"Un humoriste ne devient bon qu’avec les années"
Le festival d’humour et de musique “Namur is a Joke” créé par GuiHome revient pour une 2e édition, du 23 au 26 mars. Mais comment faire carrière dans l’humour ? “La Libre” a posé la question à Zidani, Pablo Andres et Laetitia Mampaka, trois humoristes de trois générations différentes.
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Publié le 17-03-2023 à 18h45
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Il y a un an, la première édition du festival d’humour et de musique Namur is a Joke rassemblait plus de 8000 spectateurs. Sa spécificité ? Imaginé par l’humoriste GuiHome, ce festival présente tant des artistes confirmés que de jeunes talents, belges et internationaux. Après Guillermo Guiz, Fanny Ruwet, Manon Lepomme, Félix Radu, Baptiste Lecaplain, Pierre-Emmanuel alias PE, Kody, Isadora ou encore Lubiana en 2022, place, cette année, du 23 au 26 mars, à Arnaud Tsamere, Vincent Dedienne, Laura Felpin, Arnaud Ducret, Tom Villa, Nicolas Lacroix, Véronique Gallo, Inno JP, Sacha Ferra, Serine Ayari, Dora D, Pierre de Maere, etc.
Pendant cinq jours, plus de quarante spectacles (stand-up, concerts, animations pour les familles, concours Joke une fois, ateliers d’écriture pour jeunes humoristes) feront vibrer la capitale wallonne dans onze lieux différents (Le Delta, Le Grand Manège, Le Théâtre Jardin Passion, La Maison de la Poésie, Le Théâtre de Namur…).
Riche et diversifié, Namur is a Joke est parvenu, en deux ans à peine, à s’imposer comme une vitrine du stand-up en vogue, attirant des têtes d’affiches belges et françaises, mais également comme un formidable tremplin pour de jeunes humoristes. Plébiscité par le public et en pleine expansion depuis plusieurs années, l’humour – dont la Belgique est un terreau fertile – se décline plus que jamais sous de multiples formes : capsules vidéo sur les réseaux sociaux, chroniques en radio et télé, plateaux d’humoristes, scènes ouvertes, spectacles…
Mais face à un tel foisonnement de propositions et d’artistes, comment creuser son trou et, surtout, bâtir une carrière durable, au-delà du buzz, de la notoriété virtuelle ou éphémère ? La Libre a posé la question à trois humoristes de trois générations différentes, tous programmés à Namur is a Joke : Zidani, Pablo Andres et Laetitia Mampaka. Conversation instructive à bâtons rompus.
"L'humour est devenu un métier"
Quiche toujours, Fabuleuse étoile, Et ta sœur, Mamie Georgette… Zidani, 54 ans, affiche pas moins de “16 seuls en scène bien différents” depuis qu’elle a créé son premier spectacle “professionnel” il y a trente ans, en 1993. À l’époque, les lieux pour se faire connaître et se frotter à un public sont loin d’être légion. “Il y avait bien le Comiqu’Art, une scène créée (en 1991, NdlR) par Marc Herman à Saint-Gilles, où les humoristes de Belgique pouvaient, tous les lundis, tester leurs sketchs et recevoir des conseils, se souvient-elle. Puis, très vite, cela a été ouvert au public”. Et sur le petit écran, ce sont les émissions La Classe en France et Bon weekend en Belgique qui sont alors les “modes du moment”. “On est tous passés par là”, sourit-elle. Mais “ce qui m’a lancé sur le plan international, c’est On n’demande qu’à en rire (émission d’humour créée par Laurent Ruquier sur France 2 en 2010, NdlR). J'y ai fait 32 passages. Ça m’a permis de m’ouvrir à la Francophonie”.
