"Un jour de février 2021, je me suis rendu compte que quelque chose ne tournait pas juste dans ma tête"
”Mon prénom, c’est Réal. Je suis réaliste, mais aussi optimiste. En tout cas pas pessimiste”. À quoi bon… explique cet homme diagnostiqué malade Alzheimer à l’âge de 56 ans. Cette rencontre s'inscrit dans notre série "Mots pour maux".
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Publié le 15-05-2023 à 12h18 - Mis à jour le 15-05-2023 à 12h36
Le pas de la porte de sa très proprette maison de Ypres à peine franchi, le ton nous est donné : “J’ai mis la guitare dans le hall d’entrée pour ne pas oublier de vous dire que j’avais commencé à en jouer”. Oublier, c’est aujourd’hui le principal problème de Réal Larnou, cet homme qui a encaissé le diagnostic de maladie d’Alzheimer il y a deux ans. Il avait alors 56 ans, un âge encore bien jeune pour apprendre que l’on est touché par la forme de démence la plus répandue, pourrait-on légitimement penser. Mais l’ancien directeur d’agence bancaire hausse les épaules. “Non, il y a des gens qui en sont atteints à 34 ans”, nous fait-il très justement remarquer, comme s’il devait s’estimer heureux de ne pas avoir été touché plus tôt par cette terrible affection qui ronge le cerveau.
Se console-t-il ? Est-il dans le déni ? Fataliste ? Ou, tout simplement, optimiste ? “Mon prénom, c’est Réal, nous rétorque-t-il avec un léger sourire qui annonce la suite. Je suis réaliste. Mais aussi optimiste. En tout cas pas pessimiste. Il y a deux manières de voir. On peut se concentrer sur les choses positives. Ou alors, sur les choses négatives. J’ai choisi la première option. C’est, pour moi, la seule possibilité de vivre avec cette maladie”.
Une erreur lui met la puce à l’oreille
Dès l’annonce du diagnostic, du jour au lendemain, il décide d’arrêter l’activité professionnelle qui l’occupait depuis plus de 30 ans à la KBC. C’est ce travail - ”trop stressant quand on a la maladie d’Alzheimer” – qui lui a précisément mis la puce à l’oreille. “C’était en 2021, je me suis rendu compte que quelque chose ne tournait pas juste dans ma tête, nous confie-t-il. Mon job consistait à accorder des prêts à des agriculteurs pour acheter des terres ou des tracteurs, par exemple. Et, pour la première fois, en visite dans une ferme, j’ai fait une erreur. C’était en février 2021. Un collègue m’avait aussi fait remarquer que je n’étais plus 'le Real' qu’il avait connu”.
C’est alors qu’il décide d’aller consulter un neurologue et se soumet à tous les tests de dépistage. Le diagnostic est posé le 1er juillet 2021. Cette date, il s’en souvient. Tout comme de cette sortie maladroite de son neurologue de l’époque : “Carpe diem”. Il lève les yeux au ciel : “Comme s’il voulait me dire : profite tant que tu es encore là…”.

Des symptômes d’Alzheimer déjà présents
De cette maladie, Réal avoue ne pas connaître grand-chose au moment où il apprend en être atteint. Depuis, il a beaucoup lu et appris. “C’est en lisant que je me suis rendu compte qu’en réalité, je souffrais déjà de symptômes depuis un certain temps”, remarque-t-il.
Par exemple ? “Des difficultés à m’orienter en voiture lors de trajets connus, le besoin de me concentrer pendant 5 à 10 minutes pour certaines tâches, des automatismes que je n’arrivais plus à reproduire… J’ai alors fait le lien avec la maladie d’Alzheimer qui avait bel et bien débuté”.
Le diagnostic, presque un soulagement
Moins qu’un coup de tonnerre, c’est presque un soulagement pour lui de savoir ce qui ne tournait pas rond, de mettre un mot sur le mal qui le tourmente, “cette vilaine petite bête qui est dans mon cerveau…”.
”Pour ma femme, Dolorès, cela a été plus dur d’accepter, nous dit-il. Pour nos enfants aussi. Moi, je ressentais que quelque chose n’était pas normal dans ma tête. Mais elle, eux, non”.
Aujourd’hui, à un stade encore débutant de la maladie, le quinquagénaire souffre essentiellement de pertes de mémoire, “la mémoire courte, insiste-t-il. Car tout ce qui s’est passé il y a vingt ou trente ans, pas de problème”. Alors, pour s’aider, il appose des “post-it” un peu partout. “Bientôt, il faudra que je tienne un cahier.“
Craint-il l’avenir ? “Pas spécialement, répond-il. Ma femme prend tous les jours la voiture pour aller travailler à Courtrai. Elle peut faire un accident. Moi, ce sera Alzheimer”. Comme s’il faut bien mourir de quelque chose.

Pas de traitement d’Alzheimer pour l’instant
En attendant, Réal a choisi de ne prendre aucun traitement pour tenter de freiner la maladie. “Non, aucun médicament pour l’instant. Je crains les contre-indications”. Néerlandophone, il marmonne le mot en flamand, le cherche en français : “des gonflements dans le cerveau”, suggère-t-il. Des hémorragies ? “Oui, ça me fait peur. Et comme ça va bien pour le moment, je préfère ne rien prendre”.
L’évolution, il la juge “lente”. Pour autant, il nous dit faire tout ce qu’il peut pour la ralentir. “Je reste très actif. Tous les matins, je mets mon réveil à 6h25. Je bouge beaucoup. Presque tous les jours, je vais me promener, à pied ou à vélo. Je rencontre des gens ; le contact social, c’est important. J’ai arrêté de boire beaucoup de lait et de manger trop de beurre parce que j’ai lu que ce n’était pas bon. J’évite les sources de stress. Je m’occupe. Je fais à présent la vaisselle, les lessives, le repassage. Je jardine. J’aime vivre, mais cela ne veut pas dire que je fais des choses extraordinaires pour autant”.

Pas une poussière qui traîne dans son intérieur, pas un objet qui ne soit en place, pas une herbe qui dépasse dans la pelouse : tout est impeccablement rangé, nettoyé, soigné dans cette maison qu’il habite aujourd’hui avec son épouse.
Clairement, les activités ne manquent pas. Sans oublier que Réal s’est mis à la guitare. “Je vous joue un petit morceau, si vous voulez ?”. En réalité, c’est lui qui veut. Et, bien sûr, à peine a-t-on dit 'oui' que le voilà déjà en place, à gratouiller “L’Hymne à la joie”…
Lui est-il arrivé de faire des choses totalement farfelues, déplacées, voire incongrues en raison de la maladie, comme “mettre ses clés de voiture au frigo”, lui suggère-t-on ? “Non, affirme-t-il sans hésitation, heureusement pas encore”. Avant d’ajouter en riant de lui-même : “Ou alors, j’ai oublié”.
Mots pour maux
A travers "Mots pour maux", La Libre a choisi de donner la parole à des personnes affectées par des maladies diverses, tant physiques que mentales, courantes ou rares. Des rencontres qui ont pour objectifs de comprendre leur quotidien, leurs difficultés et espoirs, de partager leur regard sur l'existence. Une manière aussi de rappeler que nul n'est à l'abri de ces accidents de la vie. Cette série est à retrouver un lundi sur deux sur notre site.
