Pourquoi cinq policiers se sont-ils acharnés impitoyablement sur Tyre Nichols à Memphis ?
Les violences policières contre les Noirs américains sont généralement imputées au racisme. Cette fois, c’est une pratique controversée qui pourrait être en cause : “l’interpellation prétexte”.
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Publié le 30-01-2023 à 14h59 - Mis à jour le 30-01-2023 à 15h30
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Les experts qui examinent depuis vendredi les enregistrements de l’intervention policière qui a conduit au décès de Tyre Nichols, un père de famille de 29 ans, à Memphis dans le Tennessee, sont partagés entre indignation et incompréhension. D’ordinaire, ce genre de bavure est facilement imputé au racisme qui imprègne toujours l'Amérique et sa police en particulier, parce que les agents sont blancs et les victimes sont noires. Mais, dans le cas présent, les cinq policiers désormais inculpés de meurtre sont noirs comme le jeune automobiliste qu’ils ont battu à mort.
Une tentative d’explication est fondée sur une pratique controversée de la police qu’on appelle le “pretextual stop” : l’interpellation prétexte. Elle consiste à arrêter un automobiliste pour une infraction mineure qui, en soi, ne le justifierait pas nécessairement. Mais la répression d’un stop grillé, de phares mal réglés ou d’un léger excès de vitesse permet de vérifier si le conducteur n’est pas recherché ou s’il ne transporte pas de la drogue, par exemple.
Dans les quartiers sensibles
Ce type de contrôles est fréquent notamment à proximité de la frontière mexicaine (nous en avons fait l’expérience), mais aussi dans les zones sensibles des grandes villes américaines. Or, les cinq policiers incriminés appartenaient à une unité spéciale créée en 2021 pour patrouiller dans des quartiers de Memphis où la criminalité est en hausse. Elle était baptisée Street Crimes Operation to Restore Peace in Our Neighborhoods (Scorpion – un acronyme que l’on peut trouver pour le moins malheureux). Elle a été dissoute dimanche.
Le problème, dans ces interventions, c’est que les policiers s’attendent généralement à tout sauf à un banal échange à propos du prétexte de l’interpellation. Se préparant au pire, ils sont d’emblée sous tension, et d’autant plus qu’ils redoutent que l’automobiliste arrêté ou ses passagers éventuels soient armés. Raison pour laquelle le premier conseil que l’on donne à un nouveau conducteur aux États-Unis est, en cas de contrôle, de toujours garder les mains bien visibles sur le volant pour éviter tout malentendu. Et, bien sûr, d’obtempérer aux injonctions sans hésitation ni résistance.
Une question de survie
La moindre méprise sur les intentions de la personne interpellée peut très vite dégénérer et parfois virer au drame, comme en témoignent souvent les vidéos des arrestations qui ont mal tourné. Le stress est d’autant plus intense que les policiers se savent en danger dans un pays où les armes à feu circulent librement. L’idée fixe est alors, pour eux, de prendre le dessus sur ceux à qui ils sont soudainement confrontés – coûte que coûte, quand ils ont l’impression que leur vie peut en dépendre.
Une peur panique peut inspirer des comportements inadéquats à la personne arrêtée (comme une tentative de fuite dans le cas de Tyre Nichols), mais un sentiment de vulnérabilité peut tout autant commander des comportements incohérents chez les policiers. Le “New York Times” a calculé qu’en cherchant à maîtriser Nichols, les cinq agents ne lui ont donné pas moins de 71 ordres en treize minutes, le plus souvent simultanés et contradictoires, comme de se coucher alors qu’il était déjà plaqué au sol, ou de présenter ses mains, alors qu’elles étaient immobilisées.
Nouvel incident de parcours
L’impossibilité dans laquelle se trouve le prévenu de réagir correctement aux sommations ne fait qu’attiser la frustration et l’anxiété des policiers, tentés de surenchérir dans la violence pour parvenir à leurs fins, ou pour évacuer leur nervosité. C’est probablement une façon d’expliquer pourquoi les cinq agents se sont acharnés sur Nichols avec une sauvagerie inconcevable, lui assénant sur tout le corps des coups qui n’avaient plus rien à voir avec les méthodes admises dans la profession. La scène a dès lors tourné au règlement de compte et au pugilat, sortant totalement du cadre normal d’une intervention policière.
Pour Cerelyn Davis, qui est la première femme à diriger la police de Memphis, cette tragédie au parfum de scandale est aussi un nouvel embarras dans une carrière qui avait été marquée, en 2008, alors qu'elle travaillait dans la police d'Atlanta, par un limogeage pour avoir prétendument fait obstruction à une enquête visant le mari d'une collègue. La décision avait, toutefois, été cassée par la justice et cette Afro-Américaine aujourd'hui âgée de 62 ans avait continué à gravir les échelons. Elle avait publiquement réclamé une réforme de la police après la mort de George Floyd à Minneapolis en 2020.