À 43 ans, Pablo Andres appartient à cette génération de quadras (Kody, Guillermo Guiz, Alex Vizorek, James Deano, Walter, Dan Gagnon...) qui sont devenus humoristes "parce qu'on en avait vraiment envie, qu'on était des passionnés", "c'est-à-dire, s'explique-t-il, que, comme pour Zidani, l'humour n'était pas considéré comme un métier il y a dix-quinze ans. Il n'y avait pas vraiment de possibilités de tremplin ou une scène. Il y avait bien Pirette et Les Taloche, mais c'était tout". Aujourd'hui, en revanche, "outre Namur is a Joke, il y a des tremplins (What the Fun, Festival Il est temps d'en rire, etc., NdlR), des Comedy Clubs (Kings of Comedy Club, Comedy Brussels, Le Fou rire..., NdlR) partout et c'est génial, se réjouit-il, car c'est ce qui manquait".
Désormais, "l'humour est devenu un métier. On peut très vite se retrouver à écrire des chroniques pour la radio, la télé. Puis, les réseaux sociaux sont un outil génial, qui permet à tout le monde de tester des blagues, trouver un public, créer une communauté, enchaîne Pablo Andres. C'est sans doute cela la plus grande différence entre ma génération et celle de Zidani, où il n'y avait ni média ni public ayant les codes pour les spectacles d'humour".
Plus d'opportunités que jamais, mais...
Laetitia Mampaka, 27 ans, juriste, maître en art oratoire, humoriste, chroniqueuse et actrice, ne contredira certainement pas Pablo Andres. C'est grâce à l'éloquence et aux nombreux concours auxquels elle a pris part qu'elle a fait ses premiers pas dans l'humour. "Comme chacun d'entre nous, j'ai un parcours unique, expose-t-elle. Il faut avoir l'audace de faire sa propre histoire. Il y a deux, trois ans, jamais je n'aurais crû avoir mon spectacle d'humour". Et de raconter : "On a des concours d'éloquence variés : improvisation, motivation, inspiration et discours humoristique (qui n'a rien à voir avec le stand-up pur). J'ai candidaté pour essayer et la salle était morte de rire. C'est là que j'ai découvert que j'étais drôle".
Encouragée à poursuivre dans cette voie, elle se met en contact avec What The Fun, plateforme dédiée à l'humour en Belgique. "Tout de suite, ils m'ont laissé ma chance et m'ont permis de commencer. Pour moi, ça a donc été assez rapide et assez facile pour, au moins, essayer, se félicite-t-elle. Grâce à leurs conseils – il y a un feedback de tous les artistes à chaque fin de scène –, j'ai eu envie de m'améliorer et de persévérer".
Aujourd'hui, c'est une loi : il faut être présent sur les réseaux sociaux pour remplir ses salles."
Comedy Clubs, festivals (Rochefort, Montreux...), réseaux sociaux, médias audiovisuels..., l'éventail d'outils et d'opportunités pour se faire connaître auprès du public est, aujourd'hui, plus large que jamais. Avec, toutefois, une prépondérance non négligeable des réseaux sociaux. "Aujourd'hui, c'est une loi : il faut être présent sur les réseaux sociaux pour remplir ses salles", s'accordent les trois humoristes. "Mais plus on passe de temps à être visible sur les réseaux sociaux pour que les spectateurs viennent nous voir en salle, moins on a de temps pour travailler sur son spectacle, qui, à mes yeux, est un travail plus noble, nuance Pablo Andres, très actif sur Facebook, Tik Tok, Instagram... C'est un équilibre qui n'est pas facile à atteindre. Pour ma part, plus le temps passe, plus j'ai envie d'aller vers la qualité plutôt que la quantité".
Au fil du temps, néanmoins, "le métier en lui-même, la réalité de cet art qu'est la comédie n'a pas changé". "Il n'y a pas de raccourcis, insiste-t-il. Il faut travailler dur, beaucoup. Un humoriste ne devient bon qu'avec les années, car il faut du temps pour affiner son art. Donc, que ce soit hier ou aujourd'hui, l'exigence est la même : le public comprend tout de suite quand un artiste n'est pas prêt ou, au contraire, quand il est bon ou super original".
