Rideau sur les 36es Rencontres théâtre jeune public à Huy, menées de main de maîtresse
Une année dense et à la hauteur de toutes les espérances. Avec beaucoup de femmes à la barre.
- Publié le 24-08-2021 à 21h00
- Mis à jour le 24-08-2021 à 21h01
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/3IWWE3ZU2ZGMZKAF32EEXQMUIY.jpg)
Quand des Rencontres s'achèvent par un coup de foudre, des applaudissements nourris et une salle émue aux larmes comme à l'issue des représentations intenses de C'est ta vie par la Cie 3637 qui raconte le corps qui change, l'enfance qui s'en va et l'arrivée des premiers émois, les festivaliers s'en retournent heureux d'avoir participé à ces foisonnantes retrouvailles. Ils souhaitent surtout que le jeune public ait accès le plus rapidement possible aux créations qui viennent d'être présentées à Huy, après des mois de confinement. Le théâtre leur a tant manqué. Et la besace des quelque 300 programmateurs, belges et étrangers, venus faire leur marché aux Rencontres théâtre jeune public, orchestrées comme chaque année par l'équipe de choc de la Province de Liège, déborde de produits du terroir, semés avec amour et surtout mûris, au soleil, ou pas.
Les créations ont eu le temps de se poser et de s'installer pour arriver fin prêtes à Huy. Il en résulte des étals fournis et une récolte de qualité - malgré l'absence de sélection cette année - qui ravira tant les papilles, surtout au Dîner déjanté et circassien de Doble Mandoble, que les pupilles et le creux de l'oreille.
Le conte, cette forme la plus épurée, ancestrale et parfois contemporaine du théâtre, qui de l'arbre à palabres au bord de la rivière, a traversé l'espace et le temps, s'est en effet montré sous son meilleur jour avec des récits comme Jean de Fer, traditionnel mais merveilleusement raconté et chanté, très actuel comme celui tenu par Mélancolie Motte, sans doute l'une de nos meilleures conteuses, ou revisité avec avec intelligence par Pan ! La compagnie qui, dans Chèvre/Seguin/Loup, donne la parole aux enfants en amont et en aval de cette montagne si dangereuse pour la fougueuse Blanquette. L'autrice et metteuse en scène Julie Annen imagine surtout un loup désireux de maîtriser ses instincts carnivores. Un petit pas de la culture à la nature. Laquelle des deux l'emportera ? Vous l'apprendrez en emmenant vos enfants frémir au théâtre cet hiver.
Une invitée de marque
La nature fut elle aussi l'une des invitées de marque, qu'elle soit sensorielle comme dans La Mer par le Foule Théâtre ou avec le collectif Les Alices et Sur le chemin, j'ai ramassé des cailloux. Ou encore exemplaire comme dans C'est qui le plus fort ? de la nouvelle équipe des Ateliers de la Colline, qui promet une belle relève.
Ces manières intelligentes, diverses et détournées de célébrer la nature aideront peut-être à se protéger contre l’angoisse des derniers mois qui ont traumatisé les enfants plus qu’on le croit. Le Covid fut pourtant le grand absent de ces Rencontres. Il arrivera sans doute plus tard, le temps que les artistes l’infusent et le diffusent autrement que les médias.
Besoin d’histoires
Pour l'heure, et tel un réflexe salutaire, c'est surtout le besoin de raconter des histoires qui l'a emporté à Huy. De belles et vraies histoires, bien construites qui nous mènent au bout du monde et de nos rêves comme ce cher Georges Poisson de la Cie Arts et Couleurs et son merveilleux voyage en théâtre d'objet. Comme encore Agora, nourri à cette envie, cette nécessité de livrer un vrai récit, avec un sens de la théâtralité inscrite dans son ADN et une physicalité à toute épreuve. Du théâtre total visuel, musical et gestuel pour partir tous ensemble À la poursuite de l'oie sauvage. Ou ce petit Air de Chelm, dans un village de montagne où l'absurde règne en maître.
La danse fut elle aussi bien présente avec trois franches réussites, du lumineux Llum de Nyash à l'espiègle et pop rock Ballon bandit de l'Inti ou à l'introspectif Mike de l'Evni, d'une remarquable sincérité qui touchera tous les adolescents.
De l’objet à la marionnette, en passant par une forme plus traditionnelle, on a même vu des histoires racontées à partir de dentiers ou de chaussures, un homme accoucher d’un bébé, une diva haute de trois mètres, un Roméo et Juliette rock’n roll et une trilogie d’Eschyle trash et sanguinolente dans une caravane installée au pied de l’Olympe.
Preuve, une fois de plus, de la grande diversité de ce théâtre jeune public mené de main de maîtresse par une poignée de femmes à la barre de 37 spectacles sur 52, qu’elles soient à la mise en scène ou à l’écriture. La parité est ici plus que respectée. À moins que les secteurs de l’enfance, qu’il s’agisse de l’enseignement ou du théâtre, intéressent prioritairement les femmes…
Découverte sauvage
Quoi qu'il en soit, ces artistes, femmes ou hommes, ont des choses à dire et les disent bien, comme nous le confirme Jean-Noël Matray, programmateur au regard aiguisé pour Côté Cour, scène conventionnée jeune public en France sur la Bourgogne Franche-Comté et pour la Ligue de l'enseignement. Il ne rate plus une édition des Rencontres depuis qu'il a parcouru, à la fin des années 1980, 1200 kilomètres pour voir un spectacle, Pinceau par La Guimbarde.
