L’Europe accélère sa révolution énergétique pour ne plus être dépendante de la Russie
La Commission européenne a présenté le plan RePowerEU qui doit permettre que l’Union se passe, à terme, des hydrocarbures russes. Faisant d’une pierre deux coups, il doit aussi accélérer le processus de transition énergétique.
Publié le 18-05-2022 à 22h11 - Mis à jour le 21-05-2022 à 07h43
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La guerre déclenchée par Moscou en Ukraine a eu pour effet collatéral une "perturbation massive du marché de l'énergie", qui provoque une flambée des prix, a fait observer le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans en charge du Pacte vert, mercredi à Bruxelles. Les pays de l'Union européenne en sont d'autant plus "directement et profondément affectés" qu'ils sont, à des degrés divers, très dépendants du gaz, du pétrole et du charbon russes, a rappelé le Néerlandais, en présentant le plan RePowerEU.
Celui-ci répond aux circonstances, qui conduisent l'Union à entreprendre, au pas de charge, le travail de réduire cette dépendance jusqu'à l'éliminer, dans le courant de la décennie."En mars, la Commission a avancé qu'il serait possible de le faire. [Les leaders des Vingt-sept ont] décidé lors du sommet de Versailles que cela devait être fait. Aujourd'hui, la Commission montre comment on peut le faire", a insisté le n°2 de la Commission.
Ce paquet doit permettre de faire d'une pierre deux coups, puisqu'il propose aussi d'accélérer la transition énergétique de l'Union, qui s'est déjà engagée à réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre en 2030 et d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. RePowerEU est "le onzième étage construit sur une maison qui en compte déjà dix : le Pacte vert (Green Deal) européen", illustre une source européenne.
Le plan RePowerEU repose sur trois piliers ; économie d'énergie, diversification des sources d'approvisionnement en énergie, accroissement des énergies renouvelables.
1. Une Europe plus économe en énergie
L'énergie la moins chère reste celle qu'on ne consomme pas, insiste la Commission. L'exécutif européen propose ainsi de faire passer de 9 à 13 % l'objectif contraignant d'efficacité énergétique à l'horizon 2030 (par rapport à 2020), fixé par la proposition de directive révisée de 2021, toujours en négociation.
Elle invite par ailleurs les États membres à mettre en place des incitants pour favoriser les investissements dans le domaine de l'efficacité énergétique. Elle cite l'exemple d'un taux TVA réduit pour les systèmes de chauffage très économes en énergie.
RePowerEU dresse également une liste de comportements et de pratiques que les citoyens et les entreprises peuvent adopter pour réduire leur consommation d'énergie. "Chauffer un peu moins ou retarder le moment de faire fonctionner l'air conditionné revient à retirer de l'argent de la poche de Poutine", vend Frans Timmermans. De même que moins utiliser sa voiture ou choisir avec discernement le moment de faire fonctionner les appareils ménagers. Citant les calculs de l'Agence internationale de l'énergie, la Commission avance que de telles mesures permettraient de réduire de 5 % la demande de gaz et celle de pétrole à court terme.
2. Diversification des fournisseurs
Les Vingt-Sept se sont déjà engagés, dans le cadre du 5e paquet de sanctions contre Moscou, à se passer de charbon russe d’ici le mois d’août. Le 6e paquet de sanctions récemment proposé par la Commission prévoit un embargo sur le pétrole russe d’ici la fin de l’année - avec des dérogations pour les plus dépendants. Son adoption se heurte toujours à l’opposition de la Hongrie. Et si la Commission a proposé de réduire de deux tiers sa dépendance au gaz russe d’ici la fin 2022, l’UE n’est pas en mesure de faire entièrement l’impasse sur les livraisons russes (155 milliards de m3 par an livrés par la Russie, en 2021, soit 45 % du gaz consommé dans l’UE).
Le remplacement du fournisseur russe ne se fait pas en un claquement de doigts. Les États-Unis ont annoncé être en mesure d'augmenter de 15 milliards de m3 les livraisons de gaz naturel liquéfié à l'Union et de pouvoir fournir jusqu'à 50 milliards de m3 en 2030. L'UE fait aussi appel à la Norvège, à l'Algérie, au Canada, à l'Azerbaïdjan, à l'Égypte, à Israël, aux pays du Golfe, dont le Qatar…
Le plan prévoit la création d'un mécanisme volontaire à travers lequel les États membres pourraient grouper leurs commandes d'énergie, coordonner l'usage des infrastructures d'importations, de stockage et de transport et négocier avec les partenaires internationaux pour des achats communs de gaz, de GNL et d'hydrogène. "C'est parallèle à ce que nous avons fait pour les vaccins. Le contexte d'achat d'énergie est évidemment très différent, mais le principe est le même." Cette plateforme serait ouverte à l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et les pays des Balkans. Reste que certains États membres, à commencer par l'Allemagne, restent très dubitatifs quant à cette perspective d'achats communs et préfèrent continuer à négocier de leurs côtés.
3. Un risque d'effet pervers des investissements dans les infrastructures ?
L'Europe veut se préparer à une interruption soudaine d'approvisionnement - ce que la Pologne et la Bulgarie ont connu récemment, après que Gazprom a cessé de les livrer parce qu'elles refusaient de payer en roubles, comme l'exige Moscou. Assurer la sécurité d'approvisionnement de tous les États membres en gaz nécessitera la construction de nouvelles infrastructures, comme de nouveaux terminaux pour le GNL, de nouveaux gazoducs pour achever les interconnexions des réseaux. Douze projets d'infrastructures, financés à hauteur de 10 milliards d'euros, viendront s'ajouter aux vingt déjà existants. Par ailleurs, il faudra aussi faire usage de charbon pour compenser la réduction de la consommation de gaz.
