"La tête dans les étoiles mais les pieds sur terre"
Ce lundi, le "grand témoin" de La Libre est Christophe Hardiquest, le chef du restaurant "Bon Bon". Selon lui, "aujourd’hui, le problème, c’est que certaines grosses boîtes tiennent le politique par les c…"
Publié le 23-12-2013 à 05h36 - Mis à jour le 26-12-2013 à 08h35
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En cette fin d'année, "La Libre" vous propose une série de 14 rencontres avec des "grands témoins". Ce lundi, place à Christophe Hardiquest, le chef du restaurant "Bon Bon", à l'avenue de Tervueren à Woluwe-Saint-Pierre. Son palmarès : 1ère étoile Michelin en 2004, "chef de l’année" au GaultMillau 2011, 19/20 au GaultMillau 2013, 2e étoile au Michelin 2014.
Que retenez-vous, au-delà de votre 2e étoile Michelin, de l’année gastronomique 2013 ?
Plusieurs directions se développent au niveau de la gastronomie. Il y a tout un phénomène de mode avec une cuisine très locale, influencée par "Noma" (du chef danois René Redzepi, NdlR). Et puis, il y a une cuisine peut-être plus classique mais qui fait toujours école. Par ailleurs, la gastronomie n’est plus le monopole de la France ou de la Belgique. Il y a des chefs brésiliens, le Pérou sort très fort avec le chef Gastón Acurio,… Tout ce que j’espère, c’est qu’on ne globalise pas la cuisine. Il faut garder des cuisines identitaires fortes, personnelles. On n’a pas envie de manger la même chose partout.
Entre le modernisme et le classicisme, où vous situez-vous ?
Un peu entre les deux. J’ai envie de garder mon identité. Ce à quoi je veille, c’est de ne pas copier la cuisine d’un autre. Chaque chef doit prendre des risques et assumer sa cuisine. On ne doit pas faire une cuisine qui plaît à tout le monde. Assumer mes actes culinaires est très important à mes yeux.
L’ambition n’est pas de plaire à tout le monde ?
Aujourd’hui, plus. A 27 ans, on veut plaire à un maximum de gens. A 37 ans, on commence à réaliser qui on est. Et à 47 ans, on montre qu’on est un cuisinier accompli et on fait ce qu’on a envie de faire. Toujours avec éthique et professionnalisme. Un chef évolue, grandit. Mais on ne peut jamais être sûr de soi. Tant qu’on a la main qui tremble, on fera encore de chouettes choses. Sinon, il est temps de passer à autre chose.
Cette prise de conscience peut-elle expliquer cette 2e étoile ?
Je crois qu’il y a une question de maturité. Au début, on souffre parfois des critiques. Aujourd’hui, je me sens vraiment à l’aise avec ça. Je sais qui je suis. J’assume ma cuisine et je m’assume. Si on vient chez "Bon Bon", c’est pour se laisser faire. On pousse les gens à la découverte. Je veux faire du sur-mesure parce que mon pied, c’est de m’occuper de mes clients.
Bien manger relève de la seule responsabilité du consommateur ? Il y a aussi des décisions politiques qui doivent être prises…
Bien sûr, on veut culpabiliser le consommateur. Les politiques ont trop à perdre. Prenons le cas d’ArcelorMittal. On a voulu limiter les frais et Lakshmi Mittal, qui fait des millions de bénéfices, se casse quand même. Moi, je ne suis pas d’accord avec ça. Que le pouvoir politique se concentre sur les PME. Je prends l’exemple de mon entreprise : quand j’ai démarré, pendant neuf mois, j’ai bossé seul. Aujourd’hui, nous sommes à dix-neuf salariés temps plein. Est-ce qu’il y a un politique qui a un jour pensé à dire que pour le développement de l’entreprise, on pourrait instaurer des charges patronales qui diminueraient en fonction du nombre de personnes que l’on engage ? Quelque chose de logique qui entraînerait une dynamique.
Pourquoi dites-vous que les politiques ont trop à perdre ?
Aujourd’hui, le problème, c’est que ces grosses boîtes tiennent le politique par les c… Elles décident à un moment de se barrer, cela fait autant de personnes au chômage. Parlons des hommes plutôt que de rentabilité, des gens qui font de grandes choses dans ce pays.
Quels ont-ils été en 2013, pour vous ?
Je pense au prix Nobel de physique, François Englert, c’est un grand homme. J’aime bien tout ce qui est cinéma belge. Je trouve qu’on se démarque énormément, avec des acteurs qui essayent de faire quelque chose et font la réputation de la Belgique à l’extérieur. Au théâtre aussi. J’adore Philippe Geluck également. Ce sont des personnages qui m’attirent car ils assument pleinement ce qu’ils font. Dans tous les domaines, il faut assumer ce que l’on fait. En Belgique, il y a un berceau de jeunes et moins jeunes talents qui développent quelque chose de très personnel.
La 2e étoile au Michelin, vous courriez derrière ?
C’est un rêve de gamin. Quand, à 14 ans, on commence l’école hôtelière et qu’on dévore des bouquins avec des grands chefs comme Paul Bocuse, on a des étoiles plein les yeux… Et si, demain, je décroche une 3e étoile, je serai l’homme le plus heureux du monde !
Et vous allez faire en sorte de l’avoir…
Il ne faut pas se voiler la face. Si on en a deux, on travaille forcément pour en avoir une troisième. Je le dis avec franchise et humilité. Mais je ne vais pas me rendre malade, me mettre une pression infernale et écraser mes collègues. Je veux rester moi-même, honnête, proche de mes équipes. Je veux rester zen, comme ma cuisine.
La crise économique qui a déboulé en 2008, et qui fait encore ressentir ses effets, a-t-elle eu un impact sur votre activité ?
Non. La clientèle est toujours là et aime toujours se faire plaisir. Notre lunch reste accessible (50 euros). Pour le dîner, on peut s’en sortir à 75 euros. Honnêtement, est-ce indécent quand on veut goûter à la cuisine gastronomique ? J’adore la phrase suivante : "Ce n’est pas l’argent qui compte, c’est le luxe. Et le luxe, chacun le met là où il le veut." Le luxe, pour les uns, c’est d’aller voir un concert ou un match de foot. Pour d’autres, ce sera tout simplement s’offrir du temps pour soi et les siens. Ou s’offrir un cours de cuisine avec Yves Mattagne. Une ballade en forêt, pour moi, c’est du luxe.