Donald Trump a-t-il tué le parti républicain?

Iconoclaste, anti-establishment, le candidat favori à l'investiture républicaine ne fait pas l'unanimité au sein de son propre parti. Qui voit en lui une menace pour sa survie. Le Grand Old Party est-il blessé ou déjà enterré? Opinions croisées.

Valentine Van Vyve
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©Photo News

Iconoclaste, anti-establishment, le candidat favori à l'investiture républicaine ne fait pas l'unanimité au sein de son propre parti. Qui voit en lui une menace pour sa survie. Le Grand Old Party est-il blessé ou déjà enterré?

OUI - Nicolas Baygert, docteur de l'Université Paris-Sorbonne et de l'UCL, Chargé de cours à l’IHECS et Maître de conférences à l'ULB.

Donald Trump n’a pas strictement tué le GOP : il l’a stérilisé, occupé comme une armée occupe une place forte avant de conquérir la citadelle républicaine. Les gens sont pris au piège. Pour les conservateurs modérés, on observe une peur existentielle car après Trump, d’autres pourraient opter pour la même stratégie. 

Quelle est la position du parti républicain (GOP) par rapport à Donald Trump ?

Donald Trump a littéralement piraté le GOP. Plutôt que de déposer une candidature indépendante - ce qu’il menace de faire si le parti ne le soutient pas - il a pratiqué une stratégie d’entrisme, une mutinerie, conquérant les structures républicaines de l’intérieur. Le GOP doit maintenant se rallier à un candidat qu’il ne soutient pas. On constate une levée de boucliers y compris chez les idéologues conservateurs et les médias (à l’instar de Fox News) traditionnellement du côté des Républicains. Mais pour éviter de se retrouver dans le camp des perdants, les élites du GOP tolèrent ce "squatteur" nuisible. Pour certains, Ted Cruz, qui représente pourtant la seconde personne la plus détestée côté républicain, constitue aujourd’hui le dernier rempart à Donald Trump. À moins d’assister au parachutage in extremis et inédit d’un Mitt Romney – candidat malheureux en 2012 – pour sauver l’honneur.

Qu’est-ce qui fait de Donald Trump un candidat atypique voire un phénomène électoral singulier ?

Donald Trump se profile comme candidat de l’anti-establishment. Cela semble ravir une partie de l’électorat. Aujourd'hui, le clivage n’oppose plus les rouges et les bleus ; les Républicains et les Démocrates mais les tenants du système (à l’image d’Hillary Clinton) et de l’antisystème (auxquels il faut ajouter Bernie Sanders).

En outre, les propositions programmatiques d’un Donald Trump divergent avec certains fondamentaux du parti républicain. Généralement ambivalent et flou sur ses positions, un certain nombre d’éléments avancés lors des débats des primaires effraient néanmoins le GOP : un ancrage moins néolibéral, privilégiant une forme de protectionnisme. Un "conservatisme compassionnel" plébiscité par la classe moyenne blanche paupérisée, les détenteurs de petites retraites et bénéficiaires d’aides sociales – ainsi il s’oppose aux coupes budgétaires qui mettraient les plus vulnérables en danger. Il s’appuie également sur une rhétorique nationaliste en vantant "l’exceptionnalisme" américain. Avec lui, affirme-t-il, les Etats-Unis vont à nouveau gagner. Tous ceux qui l’ont précédé étaient des "losers".

Là où il va beaucoup plus loin que quiconque, c’est dans l’outrage ou dans ses dérapages et amalgames xénophobes, qui ne passent pas auprès des élites mais contribuent, toutefois à son succès. La timide campagne de "remoralisation" menée contre lui par le GOP renforce en réalité son image antisystème voire antipolitique. Sa capacité à tyranniser la classe politique plaît à un électorat de plus en plus défiant vis-à-vis des élites.

Le ralliement traditionnel des candidats n’aura pas lieu ?

Les caciques du parti, inquiets au sujet de leur influence, commencent à se ranger derrière Donald Trump, sentant qu’ils n’ont pas le choix. Les ralliements sont le fruit de calculs personnels, comme le montre l’exemple Chris Christie. Or, ceux-ci semblent n’avoir que peu d’impact sur le candidat milliardaire, ce dernier n’hésitant pas à les mépriser voire à les humilier publiquement. Il faut toutefois s’attendre à ce que Trump mette de l’eau dans son vin, et recentre son discours une fois le processus des primaires terminé, favorisant les positions radicales.

Marco Rubio a déclaré que la nomination de D. Trump "signifierait la fin du Parti républicain". Est-ce déjà le cas ?

Il n’a pas strictement tué le GOP : il l’a stérilisé, occupé comme une armée occupe une place forte avant de conquérir la citadelle républicaine. Les gens sont pris au piège. Pour les conservateurs modérés, on observe une peur existentielle car après Trump, d’autres pourraient opter pour la même stratégie. Le parti s’est trompé : il pensait que Donald Trump allait rapidement s’effondrer alors qu’au contraire, c’est le processus des primaires ouvertes, qui a finalement été "trumpisé" se transformant en show politique où les mauvais "performers" n’ont dorénavant plus leur place. Il a en quelque sorte piraté le logiciel du parti et le jeu politique tout entier.