Ces investissements font craindre aux Verts et aux ONG environnementalistes que ces investissements n'enchaînent durablement l'UE aux énergies fossiles. Mardi, une source européenne admettait que certains éléments de RePowerEU constituaient "une entorse au Green deal". Frans Timmermans parle, lui, "d'un mouvement pendulaire", avec d'un côté, de façon temporaire, une utilisation prolongée du charbon, un peu plus de gaz, mais aussi un développement accéléré des énergies renouvelables. "L'un dans l'autre, je ne pense pas qu'on assistera à une augmentation des émissions."
4. Développement accéléré des renouvelables
"Le but n'est pas de remplacer la dépendance à la Russie par d'autres", prévient une source européenne. D'où l'appel de la Commission au développement des énergies renouvelables dans l'Union. La directive révisée sur les renouvelables de 2021 n'a pas encore été adoptée par le Conseil et le Parlement européen que déjà la Commission propose d'en revoir les ambitions : la part des renouvelables dans la consommation énergétique européenne à l'horizon 2030 devrait être non pas de 40 mais de 45 %.
Le financement prévu pour l'accélération du développement des renouvelables est de 86 milliards d'euros.
L'exécutif européen mise beaucoup sur l'énergie solaire. La stratégie qu'il propose vise à faire passer la capacité de production d'énergie par les panneaux photovoltaïques de 165 Gigawatt aujourd'hui à 320 GW en 2025 et à presque 600 en 2030.
La Commission suggère qu'à l'horizon 2026, les toits de tous les nouveaux bâtiments publics et commerciaux d'une surface d'au moins 250 m2 soient équipés de panneaux solaires et que ce soient le cas pour les bâtiments existants en 2027. "Mais on ne fait pas ça pour se retrouver ensuite à acheter tous nos panneaux solaires en Chine", prévient une autre source européenne. Le plan comprend une dimension industrielle impliquant les acteurs économiques, politiques à tous les niveaux, ainsi que la société civile pour que l'UE augmente ses capacités de production.
Pour l'éolien on et off-shore, l'objectif est de passer, d'ici 2030, d'une capacité de 190 GW à 480 GW. On notera que la Belgique, l'Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas ont annoncé mardi à Esjberg (sur la côte danois) leur intention de développer largement l'éolien marin en installant pour près de 150 gigawatts d'éoliennes en mer du Nord d'ici 2050 - avec un passage d'étape à 65 millions de GW en 2030. Les chefs de gouvernement des quatre pays assurent que ces éoliennes off-shore pourront, à terme, produire de l'électricité pour 230 millions de foyers.
La Commission propose également de doubler le déploiement des pompes à chaleur et fixe une cible d'une production de 10 millions de tonnes d'hydrogène verte produites dans l'UE, qui s'ajouteraient à 10 autres millions de tonnes, importées, en 2030.
Une plan d'action pour le développement de l'industrie du biométhane complète le bouquet.
Le temps presse, aussi la Commission propose-t-elle de faire en sorte qu'au niveau national, les permis pour construire des projets éoliens et solaires soient délivrés plus rapidement. "Il faut attendre en moyenne neuf ans pour l'éolien et quatre ans pour le solaire. C'est quelque chose que nous ne pouvons plus nous permettre", affirme un insider. La Commission invite les États membres à définir "des zones privilégiées, dans lesquelles on ferait en sorte que les procédures ne dépassent pas un an", a précisé la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. L'eurodéputée verte française Marie Dubois dit craindre que "le déploiement des renouvelables" se fasse "au détriment de la biodiversité". La Commission défend qu'il n'est pas question de cela.
5. Combien ça va coûter et d’où viendra l’argent ?
La Commission a estimé que la réalisation de RePowerEU réclamerait des investissements supplémentaires (privés, publics, nationaux, européens) de l’ordre de 210 milliards d’euros d’ici 2027, par rapport à ce qui est déjà prévu dans le cadre du paquet énergie-climat Fit for 55 (30 % du budget européen et 37 % de la Facilité de reprise et de résilience, principal élément du plan de relance européen).
Quelque 225 milliards sont disponibles sous forme de prêts aux États membres, dans le cadre de la Facilité de reprise et de résilience, souligne la Commission. Certains pays, comme l'Allemagne ou les Pays-Bas, n'ont pas demandé à bénéficier du montant de prêts qui leur était réservée dans le plan de relance européen. "Toute l'idée est que cet argent est collectif. Si certains ne l'utilisent pas, il faut en faire bon usage", défend Frans Timmermans. La Commission propose aussi d'augmenter l'enveloppe de cet instrument de 20 milliards de subventions provenant de la vente de crédits carbone via le système ETS. Elle envisage aussi des transferts "volontaires" de 26,9 milliards des fonds de cohésion et de 7,5 milliards de la politique agricole commune. Environ 800 millions d'euros sont encore à pêcher dans les fonds pour les infrastructures.
S'y ajouteront ce qu'investiront les États membres et le secteur privé.
Sera-ce suffisant ? Frans Timmermans a glissé "qu'un jour ou l'autre" se posera aux Vingt-sept la question de l'opportunité de créer un nouvel outil de financement européen pour porter la transition énergétique.
Les investissements consentis pour assurer son indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie sont importants, mais permettront aux États membres d’économiser 100 milliards d’euros par an, compte la Commission.