"La découverte a été sauvage. Je n'imaginais pas une création aussi intelligente. On vient d'assister à une édition très riche. J'ai vu au moins 15 spectacles de qualité recevable, avec un bon niveau d'interprétation, des comédiens qui savent parler, chanter, se déplacer. Et si on n'assiste plus à des spectacles aussi puissants que ceux de la Galafronie, d'Agora, du Tof ou d'Agnès Limbos à une certaine époque où je programmais tout un festival avec quasiment rien que du théâtre jeune public belge, celui-ci garde aujourd'hui une manière directe de parler des choses en les nommant avec une réelle inventivité. Et puis il y a une bienveillance et une convivialité qui m'émeuvent chaque fois, comme lors du karaoké où l'on voyait les programmateurs, artistes, régisseurs et autres festivaliers heureux de chanter ensemble. Cela fait aussi partie des Rencontres."
Enseignante puis secrétaire dans l'enseignement spécialisé, poisson pilote pour la Montagne magique, Dominique Simon arpente aussi les Rencontres de Huy chaque année avec autant d'exigence et de passion. "Le théâtre nous a manqué, l'an dernier. On réalise à quel point c'est important pour les enfants et l'on sait que, dans une école comme la nôtre, si on ne les y emmène pas, ils n'iront pas d'eux-mêmes. Ils doivent sortir. Ils ne peuvent pas rester enfermés toute l'année. Ils ont besoin, comme les adultes, de s'émerveiller, et ce d'autant plus dans la situation difficile que nous venons de vivre."
L’aventure d’aller au théâtre
Et qu'apporte le théâtre aux enfants, selon elle ? "Une forme d'éducation à l'écoute, au respect. C'est toute une aventure d'y aller. On y va à pied, il faut du savoir-être, apprendre à respecter le travail des artistes car il s'agit d'art vivant. C'est aussi une ouverture sur le monde et cela peut développer des vocations artistiques. On apprend autant en chantant, dansant et jouant qu'en additionnant les chiffres. Dans les écoles, seuls comptent les mathématiques et le français. C'est dommage… De plus, tout se passe aujourd'hui à travers les TVI (tableaux visuels interactifs). Plutôt que de sortir, on montre un film aux élèves. Cela s'est encore accru avec le confinement. J'espère que les enseignants réaliseront qu'il importe de sortir."
La confusion de leurs sentiments
Les belles découvertes se sont succédé jusqu'à la fin des Rencontres théâtre jeune public, sous des formes parfois inattendues, elliptiques et délicates comme dans Marta broie du bleu de la nouvelle compagnie Lichen. Un spectacle d'une écriture singulière signée Roxane Lefebvre et Laura Durnez, pour sa part également à la mise en scène.
Assise dans la pénombre, toute de bleu et noir vêtue, une jeune fille semble prier ou lire et pleurer. Des perles bleues envahissent le plateau, les larmes roulent de plus belle avant que la colère l’emporte, la sorte de ses gonds, l’habille de rouge et l’incite à virevolter.
Peu à peu, la lumière entre dans sa vie comme la ronde des saisons, de l’automne à l’été soleil, au mélange final de toutes les couleurs entre elles, à la liberté d’être et de dire, son amour peut-être trop longtemps tu, cette envie de présence, cette amitié pour cette autre jeune fille, complice de l’ombre, d’un jour ou de toujours. Chacun interprétera.
It's a new day chante alors Nina Simone dans ce voyage sans parole et sensible à travers les couleurs et les émotions qui ne se disent pas toujours facilement mais peuvent se vivre et se danser dans l'intimité d'une mise en scène qui touchera les âmes avant les esprits. L'un des beaux défis du théâtre jeune public qui aide les enfants à mettre des mots, des pas, des images et des sons sur la confusion de leurs sentiments.
Les Prix de Huy
C'est qui le plus fort des Ateliers de la Colline et Détester tout le monde du Rafistole théâtre prix de la ministre de la Culture (2 500 €).
C'est ta vie de la Cie 3637, prix de la ministre de la Jeunesse (2 500 €) et coup de foudre de la presse.
Mike de l'Evn i Prix de l'enseignement secondaire (2 500 €) et coup de cœur de la presse.
Un petit air de Chelm du Mic Mac théâtre , prix de l'Enseignement fondamental (2 500 €).
Sur le chemin j'ai ramassé des cailloux du Collectif Les Alices , prix de la ministre de l'Enfance (2 500 €) et coup de cœur de la presse.
Stream dream de Turba ASBL , prix de la Province de Liège (2 000 €).
Amanda et Stéphano du Théâtre du Sursaut , prix de la Ville de Huy (500 €).
Lili sous la pluie du Kusf i, prix Kiwanis de 1 250 €.
Llum de Nyas h , coup de cœur de la presse.
Carcasse de la Guimbarde , coup de cœur de la presse.