Ne vaudrait-il mieux pas, pour la survie du GOP, que Donald Trump se pose en candidat indépendant ?

Oui, mais cela signifierait qu’avec lui, une partie de l’électorat s’en irait, offrant mathématiquement la victoire à Hillary Clinton. Le parti préfère donc pour l’instant consentir aux lubies d’un Donald Trump pour demeurer dans le camp des gagnants. Mais si Donald Trump gagne, c’est une révolution démocratique qui se présage, dans laquelle les élites du parti devront se contenter de miettes

NON - Thomas Snégaroff, historien, spécialiste des Etats-Unis et chercheur à l'IRIS.

Donald Trump est la dernière lame de fond et le révélateur d’un problème qui existe depuis des années : le parti est fracturé, tiraillé entre différentes tendances qui ne permettent plus de dégager une ligne idéologique claire. Les visions semblent aujourd’hui incompatibles et pourraient mener le GOP à l’implosion. Mais ce n’est pas demain qu’il verra naître des dissidences.

Donald Trump est-il un candidat gênant pour le GOP ?

Le parti républicain est extrêmement embêté. Il faut savoir que le parti a construit les choses de telle sorte que l’on ait un candidat assez tôt afin d’éviter les longues luttes intestines qui sont trop coûteuses politiquement. Les élites ont obtenu ce qu’elles voulaient, à savoir un candidat clairement en avant. Le problème, c’est que ce n’est pas le bon à leurs yeux ! Il insulte le parti et s’est construit hors de lui. Si Donald Trump avait l’investiture, ce serait la première fois depuis Eisenhower en 1952 qu’un Républicain serait élu sans l’avoir été à l’intérieur de son parti. C’est pour dire le séisme dans un parti marqué par une sorte de légalisme. Le fait est que les élites ne l’ont pas vu venir.

Quelle attitude adopte le parti maintenant que Donald Trump est au bord de l’investiture ?

Il n’y a pas une seule attitude. La plus radicale est celle qui tient à voir émerger un troisième candidat que l’on balancerait hors primaires dans l’idée de battre Trump… Mais avec le risque de perdre contre Hillary Clinton. A côté de cela, les élites du parti, comme Paul Ryan, commencent à dire qu’il va falloir parler avec Donald Trump afin de le rendre plus compatible et d’adoucir son discours. Certains n’hésitent pas à se positionner en faveur de Trump pour ne voir Ted Cruz élu. Celui-ci étant un ayatollah du conservatisme et empêchant tout compromis avec les Démocrates. Finalement, ils se disent que Trump est plus facile à contrôler. C’est ce qui pourrait sauver la partie… Enfin, Mitt Romney use d’un vocabulaire extrêmement violent à l’égard de Trump : il le traite de "charlatan" , d’"escroc", d’"imposteur". Cela n’est jamais arrivé d’entendre un sénateur dire qu’il ne votera pas pour le candidat de son parti. Cela va laisser des blessures qui ne cicatriseront pas de sitôt. Voilà l’état dans lequel est le parti. Proche de l’implosion voire de l’explosion.

Comment peut-il sauver la face ?

Replaçons ceci dans le contexte historique. Toutes ces fractures ne sont pas nées avec Donald Trump. Le parti est tiraillé entre ses différentes tendances et couvre aujourd’hui un spectre idéologique trop large entre des conservateurs fiscaux, sur les questions morales, les interventionnistes ou les isolationnistes sur le plan de la politique étrangère. Ce parti est donc de moins en moins cohérent idéologiquement et on a du mal à trouver une colonne vertébrale. Ces lignes de fracture rappellent celles du parti démocrate après la Seconde Guerre mondiale : entre les Démocrates du Sud qui s’opposaient à la déségrégation raciale et ceux du Nord qui étaient libéraux. On est sur une ligne de crête complexe depuis des années et Donald Trump ne fait que révéler ces fragilités internes ainsi que le manque d’unité politique et idéologique. Les Républicains ne peuvent plus se cacher derrière leur petit doigt.

On trouve les clivages autour de la mondialisation : les libéraux économiques s’opposent à ceux qui, par une lecture décliniste, considèrent que l’Amérique est décadente et assiégée. Ces deux visions ne me semblent pas compatibles a priori. Soit elles mènent à des tendances très marquées au sein du parti soit elles le poussent à l’implosion. C’est le bipartisme américain qui est sur la sellette.

Donald Trump se dit "rassembleur". Même s’il s’est mis à dos certaines élites, il a effectivement élargi la base. N’est-ce pas positif pour le parti ?

Il sent bien que sans cette popularité, il n’a pas de chance d’être investi. L’enjeu est donc clairement celui de l’unité du parti. Notons quand même que lors des primaires "ouvertes" (tout le monde peut voter), il arrive largement en tête, ce qui n’est pas le cas quand elles ne le sont pas. Cela démontre un problème avec le parti. L’enjeu des élections est de prendre la Maison-Blanche et de garder la main sur le Congrès. Avec ou sans Trump, le parti en sortira forcément profondément blessé.

Donald Trump a-t-il pour autant tué le parti républicain ?

Il est aux abois mais il n’est pas mort. Il s’agit du plus vieux parti; il a une histoire, de l’argent, une idéologie. Ce n’est pas demain qu’il verra naître des dissidences.

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