Zidani abonde : "Il y a toujours eu des amuseurs, des troubadours, des saltimbanques. Le rire est une fonction vitale. Pour moi, l'humoriste est un philosophe qui raconte le monde dans lequel il vit. Et je crois que ce que les gens viennent chercher chez un humoriste, c'est l'originalité, la qualité des mots, le talent... avec lesquels il va raconter son monde et qui vont provoquer le rire. Cela, c'est universel".
Que ce soit hier ou aujourd'hui, l'exigence est la même : le public comprend tout de suite quand un artiste n'est pas prêt ou, au contraire, quand il est bon ou super original."
"L'humour, c'est du boulot!"
Pas facile toutefois de se démarquer dans un secteur de plus en plus concurrentiel. "Moi, comme d'autres de ma génération, nous sommes souvent confrontés à des remarques telles que 'Ah! Tu me fais penser à un humoriste que j'ai vu il y a un an, deux ans, cinq ans...' Parfois, il s'agit juste du timbre de voix, témoigne Laetitia Mampaka. Donc, cette originalité, on essaie de la trouver, mais sans donner l'impression d'un déjà vu. À mes yeux, le mieux, c'est l'authenticité. Pour ma part, j'essaie d'éviter de regarder trop à gauche ou à droite pour ne pas être inconsciemment influencée".
Je vois le don qu'on a comme une lampe à huile : elle peut éclairer dix ans comme un an. Tout dépend de ce qu'on en fait."
Face au tourbillon de possibilités qui s'offrent aujourd'hui, "il faut faire attention à ne pas se brûler", a bien conscience la jeune femme. "Toute opportunité n'est pas bonne à prendre. Il faut se laisser le temps de grandir. Je vois le don qu'on a comme une lampe à huile : elle peut éclairer dix ans comme un an. Tout dépend de ce qu'on en fait."

"Exactement!, confirme Pablo Andres. On est dans un monde où tout peut aller très vite. Mais, dans la comédie, on ne peut pas tricher en termes de vitesse ou de raccourcis. Moi, par exemple, j'ai commencé sur scène il y a douze ans. Mais, franchement, j'ai l'impression que ce n'est que maintenant, à peine, avec le nouveau spectacle que j'écris (Gamin, en tournée à partir du 22 mars, NdlR), que je vais être un peu bien parce qu'il y a tellement de paramètres à maîtriser : l'art de la scène, le rythme, le jeu, l'écriture, le marketing, les réseaux sociaux, etc."
Créer un spectacle qui faire rire s'apparente, en effet, à "une partition qu'il faut tout le temps réécrire", renchérit Zidani. "Le rire est très musical. Un mot à tel endroit fera rire alors que si on le déplace, le rire n'y sera pas. C'est très inconfortable de créer un spectacle. C'est dur. On est un peu angoissé."
Créer un spectacle qui faire rire s'apparente à une partition qu'il faut tout le temps réécrire."
"Tout cela rappelle que l'humour, c'est un travail, c'est du boulot, relève Laetitia Mampaka. Moi qui débute, je suis encore en train d'essayer de comprendre pourquoi je suis drôle. Vraiment! Quand je monte sur scène, je sais que ça, ça va faire rire, mais je ne sais pas encore pourquoi. J'essaie encore de comprendre la mécanique derrière cette magie". "C'est pour cela que l'humour est un art, rebondit Pablo Andres. Plus on avance, plus on affine et on écarte des zones d'ombre, mais, je le répète, c'est un travail de longue haleine".
--> Festival "Namur is a Joke", du 23 au 26 mars, à Namur dans onze lieux différents (Le Delta, Le Grand Manège, cinéma Caméo – Les Grignoux, Jardin Passion...). Tickets de 11,50€ à 37,50€. Programme complet et réservations sur www.namurisajoke.be