanche de la méconnaissance. C’est la concertation qui permettra de répondre à toutes ces questions, sans a priori et sans préjugé. Tous ces objectifs, tous ces défis, exigent de la cohérence et du courage politiques.
Les temps changent et personne, y compris les plus sceptiques, ne pourra nier que la hiérarchie des rapports de force entre les différents moyens de transport est en train de basculer et que de nouvelles habitudes sont en train de se dessiner. Quel autre moyen de transport peut se targuer d’avoir révolutionné si vite et si fort la mobilité en centre urbain ? Considérons donc les trottinettes partagées comme une formidable opportunité et, tous ensemble, clarifions les conditions d’une implémentation responsable en établissant un dialogue pragmatique. Ce sera la clé d’une mobilité apaisée où chacun trouvera sa place.
Ces dernières semaines, les opérateurs de trottinettes partagées affrontent la pire chaîne d’avanies et de contre-vérités sans qu’ils puissent y répondre. Le brouhaha médiatique étouffera-t-il la volonté réformatrice de la mobilité dans les centres urbains ou sera-t-il, au contraire, source d’une détermination renforcée pour réguler et encadrer l’utilisation de ces nouveaux moyens de transport qui sont chaque jour plébiscités par des milliers d’utilisateurs ? Nous, Dott, avons la certitude que lorsqu’on sert l’intérêt général, l’impopularité d’un jour peut devenir l’estime du lendemain.
"Il sera toujours préférable de privilégier la marche ou le vélo"
L'avis de Jean Mansuy, chargé de Mission mobilité chez Canopea (la fédération des associations environnementales)
Depuis juillet 2022 de nouvelles règles sont entrées en vigueur régissant l’usage des trottinettes électriques. Ces règles limitent cet usage aux personnes de plus de 16 ans. Le déplacement à deux et sur les trottoirs a été interdit, et différentes zones de stationnement ont été précisées.
L’instauration de telles règles fait suite aux nombreux conflits d’usage liés au partage de la voie publique qui se sont multipliés avec l’apparition de ces trottinettes dans nos rues. Et la question d’une interdiction de ces trottinettes partagées tient notamment à ces raisons d’usage et de sécurité. Néanmoins, un enjeu assez peu discuté est celui de l’impact environnemental de ces nouveaux modes de déplacement. Ces trottinettes sont-elles vraiment écolo ?
Différents critères sont à prendre en considération pour répondre à cette question. Le premier est la durée de vie de ces trottinettes. Or, plusieurs études ont montré que la durée de vie des trottinettes partagées (souvent malmenées et victimes de vandalisme) est plus faible que celle des trottinettes individuelles. En 2020, une étude évaluait à 7 mois et demi la durée de vie des trottinettes partagées à Bruxelles. Au dire des entreprises du secteur, cette durée de vie tend cependant à augmenter.
La deuxième raison avancée pour expliquer l’impact écologique plus important des trottinettes partagées que celui des individuelles vient du mode de recharge utilisé. Les trottinettes partagées sont généralement collectées en camionnette (souvent diesel) par des « juicers » en vue d’être rechargées. Ce système de recharge représente une part très importante de l’impact environnemental des trottinettes en libre-service (43% des émissions de gaz à effet de serre dans l’une étude américaine). De plus, la collecte des trottinettes a également un impact social non négligeable, les juicers étant généralement sous statut d’entrepreneur indépendant. Là aussi, il convient de nuancer ce point : de plus en plus d’entreprises ont désormais recours à des services cyclologistiques.
Malgré ces limitations, l’utilisation d’une trottinette électrique reste plus écologique que celle d’une voiture individuelle. On pourrait donc supposer qu’à l’échelle de la société, l’adoption de la trottinette électrique induise une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Malheureusement les choses ne sont pas si simples que cela, l’impact réel de l’adoption de la trottinette électrique dépendant d’un autre facteur : le report modal.
En effet, en vue d’évaluer l’impact du développement de la trottinette électrique, il importe non pas d’en analyser son impact environnemental « absolu », mais bien son impact « relatif », c’est-à-dire en comparaison des modes de transport que celle-ci remplace. Ainsi, bien que la trottinette électrique émette moins de gaz à effet de serre lors de son cycle de vie qu’une voiture, elle en émet plus que les moyens de transport par rail (train, tram, métro) et le vélo. Remplacer ces pratiques par l’utilisation de la trottinette (ce qui est majoritairement le cas selon une étude de Bruxelles Mobilité de 2019), revient donc à augmenter les émissions totales de gaz à effet de serre.
Notons aussi que les trottinettes personnelles tendent à remplacer significativement plus (44% contre 26%) l’usage d’un véhicule motorisé personnel. Ainsi, selon l’étude de Moreau et co-auteurs de 2020, dans le cas de Bruxelles, les trottinettes électriques partagées participent à augmenter les émissions de gaz à effet de serre (émettant 21g de CO2-eq par passager-kilomètre de plus que les moyens de transport qu’elles remplacent), tandis que les trottinettes individuelles ont un impact relatif positif (émettant 50g de CO2-eq par passager-kilomètre de moins que ce qu’elles remplacent).
En conclusion, afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre, il importe donc d’éviter d’utiliser ces trottinettes pour des trajets non utiles. De plus, il sera toujours préférable de privilégier la marche ou le vélo, qui sont des alternatives crédibles sur les distances parcourues en trottinette électrique. Ce n’est que lorsqu’elle remplace la voiture que la trottinette électrique partagée présente un atout écologique.
Enfin, si vous souhaitez vraiment utiliser la trottinette comme moyen de transport, il est souvent plus écologique d’opter pour l’achat d’une trottinette plutôt que pour l’utilisation d’un système de partage